Le maître de la lumière
Excursion dans le domaine d’un artiste d’exception
La lumière est essentielle à la vie. Elle est aussi indispensable aux Beaux-Arts: c’est en étudiant ses réflexions sur les objets que le peintre met en valeur le sujet de sa toile. Et si l’on inversait les rôles? Si la lumière devenait le sujet principal de l’œuvre? Rencontre avec Daniel Schlaepfer, un artiste-chercheur dont la matière première est la lumière.
Un magicien. C’est probablement le premier qualificatif qui vient à l’esprit quand on découvre les œuvres de Daniel Schlaepfer. Pas l’un de ces magiciens qui, sur scène, s’efforcent d’intriguer le spectateur à grand renfort de mécanismes, d’astuces et de dextérité… Non. Un magicien qui maîtrise l’art d’émerveiller. Car Daniel Schlaepfer est un artiste, et un artiste pas comme les autres.
Son élément, c’est la lumière. Comme pour tous les artistes, pourrait-on dire… Il est vrai que, sans lumière, un tableau n’a pas d’éclat, une sculpture pas de volumes... Pour Daniel Schlaepfer, la lumière revêt encore une plus grande importance: c’est elle qu’il met en scène, elle qui intervient au premier plan, elle qui est mise en valeur par d’autres objets, et non l’inverse, bref, c’est elle sa matière première.
Comprendre la lumière
Lorsque l’on arrive à la rue des Côtes-de-Montbenon, dans le quartier du Flon à Lausanne, l’atelier de Daniel Schlaepfer ne saute pas aux yeux. Rien n’indique, ou presque, qu’un artiste y trouve l’inspiration. Au numéro 10, pas de perron, pas de baie vitrée, juste une porte de garage. Mais lorsque l’on pénètre dans l’antre de l’artiste, on va de surprise en surprise. Le garage se révèle être un loft sur plusieurs niveaux. Çà et là sont disposées des œuvres achevées ou en cours d’élaboration.
Au mur de la pièce la plus sombre, des ampoules et des éprouvettes renferment, pour des tests de durée, divers liquides fluorescents éclairés par des LED de différentes couleurs. L’effet est saisissant! «Ce travail est né d’un projet avec le professeur Libero Zuppiroli», explique Daniel Schlaepfer. «Je l’avais contacté à l’époque pour discuter d’un problème technique et nos discussions ont évolué pour devenir une vraie collaboration. Nous avons travaillé ensemble à l’œuvre ‹Lumen et Lux› puis, de ballade en ballade dans la nature, une véritable amitié s’est tissée entre nous. Il a su m’expliquer la physique de la lumière, une compréhension qui m’est extrêmement utile pour avancer de manière plus sûre quand je suis mes intuitions», ajoute-t-il. La collaboration ne s’est d’ailleurs pas arrêtée là. Ils ont, entre autres, publié en 2011 «Lumières du futur» [1], un ouvrage qui a permis au grand public de mieux comprendre les caractéristiques des LED et d’apprendre à les choisir à leur arrivée sur le marché de la grande consommation.
Un artiste-chercheur
Lorsque l’on demande à Daniel Schlaepfer comment il se définirait, il réfléchit un instant, puis répond: «Je me vois comme un artiste-chercheur, libre de faire des recherches dans tous les domaines. C’est probablement le terme qui concilie au mieux mon intérêt pour les sciences et ma passion pour les arts». Voilà déjà plus de 30 ans que l’ancien étudiant en botanique et autodidacte en arts a mis de côté ses pinceaux, son marteau et son burin pour les remplacer par des outils plus «technologiques»: des fibres optiques, des miroirs – qu’ils soient réfléchissants, semi-transparents ou dichroïques –, des verres structurés, des réflecteurs, des liquides et tout objet destiné à mettre en avant la lumière. Pour ses œuvres, il utilise autant que possible la lumière du jour et la complète, de nuit ou dans les bâtiments, avec de la lumière artificielle émise par des LED.
Un hommage à la beauté du Valais
Le passage reliant les deux bâtiments de la médiathèque de Sion est un fascinant exemple de la combinaison optimale de ces deux sources de lumière. La lumière naturelle pénètre dans le bâtiment à travers des ouvertures triangulaires tapissées de miroirs. Ces derniers ont la double fonction, d’une part, de créer un kaléidoscope pour l’observateur qui regarde à l’extérieur et, d’autre part, de projeter leurs multiples réflexions sur les murs intérieurs du bâtiment. Il en résulte un éclairage vivant, dont la position et l’intensité varie en fonction de l’heure et de la couleur du ciel. Pour assurer un apport de lumière suffisant par temps maussade, l’artiste l’a complété par un éclairage LED intégré également de forme triangulaire. Intitulée «Éclat minéral», cette œuvre rend, avec ses réflexions mouvantes telles que celles d’un cristal, un vibrant hommage à la beauté du Valais.
Une lueur pour un peu de chaleur
Daniel Schlaepfer aime particulièrement travailler avec la lumière du soleil. «La lumière naturelle est plus riche, plus pleine. Comment dire? Il est difficile de décrire la qualité de la lumière du point de vue émotionnel: il manque de mots adéquats», regrette-t-il. En témoignent notamment ses œuvres telles que «Contrepoint» au Centre professionnel d’Yverdon-les-Bains ou «Ciel étoilé 25.12.0000» dans le chœur de l’église du Saint-Rédempteur à Lausanne. Elles sont constituées de centaines de fibres optiques prises dans le béton, dont l’une des extrémités se trouve à l’extérieur du bâtiment, pour collecter la lumière du jour que l’autre libère à la surface de l’œuvre. Cette technique, très délicate lors du coulage du béton, donne naissance à une constellation animée dont le dessin varie au cours de la journée: les fibres situées à l’extérieur du bâtiment étant orientées dans une multitude de directions, les «étoiles» de l’œuvre émettent différentes couleurs et intensités; celles dont les fibres optiques sont dirigées vers notre astre paraissent plus grandes et brillent même comme de véritables petits soleils. «J’affectionne surtout les projets réalisés dans le domaine public, dont chacun peut profiter. Ils prennent tout leur sens s’ils peuvent procurer un instant de plaisir ou une lueur d’espoir dans un moment difficile», souligne l’artiste.
Rien de tel qu’un bel éclairage
Si la lumière naturelle est plus belle, si elle permet aux réalisations de «respirer», les œuvres qui y ont recours perdent malheureusement de leur intérêt la nuit ou quand il y a du brouillard, lorsque la lumière est très diffuse. Daniel Schlaepfer travaille donc aussi avec la lumière artificielle, notamment pour la réalisation d’éclairages de bâtiments.
Celui du Château de Caramagne lui a valu le Prix rhônalpin du patrimoine en 2010. En arrivant au portail de ce domaine situé sur la commune de Chambéry, le visiteur peut se laisser guider par la «chute d’étoiles», des pavés lumineux ponctuant l’allée, qui le mènera jusqu’au bâtiment principal. Toute la difficulté du projet a résidé dans la mise en valeur de la superbe façade peinte du château alors que rien ne permettait d’y cacher des luminaires. L’artiste s’est donc ingénieusement servi des puits de lumière virtuels peints au plafond de la loggia pour y installer ses sources lumineuses et donner un effet plus naturel à l’éclairage. Qui pourrait dire au premier coup d’œil que le fronton de la porte n’est qu’un trompe-l’œil? Le projet d’éclairage comprenait également les dépendances et a été complété à l’intérieur du bâtiment par la réalisation d’un ciel étoilé doté d’un éclairage artificiel, une fois n’est pas coutume, sur la voûte de la pièce principale.
Le mariage des technologies
Si son travail est essentiellement basé sur la lumière, Daniel Schlaepfer aime aussi utiliser simultanément plusieurs technologies. Pour le Centre d’exploitation des routes nationales de Bursins, il a combiné cellules photovoltaïques, fibres optiques et LED pour réaliser ses «Stèles lumineuses», un éclairage entièrement autonome suivant l’humeur du temps. Si la journée a été radieuse, les cellules photovoltaïques situées sur la partie inférieure des colonnes auront pu totalement charger leur batterie et l’éclairage sera intense et de différentes couleurs; en cas de temps gris, la charge sera moins élevée et la lumière émise sera plus pâle et d’une seule couleur.
Mais d’où l’artiste tire-t-il son inspiration? «Elle vient subitement... J’effectue souvent des recherches en atelier et j’emmagasine continuellement des idées. L’inspiration naît pour chaque projet en fonction du lieu et de l’architecture. Il reste ensuite à étudier la faisabilité et, si le projet nécessite des apports technologiques plus audacieux, à prendre contact avec des spécialistes pour éviter d’éventuels problèmes techniques», explique-t-il. «Mais une chose est certaine: les plus beaux projets sont ceux dont l’éclairage a été conçu dès le départ. On peut parfois résoudre un problème par un beau luminaire, mais dans l’idéal, il vaut mieux faire oublier qu’on a eu recours à une source de lumière artificielle», conclut Daniel Schlaepfer.
L’heure du départ a déjà sonné... En repartant par la Voie du Chariot, on découvre une autre facette de l’artiste, un hommage à la rivière du Flon qui y coule en profondeur, sa «Rivière aux cinq origines»: cinq blocs en marbre de Carrare blanc sculptés au sommet desquels jaillit de temps à autre l’essence de la vie. Comme quoi, l’artiste n’a pas complètement délaissé ses amours de jeunesse…
Informations complémentaires
- Daniel Schlaepfer, «Lumen et lux», éditions Infolio, Lausanne, 2012.
- dschlaepfer.com
Référence
[1] Libero Zuppiroli, Daniel Schlaepfer, «Lumières du futur», Presses polytechniques et universitaires romandes, Lausanne, 2011.
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