Article Centrales conventionnelles , Énergies renouvelables

Le nouveau rôle de l’énergie hydraulique

Projets de recherche en matière de centrales au fil de l’eau et à accumulation

02.02.2022

Le solaire et l’éolien sont en plein essor. Or, l’énergie hydraulique est directement concernée dans la mesure où elle permettra la transition de l’approvisionnement énergétique vers de grandes quantités d’électricité solaire et éolienne. Aperçu de divers projets de recherche pour la modernisation de l’énergie hydraulique suisse.

La production d’électricité «verte» à partir du photovoltaïque, du bois, du biogaz et de l’énergie éolienne occupe une place importante dans les débats publics, et le photovoltaïque, en particulier, affiche des taux de croissance impressionnants. Malgré tout, l’énergie hydraulique reste de loin la principale source d’énergie indigène en Suisse. Les centrales au fil de l’eau et les centrales à accumulation ont couvert 58% des besoins en électricité en 2020, selon la Statistique suisse de l’électricité. L’énergie hydraulique contribue actuellement à environ 90% de la production d’électricité renouvelable du pays et reste ainsi un pilier central de l’approvisionnement énergétique.

Toutefois, l’avenir semble ouvrir de nouvelles perspectives, tant au niveau national qu’international: le soutien politique pour le développement de l’énergie éolienne et solaire est très marqué et efficace. À l’échelle mondiale, les capacités de production dans ces domaines augmentent nettement plus rapidement que dans celui de l’énergie hydraulique (figure 1). Aujourd’hui déjà, la puissance installée des centrales solaires et éoliennes est supérieure à celle des centrales hydroélectriques. Selon la feuille de route «Net Zero by 2050» récemment publiée par l’Agence internationale de l’énergie, la production d’électricité à partir du vent et du soleil dépassera bientôt celle de l’énergie hydraulique.

Un rôle essentiel pour favoriser la transition énergétique

Dans le contexte de la transformation actuelle de l’approvisionnement énergétique, l’énergie hydraulique change de rôle. Même si elle reste un pilier important de l’approvisionnement énergétique, elle assume en outre la tâche de permettre le tournant vers un nouvel approvisionnement énergétique encore plus orienté vers les sources d’énergie renouvelables. Elle est donc, pour l’exprimer en anglais, l’«enabler» de la transition énergétique. Ce nouveau rôle découle du fait que la production d’électricité à partir du vent et du soleil se développe massivement dans le monde entier. Mais comme ces deux formes d’énergie ont des rendements fluctuant en fonction des conditions météorologiques, différentes mesures doivent être prises pour garantir une intégration optimale de l’électricité éolienne et solaire dans le système d’approvisionnement en énergie, tout en préservant la stabilité du réseau.

Klaus Jorde, qui dirige le programme de recherche Force hydraulique sur mandat de l’OFEN en tant qu’expert externe, affirme que l’énergie hydraulique devrait jouer un rôle central dans ce contexte. «Pour le stockage et la fourniture d’électricité sous forme d’énergie et de puissance (de réglage), l’hydroélectricité est une option très appropriée. Avec un rendement global d’environ 80%, le stockage d’électricité dans des lacs de retenue est de loin supérieur aux technologies Power-to-X connues; il est également moins cher à long terme et dispose d’une durée de vie plus longue. L’énergie hydraulique est répandue dans de nombreuses régions du monde et peut être utilisée à des fins de stockage moyennant certaines adaptations». Selon Klaus Jorde, le potentiel de stockage de l’énergie hydraulique est encore sous-estimé aujourd’hui: selon des études de l’Agence internationale de l’énergie, elle offre actuellement une capacité de stockage 2300 fois supérieure à celle de toutes les batteries disponibles dans le monde, celles des véhicules électriques incluses.

Des défis techniques et économiques

Afin d’assumer ce nouveau rôle d’«enabler» de la transition énergétique, la technologie de l’énergie hydraulique a besoin d’un coup de pouce en termes de modernisation. En effet, les centrales électriques doivent être mises à niveau pour pouvoir fonctionner de manière flexible, ce qui n’était pas prévu dans la production d’électricité traditionnelle. Outre les défis techniques, les aspects économiques doivent être pris en compte, comme l’explique Klaus Jorde: «Les exploitants de centrales électriques hésitent encore à réaliser les investissements nécessaires dans la mesure où la base économique pour ces investissements fait défaut sur de nombreux marchés. L’énergie hydraulique a traditionnellement de très longues durées d’amortissement. Pour ces nouvelles prestations, des rémunérations garanties à long terme sont nécessaires pour que les exploitants des centrales réalisent les investissements correspondants.»

C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les travaux de recherche qui se consacrent actuellement à la flexibilisation des installations hydroélectriques. Avec les États-Unis et la Norvège, la Suisse occupe une position de leader dans ce domaine. Le projet SmallFlex, dirigé par la Haute école spécialisée de Suisse occidentale HES-SO Valais-Wallis, a par exemple étudié de 2017 à 2021, à la centrale au fil de l’eau de Gletsch-Oberwald (VS), la faisabilité technique et le potentiel économique d’une exploitation flexible ainsi que son impact sur l’écologie fluviale. L’EPFL, qui dispose de nombreuses années d’expérience dans la recherche dans le domaine de l’énergie hydraulique, a participé au projet. La Plateforme technologique machines hydrauliques (PTMH), dirigée par le professeur Mario Paolone, y fait de la recherche fondamentale et soutient l’industrie par le biais de projets de développement basés sur la pratique. «Nos travaux de recherche se concentrent sur l’exploitation flexible des centrales hydroélectriques, car cela permettra à l’énergie hydraulique de contribuer, à l’avenir, de manière importante à la transition du système énergétique», explique Dr Elena Vagnoni, responsable du groupe de recherche PTMH.

Des tourbillons néfastes dans les turbines Francis

Achevé en 2021, le projet de recherche Post (Plant Operation Stability Modeling) a étudié le comportement des turbines Francis lorsqu’elles sont exploitées à charge partielle ou à forte charge en dehors de leur régime de fonctionnement classique (figure 2). Dans de tels cas, des instabilités peuvent apparaître. Celles-ci se manifestent par des vibrations et des bruits, et entraînent une perte d’efficacité ainsi qu’une fatigue des matériaux. Les instabilités sont dues à des tourbillons qui se forment après le passage de l’eau dans la turbine et provoquent la formation de bulles (cavitation).

Dans le cadre du projet Post, l’équipe de chercheurs menée par Elena Vagnoni a décrit les caractéristiques physiques de ces tourbillons pour différents modes de fonctionnement. En outre, l’équipe a développé, à l’aide du logiciel de simulation Simsen, un modèle capable de prédire à quel tourbillon il faut s’attendre en fonction des conditions de fonctionnement. Elena Vagnoni précise: «Nos résultats aident les fabricants à optimiser la géométrie des turbines afin d’éliminer, ou au moins de réduire, les instabilités. Les exploitants de centrales en tirent des enseignements pour savoir dans quelle mesure ils peuvent modifier les conditions d’exploitation sans provoquer d’instabilités préjudiciables.»

Essai de fonctionnement en court-circuit hydraulique

Les compétences du laboratoire de l’EPFL sont actuellement mises à profit dans le cadre d’un projet de démonstration d’une durée de quatre ans auquel participent cinq centrales électriques et d’autres partenaires de recherche tels que la HES-SO et l’ETH Zurich. Soutenu par l’OFEN dans le cadre de son programme pilote et de démonstration, le projet HydroLeap a pour objectif d’étudier différentes questions dans la pratique sur trois sites de centrales électriques, dont la centrale de pompage-turbinage vaudoise FMHL de Veytaux (figure 3). Les centrales de pompage-turbinage sont notamment utilisées pour assurer la stabilité du réseau. Grâce à leur grande flexibilité, elles peuvent, en cas de surabondance d’électricité sur le réseau national, utiliser le surplus d’électricité pour pomper de l’eau dans le lac de retenue, ou répondre à un manque de production en turbinant une partie de l’eau stockée. Dans ces cas de fourniture de «puissance de réglage secondaire», le prélèvement d’électricité (par pompage) et la production d’électricité (par turbinage) sont souvent limités à quelques minutes. Comme la puissance de réglage permet d’empêcher les fluctuations indésirables sur le réseau électrique, elle est rémunérée par la Société nationale du réseau de transport d’électricité Swissgrid.

Dans la centrale électrique FMHL de Veytaux, les études actuelles portent sur la manière de mieux gérer la quantité de puissance de réglage mise à disposition. Un mode d’exploitation des centrales de pompage-turbinage encore relativement récent, connu sous le nom de «court-circuit hydraulique», permet d’y parvenir: il consiste à pomper de l’eau dans le lac de retenue et, en même temps, à produire de l’électricité par turbinage. Dans cette configuration, la pompe prélève une puissance fixe, mais la quantité d’électricité produite peut être réglée en continu grâce à un fonctionnement à charge partielle de la turbine. En mode court-circuit hydraulique, la centrale peut régler finement la quantité de puissance de réglage négative (consommation du surplus d’électricité du réseau) mise à disposition et ainsi l’adapter aux besoins. «Ce mode de fonctionnement est intéressant pour les exploitants de centrales, car ils sont indemnisés non seulement pour la production d’électricité, mais aussi pour la puissance de réglage négative», souligne Elena Vagnoni.

Centrale au fil de l’eau assistée par batterie

Un deuxième site de recherche du projet HydroLeap est la centrale hydroélectrique au fil de l’eau d’Ernen, dans le Haut-Valais (figure 4). Ici aussi, l’accent est mis sur l’utilisation flexible de l’énergie hydraulique. Dans le cas d’une exploitation en mode flexible, le point de fonctionnement de la turbine est souvent et rapidement modifié. Toutefois, ceci entraîne une sollicitation accrue de la turbine, ce qui peut raccourcir sa durée de vie. Pour éviter les changements rapides de vitesse des turbines, les exploitants de centrales utilisent depuis peu des batteries: celles-ci fournissent temporairement de l’électricité au réseau jusqu’à ce que la turbine ait augmenté sa vitesse de rotation, ou absorbent de l’électricité jusqu’à ce que la turbine ait réduit sa vitesse de rotation. De premières installations hybrides de ce type sont en service sur différents sites de centrales électriques dans le monde. Le projet mené dans le Haut-Valais doit également permettre d’acquérir une expérience approfondie en Suisse.

Un second projet partiel à la centrale d’Ernen concerne sa rénovation. Les exploitants de centrales électriques suisses sont confrontés à la tâche herculéenne de renouveler, au cours des 30 prochaines années, les concessions pour un volume de production de 23 TWh d’électricité. Cela représente plus de la moitié de la production annuelle actuelle d’hydroélectricité. À la centrale d’Ernen, on étudie si, dans le cadre d’une mesure de réaménagement, il serait judicieux de remplacer la turbine Francis par une turbine Pelton offrant une plus grande flexibilité et de meilleurs rendements en charge partielle. Deux projets de recherche de l’OFEN déjà achevés, Shama et RenovHydro, se situaient dans le même contexte: le bureau de consultation romand Power Vision Engineering (St-Sulpice/VD) avait alors développé des modèles de simulation pour les rénovations de centrales électriques. Les modèles aident les exploitants à concevoir les composants du système et à définir les plages de fonctionnement des turbines. Ils facilitent également la préparation des mesures de réaménagement.

Une base pour des modèles commerciaux fiables

Les projets de recherche mentionnés ne montrent qu’une partie des activités de recherche réalisées en Suisse afin d’assurer l’avenir de l’énergie hydraulique suisse en tant qu’«enabler» de la transition énergétique. «Les résultats obtenus jusqu’à présent dans le cadre des recherches en cours permettent de conclure que l’énergie hydraulique dispose d’un potentiel de flexibilité plus important que supposé jusqu’à présent», explique le responsable du programme de l’OFEN Klaus Jorde. «Pour ce qui est des questions techniques relatives à la flexibilisation de l’exploitation et à l’utilisation optimisée du potentiel de stockage, nous sommes sur la bonne voie. Pour que l’énergie hydraulique puisse réellement jouer son nouveau rôle, les conditions du marché doivent encore être adaptées afin que les exploitants de centrales puissent investir en toute sécurité et mettre ainsi en place des modèles commerciaux fiables.»

Liens

Informations complémentaires à propos des projets de recherche:

 

Des informations complémentaires peuvent être obtenues auprès de Dr Klaus Jorde, responsable externe du programme de recherche «Force hydraulique» de l’OFEN.

 

Auteur
Dr. Benedikt Vogel

est journaliste scientifique.

  • Dr. Vogel Kommunikation
    DE-10437 Berlin

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