Le CAD: une solution pour l’avenir énergétique
Le projet Chauffage à distance Fribourg
En juillet 2019, Groupe E Celsius a annoncé la mise en réseau des centrales de chauffage à distance du Grand Fribourg sous l’égide «Chauffage à distance Fribourg». L’objectif global de ce projet majeur pour la région est d’inverser le ratio 75% d’énergie fossile/25% d’énergie renouvelable pour l’alimentation en chaleur.
Le Grand Fribourg englobe une population d’approximativement 80'000 habitants. Au cœur médiéval comptant un nombre important de bâtiments historiques protégés sont venus se greffer de nouveaux quartiers au fil des ans. Entre les années 1970 et 2000, ces zones ont subi une densification soutenue. Cette mixité complique les solutions de chauffage globales en raison de la présence simultanée de radiateurs et de chauffages au sol. L’agglomération a, de plus, été marquée une nouvelle fois par une phase de construction intense entre 2010 et aujourd’hui.
Qui dit densification, dit besoins en chaleur croissants: ceux des communes constituant le Grand Fribourg avoisinent 1000 GWh/an, tous utilisateurs confondus (privés, services, industries et pouvoirs publics). Comme partout en Suisse, les vecteurs énergétiques utilisés pour la production de chaleur sont principalement fossiles, avec une part d’environ 40% de mazout et de 32% de gaz, dont 12% sont utilisés pour couvrir des besoins industriels (figure 1).
Au vu de l’impact des énergies fossiles sur notre environnement, il est temps d’agir de manière décisive. Le défi, de taille, consiste donc à transformer rapidement cette fourniture de chaleur actuellement à 75% d’origine fossile en un approvisionnement principalement renouvelable à hauteur de 70 à 80%.
Une solution idéale
Le contexte énergétique global est marqué par le changement climatique, l’accord de Paris sur le climat et la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération. Cette dernière repose sur la mise en œuvre par les cantons de la loi sur l’énergie et sur une planification énergétique communale tenant compte du développement territorial. Ce contexte implique des changements drastiques des modes d’approvisionnement des bâtiments, surtout en ce qui concerne le chauffage. Dans les zones denses du Grand Fribourg, le chauffage à distance (CAD) constitue la solution idéale pour répondre au défi de la transition énergétique en matière de fourniture de chaleur.
Ce profond changement est encore accéléré par la mise en vigueur des règlements communaux d’urbanisme (RCU) dans le Grand Fribourg, ainsi que par les planifications énergétiques territoriales définissant des zones pour une production/un approvisionnement de chaleur principalement renouvelable, soit à plus de 70%, voire au minimum à 75% pour les réalisations Minergie. Cette évolution correspond parfaitement au cadre législatif posé par la Stratégie énergétique 2050 de la Confédération, la politique énergétique cantonale et communale, ainsi que par le déploiement historique des énergies de réseau.
La mise en service en 2001 de l’usine d’incinération des ordures ménagères Saidef au sud-est de Fribourg a constitué un jalon essentiel pour le développement du réseau. À l’époque, il s’agissait de construire une première branche pour fournir de la chaleur à la station de recherche agricole «Agroscope» de la Confédération à Posieux, suivie d’une seconde branche en direction de la ville, essentiellement dans le but de fournir en eau surchauffée un grand site de production laitier ainsi que l’Hôpital cantonal de Fribourg.
Une douzaine d’autres «noyaux» CAD urbains ont été construits les années suivantes dans le Grand Fribourg. Ces installations sont alimentées soit par du gaz, soit via des centrales de couplage chaleur-force (CCF). Aujourd’hui, l’ensemble de ces réseaux fournit environ 140 GWh de chaleur par année. Ce développement a été effectué parallèlement au réseau de gaz historiquement présent dans les zones denses de l’agglomération.
600 GWh d’ici 2035?
À terme, le chauffage à distance a le potentiel de remplacer tous les vecteurs énergétiques non renouvelables utilisés à des fins de chauffage, soit le mazout, le gaz (hormis le gaz utilisé dans l’industrie) et une partie des chauffages électriques directs.
Le taux d’énergie renouvelable moyen des réseaux CAD du Grand Fribourg est actuellement d’environ 68% sur les 140 GWh distribués (il s’agit majoritairement des rejets de chaleur de l’usine Saidef). Le défi consiste à maintenir, voire à augmenter le taux d’énergie renouvelable tout en augmentant fortement le volume CAD distribué. Une croissance des raccordements CAD de 20 à 30 GWh/an est envisageable pour atteindre 500 à 600 GWh/an en 2035 (figure 2).
Épuiser le potentiel des vecteurs énergétiques locaux
Il est certain que le recours au chauffage à distance n’a de sens que si le combustible utilisé est d’origine renouvelable. Au vu des quantités d’énergie et des puissances de fourniture en jeu, ce point constitue le plus grand défi à relever dans le développement du réseau. Deux conditions sont essentielles pour atteindre cet objectif. Il s’agit, en premier lieu, d’utiliser tous les vecteurs énergétiques disponibles sur le territoire du Grand Fribourg.
Une analyse précise par le biais d’études en planification énergétique a permis de quantifier les futurs besoins de chaleur, en fonction de l’évolution de la population et des activités dans les secteurs concernés. Les effets du réchauffement climatique, la rénovation du parc de bâtiments et la densification urbaine ont été pris en compte. In fine, seule l’utilisation de toutes les ressources permettra d’atteindre l’objectif fixé, soit fournir de la chaleur principalement renouvelable à la population du Grand Fribourg. Les vecteurs d’énergie primaire disponibles sont les suivants:
La chaleur issue de l’incinération des ordures ménagères est valorisée deux fois: d’une part, via une turbine destinée à la production d’électricité et, d’autre part, via l’injection directe de la chaleur dans le réseau de chauffage à distance. Cette chaleur est considérée comme 100% renouvelable puisqu’elle serait non valorisable ou perdue si elle n’était pas utilisée dans le réseau CAD. Actuellement, sur une année, environ 60% de cette chaleur est valorisée, principalement en hiver et à l’entre-saison (soit approximativement 80 GWh/an).
La station d’épuration (STEP) de la ville de Fribourg peut également fournir de la chaleur renouvelable via une récupération de l’énergie thermique avec des pompes à chaleur (PAC) à l’entrée et/ou à la sortie de la STEP. En effet, les processus de nettoyage nécessitent une température d’entrée des eaux usées bien définie et, à la sortie, les eaux propres ne peuvent être rejetées à une température trop élevée dans les rivières. Une récupération de l’énergie thermique des eaux pourra ainsi permettre de réguler les températures d’entrée et de sortie tout en valorisant la chaleur via le réseau de chauffage CAD. Le maximum de production se situe à environ 56 GWh/an.
Le Grand Fribourg est traversé par la Sarine, un affluent de l’Aar, et par la Gérine, un affluent de la Sarine. Plusieurs barrages jalonnent ces cours d’eau. Divers projets sont en cours d’élaboration afin d’utiliser cette énergie pour la fourniture de froid et de chaleur dans des installations combinées avec des pompes à chaleur. Si ces dernières fonctionnent avec de l’électricité renouvelable, la chaleur issue de ces centrales est également considérée comme renouvelable.
Le Grand Fribourg est bordé de forêts que les corporations forestières locales souhaitent mieux exploiter. Des centrales de production de chaleur sont ainsi projetées afin de valoriser le bois local sous forme de plaquettes forestières. Ce type de vecteur de chaleur est considéré comme 100% renouvelable.
La contribution de la géothermie profonde, qui en est à ses débuts, est potentiellement énorme. Des campagnes d’exploration sont planifiées pour 2020/2021 et ce type de projet est, en outre, soutenu par la Confédération.
Valoriser la totalité de l’énergie disponible
Il s’agit, en second lieu, de mutualiser l’énergie disponible à l’usine d’incinération Saidef. Hormis une période de trois semaines de pause en été destinée à la maintenance, celle-ci doit fonctionner toute l’année. Elle produit ainsi de la chaleur dite «fatale», car inévitable, due à la combustion des déchets. Cependant, en été et pendant une partie de l’entre-saison, il n’est pas encore possible de valoriser toute la chaleur disponible dans le CAD Fribourg dans sa présente configuration: les besoins des preneurs de chaleur actuellement raccordés sur les branches Saidef sont trop faibles pendant cette période. Afin de pouvoir valoriser toute la chaleur excédentaire de l’usine d’incinération, une connexion avec les autres noyaux CAD présents dans les zones denses du Grand Fribourg est nécessaire (figure 3). Cette mise en réseau permettra dans le futur de mutualiser et de valoriser la totalité de l’énergie disponible à l’usine Saidef, soit environ 140 GWh/an.
Une valorisation, par le biais de l’interconnexion des réseaux et d’une croissance via une densification, de la totalité de la chaleur produite en été par l’usine d’incinération signifie également que ce vecteur d’énergie renouvelable ne suffira plus à maintenir la part renouvelable du réseau au-delà de 75% en hiver, ainsi que pendant une bonne partie de l’entre-saison.
Afin de combler ce manque, la mise en place de plusieurs centrales de production de chaleur renouvelable sera nécessaire. Les projets en étude incluent des centrales dotées de pompes à chaleur de taille industrielle ainsi que des installations alimentées par du bois. La croissance du réseau va se poursuivre pendant 10 à 20 ans, ce qui impliquera la mise en œuvre d’une capacité de production de chaleur renouvelable supplémentaire d’environ 60 à 80 MW. La mise en service de centrales de production de chaleur renouvelable en fonction de la croissance du réseau et de sa densification permettra d’y maintenir le taux d’énergie renouvelable à un minimum de 75%.
Dans le but d’assurer une fourniture fiable en tout temps avec une redondance par secteur et de garantir suffisamment de puissance pendant les périodes de grand froid, des centrales à gaz d’une puissance de 60 à 80 MW seront également installées. Cette mise à disposition de «capacité» via un vecteur énergétique fossile est souvent un sujet sensible, mais le choix d’y recourir se justifie par le faible taux d’utilisation annuel (quelques centaines d’heures) et le bas prix des installations à gaz par rapport à celui des installations de production de chaleur renouvelable (facteur 7 à 9, environ).
Exploitation du réseau CAD Fribourg une fois terminé
Bien qu’un projet tel que le Chauffage à distance Fribourg soit sans cesse réévalué en raison de questions liées au développement territorial, il est prévu qu’il soit idéalement constitué de 15 à 20 centrales de production, qui fourniront environ 600 GWh de chaleur renouvelable à un réseau maillé, et qu’il soit géré via un unique centre de conduite. Les centrales de production de chaleur renouvelable seront placées plutôt en périphérie, en raison de leur dimension et de leur accessibilité (centrales à bois), tandis que les centrales à gaz d’appoint et de secours se trouveront principalement dans des sous-sols d’immeubles situés au centre-ville.
Les centrales fonctionneront également comme relais de pompage afin d’optimiser l’utilisation des vecteurs énergétiques les moins coûteux du moment. Une utilisation bidirectionnelle du réseau et la gestion intelligente des clients en feed-back permettra une optimisation de la distribution et la maîtrise des coûts. Une utilisation intelligente des divers vecteurs énergétiques selon les prix du marché à différentes périodes de la journée et/ou de la saison, ne permettra pas seulement d’offrir un prix de la chaleur compétitif, mais probablement aussi d’augmenter le taux de chaleur renouvelable au-delà de 80 ou 90%.
Avec une production combinée de chaleur et de froid via des pompes à chaleur et une injection dans les réseaux de chauffage et de refroidissement à distance disponibles dans des zones bien spécifiques, le CAD Fribourg représente également un exemple de convergence des réseaux. L’utilisation des PAC à des moments précis permettra également un délestage du réseau électrique et/ou un fonctionnement à très bas coût, selon l’évolution des pics de production d’électricité renouvelable.
Un élément-clé de la transition énergétique
Le Chauffage à distance Fribourg représente l’aboutissement de la volonté conjointe des autorités locales, de Groupe E et des ingénieurs-développeurs, de passer de la phase de l’étude de faisabilité à celle de la réalisation. Une solution ambitieuse dans un environnement géographique complexe a ainsi pu voir le jour. Une gestion intelligente et intégrée permettra de gérer le réseau de manière optimale et, surtout, offrira un plus grand confort au preneur de chaleur. Le bouclage du réseau maillé assurera en outre une sécurité d’approvisionnement encore plus élevée. Et l’on pense déjà à demain, puisqu’une partie des installations pourra aussi servir à la production de froid. Le Chauffage à distance Fribourg devient ainsi un élément-clé de la transition énergétique de la chaleur du Grand Fribourg.
Commentaire