L’acquis communautaire évolue
La Suisse et l’Europe
Le Green Deal européen entend mener l’UE vers la neutralité climatique d’ici à 2050 – ce qui aura aussi des conséquences pour la Suisse et son secteur énergétique.
Le 11 décembre 2019, la Commission européenne a publié sa communication sur le Pacte vert pour l’Europe (Green Deal) : y sont présentées quelque 50 mesures qui doivent contribuer à une UE durable, préservant les ressources et atteignant la neutralité climatique. Une partie des mesures concerne le secteur énergétique, et en particulier le secteur électrique. L’année prochaine, la Commission européenne soumettra toute une série de propositions législatives, notamment concernant la révision de la directive sur les énergies renouvelables, de la directive sur l’efficacité énergétique et du système d’échange de quotas d’émission, mais aussi concernant l’intégration des secteurs, l’économie de l’hydrogène et le remaniement du marché intérieur du gaz naturel. Conséquence : les paramètres et, peut-être aussi, les disparités de régulation entre la Suisse et l’UE vont changer. Si l’on considère la collaboration entre la Suisse et l’UE dans le secteur électrique ainsi qu’un possible accord sur l’électricité, cette nouvelle donne n’est pas sans importance.
« L’Union européenne sera climatiquement neutre d’ici à 2050 ! » – c’est cet objectif que poursuit le Pacte vert pour l’Europe. La base politique pour l’objectif 2050 réside dans une déclaration des chefs d’État et de gouvernement de décembre 2019, laquelle stipule que l’Europe doit devenir le premier continent climatiquement neutre du monde. À ce sujet, seul un État membre de l’UE, la Pologne, a émis une réserve : il ne s’agit pas d’une opposition de principe, mais cette dernière concerne le rythme de la décarbonation ; actuellement on ne sait pas trop dire si l’UE pourra décrocher le consentement de la Pologne.
Pacte vert pour l’Europe
Le Pacte vert pour l’Europe est la plus importante des six priorités de la Commission européenne pendant la législature 2019–2024. Au vu de l’envergure du paquet de mesures et de la portée des nombreuses mesures individuelles, le Pacte vert pour l’Europe définira en même temps les conditions-cadre du secteur énergétique européen des années, peut-être même des décennies à venir. L’un des défis particuliers réside dans le fait que les mesures prévues se situent dans d’autres domaines politiques, mais touchent des sujets centraux du secteur électrique ; citons par exemple la stratégie de l’UE sur les finances durables, qui contient certaines prescriptions très détaillées (« actes délégués ») sur l’évaluation des technologies de production ce qui a des conséquences énormes sur le (re)financement de projets énergétiques. L’élaboration de ces prescriptions n’a pas été confiée à la direction générale de la Commission européenne compétente pour l’énergie et, surtout, n’a pas inclus en toute transparence le secteur énergétique européen.
Législation européenne sur le climat
Le cœur du Pacte vert pour l’Europe, c’est la législation européenne sur le climat : la Commission européenne avait publié la proposition législative correspondante le 4 mars 2020. Rédigée sous la forme d’un règlement directement applicable dans les États membres de l’UE, elle a pour objectif de programmer la neutralité climatique de l’UE d’ici à 2050, de manière contraignante et irréversible. La proposition d’origine de la Commission pour la législation européenne sur le climat prévoyait un objectif intermédiaire de 40 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins d’ici à 2030 ; le critère de comparaison étant 1990. À l’occasion de son discours sur l’état de l’Union européenne le 16 septembre 2020, la présidente de la Commission Ursula von der Leyen a proposé de rehausser l’objectif intermédiaire à 55 % d’émissions de gaz à effet de serre en moins et a durci après coup sa propre proposition de loi. Évoquons ici que l’augmentation à 55 % était la promesse électorale d’Ursula von der Leyen au groupe des verts et des socio-démocrates du Parlement européen préalablement à son élection. Dans le cadre de la procédure législative en cours, le Parlement européen a renchéri sur la requête d’un durcissement de l’objectif de diminution des gaz à effet de serre de l’UE d’ici à 2030 : il demande une réduction de ces émissions de 60 % ; en outre, non seulement l’UE dans son ensemble, mais aussi chaque État membre de l’UE individuellement devrait, selon le Parlement, atteindre l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050. Les États membres de l’UE ne se sont pas encore positionnés ; une décision politique est attendue à l’occasion de la séance des chefs d’État et de gouvernement des États membres de l’UE, autrement dit le Conseil européen, les 10 et 11 décembre 2020.
Covid-19 et financement
Dans le contexte de la crise économique engendrée par les mesures Covid-19, crise qui se poursuit, une suspension du Pacte vert pour l’Europe a été demandée au printemps 2020 par une partie des États membres de l’UE. Finalement, c’est une autre approche qui s’est imposée en lien avec la mise à disposition d’importants moyens financiers : les moyens dégagés pour surmonter la crise économique doivent en même temps servir à la transformation de l’Union européenne au sens du Pacte vert pour l’Europe. On négocie actuellement sur une légère hausse du budget de l’UE pour la période 2021–2027 (cadre financier pluriannuel), budget qui atteindrait alors 1074 milliards d’euros. Il faut toutefois tenir compte du fait que le deuxième plus gros contributeur, le Royaume-Uni, fera défaut suite au Brexit. Pour compenser cela, les autres contributeurs nets doivent verser des contributions plus élevées. Dans le cadre d’un sommet de crise en juillet 2020, 750 milliards d’euros supplémentaires ont été consentis pour le redressement de l’économie (Plan de relance pour l’Europe). Ce qui est déterminant, c’est qu’au moins 30 % du total de 1800 milliards d’euros doivent servir à la protection du climat ou à des projets durables au sens du Pacte vert pour l’Europe ; les projets qui sont souhaitables d’un point de vue politique pourraient ainsi tabler sur des subventions conséquentes. Le cadre financier pluriannuel 2021–2027 et le Plan de relance pour l’Europe sont en cours de procédure législative au sein de l’UE.
Une vague de procédures législatives
Les préparatifs d’une vague de procédures législatives pour la mise en œuvre du Pacte vert pour l’Europe ont actuellement lieu : la publication des propositions législatives correspondantes par la Commission européenne est attendue à partir de juin 2021. En font notamment partie les révisions de lois existantes qui ont été dernièrement remaniées dans le cadre du Clean Energy Package, par exemple : la révision de la directive sur les énergies renouvelables, la révision de la directive sur l’efficacité énergétique ou la révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments. Pour cela, la Commission européenne selon les prévisions va faire usage des clauses de révision contenues dans le Clean Energy Package afin de durcir à la fois l’objectif actuel sur les énergies renouvelables, dont la part dans la consommation d’énergie finale de l’UE doit atteindre 32 % d’ici à 2030, et l’objectif en matière d’efficacité énergétique, qui doit atteindre 32,5 % par rapport à 2005 d’ici à 2030.
D’autres révisions annoncées pour juin 2021 concernent le système d’échange de quotas d’émission, la réserve de stabilité du marché ainsi que la directive sur la taxation de l’énergie. Là, on aura d’une part une extension du système d’échange de quotas d’émission à d’autres secteurs, tels que la mobilité ainsi que le secteur immobilier, qui n’ont jusqu’à présent apporté qu’une contribution limitée aux réductions des gaz à effet de serre. D’autre part, la révision de la réserve de stabilité du marché doit empêcher des fluctuations extrêmes des prix. La révision de la directive sur la taxation de l’énergie, datant de 2003, doit quant à elle mettre fin aux distorsions de concurrence au profit des carburants fossiles.
Par ailleurs, il faut aussi s’attendre à de nouvelles propositions législatives dans les domaines suivants : mise en œuvre de la stratégie sur l’hydrogène et développement d’une industrie européenne de l’hydrogène, mise en œuvre de l’intégration des secteurs, introduction d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ainsi que mise en œuvre de la stratégie sur le méthane afin de réduire les émissions de méthane. L’économie hydrogène européenne fait l’objet d’attentes très élevées : elle doit faire avancer la décarbonation dans tous les secteurs qui ne sont pas accessibles directement aux énergies renouvelables via l’électrification. Cela concerne en particulier les secteurs de l’industrie lourde et le transport lourd sur route, rail, eau et dans les airs. L’UE part en outre du principe que le développement massif des énergies renouvelables engendrera des besoins plus élevés en solutions de stockage. La possible combinaison entre l’hydrogène et l’infrastructure gazière existante doit notamment permettre de résoudre le problème du stockage saisonnier. Dans ce contexte, le marché intérieur européen du gaz naturel et la conception du marché du gaz seront remaniés afin de permettre aux molécules durables au sens large – par exemple l’hydrogène vert, le biogaz, le gaz de synthèse – de prendre leur envol sur le marché grâce à un encouragement ciblé.
Mise en œuvre du Clean Energy Package
Au vu de la vague législative qui se profile, on ne doit pas oublier que la mise en œuvre du Clean Energy Package et des huit lois qu’il contient est encore en cours ou à venir. De grands défis résultent par exemple de la « clause des 70 % » figurant dans le règlement sur le marché intérieur de l’électricité, en vigueur depuis début 2020. Actuellement, la question de savoir si et comment les États membres de l’UE vont atteindre l’objectif de mettre à disposition 70 % des capacités transfrontalières pour le négoce d’ici à 2025 est encore en suspens, tout comme celle des répercussions sur l’utilisation des capacités transfrontalières avec la Suisse et sur les flux d’électricité dans le réseau électrique suisse.
D’autres défis se font jour pour le secteur électrique suisse dans le contexte de la révision, entrant en vigueur au 1er juillet 2021, de la directive sur les énergies renouvelables : cette révision prévoit que les États membres de l’UE ne soient plus autorisés à reconnaître les garanties d’origine d’États tiers que s’il y a un accord sur la reconnaissance mutuelle des garanties d’origine. Or, aucun accord de ce type n’existe entre la Suisse et l’UE, et il faut partir du principe que la Commission européenne associe politiquement un tel accord à la question plus générale d’un accord-cadre. Ainsi, le secteur électrique suisse perdra l’UE comme marché d’exportation pour les garanties d’origine suisses.
Impact pour la Suisse
Dans le cadre du Pacte vert pour l’Europe, la façon dont l’Europe travaille, vit, loge, mange et bouge doit être méthodiquement axée sur l’objectif de neutralité climatique d’ici à 2050, le secteur énergétique assumant là un rôle central. La transformation radicale du secteur énergétique, en lien avec les moyens publics importants mis à disposition et en combinaison avec un éventuel assouplissement du droit des aides d’État, pourrait entraîner d’autres distorsions du marché qui toucheraient aussi le secteur électrique suisse en tant que preneur de prix.
Parmi les aspects positifs, citons au contraire le couplage du système suisse d’échange de quotas d’émission à son pendant européen : ce couplage est la preuve que la politique et les objectifs climatiques de la Suisse répondent aux ambitions de l’UE, raison pour laquelle, d’une part, aucun mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ne devrait s’appliquer à la Suisse. En même temps, dans le contexte du Pacte vert pour l’Europe, on entend régulièrement parler d’un « continent » climatiquement neutre – ce qui inclut la Suisse. Des possibilités de collaboration s’offrent ici, de même que l’option de jeter dans la balance, en vue d’une amélioration de la collaboration à l’avenir, la branche électrique suisse et ses installations – réseaux électrique et gazier, production et stockage –, ainsi que leur contribution à réaliser les objectifs énergétiques et climatiques, pour stabiliser le réseau et pour mieux intégrer l’Italie dans les marchés liquides du nord-ouest de l’Europe.
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