La transition énergétique chinoise
Un enjeu essentiel pour le climat
À elle seule, la Chine émet actuellement plus de 50% des nouvelles émissions mondiales de CO2. Il est donc crucial pour tous qu’elle réalise dès que possible sa transition énergétique. Elle a récemment décidé d’atteindre l’objectif zéro émission nette en 2060. Mais est-ce réaliste? En tout cas, les motivations ne manquent pas et elle a les moyens d’y parvenir.
Depuis 2007, la Chine détient le privilège peu enviable d’être le plus important émetteur de CO2 au monde. Ses émissions sont en effet actuellement estimées à 38% du total des émissions mondiales (figure 1). Qui plus est, depuis 2011, elle brûle plus de charbon que l’ensemble du reste du monde. Au cours des 10 dernières années, elle a aussi émis à elle seule plus de 50% du CO2 additionnel relâché dans l’atmosphère. Elle a même réussi à augmenter sa consommation d’énergies fossiles en 2009 et 2020, alors que les USA et l’Europe ont réduit les leurs durant ces années de crises économiques.
Les chiffres qui précèdent indiquent on ne peut plus clairement que le défi climatique planétaire ne peut être gagné que si la Chine réussit sa transition vers une économie décarbonée.
Atteindre l’objectif zéro émission nette en 2060
Heureusement, les élites politiques et scientifiques chinoises sont convaincues du rôle du carbone dans le réchauffement climatique. La population chinoise est, par ailleurs, de plus en plus concernée par la qualité de son environnement. En conséquence, le gouvernement chinois s’est fixé deux objectifs clefs: atteindre le pic d’émissions de CO2 en 2030 et l’objectif zéro émission nette en 2060.
Mais quelles sont les chances que la Chine réussisse sa transition énergétique? Au vu de l’enjeu climatique, la question est d’importance pour tous. Un premier élément de réponse réside dans les raisons qui incitent le pays à réduire ses émissions de CO2.
Une question de santé publique
La motivation première est l’impact environnemental, sur son propre territoire, de son importante consommation d’énergies fossiles. Cette dernière représente, avec 56% de charbon et 19% d’hydrocarbures liquides, près de 75% de sa consommation énergétique totale (figure 2). Or, la pollution générée par la combustion de ces carbones est cause d’importants problèmes de santé. Les habitants du nord de la Chine – où une plus grande proportion de charbon est brûlée pour les besoins en matière de chauffage – ont en effet une espérance de vie réduite de 5 ans par rapport au reste de la population. Les études réalisées à ce propos ont attribué ce déficit à la plus grande pollution de l’air qui prévaut dans les régions froides du pays.
Or, pour des raisons culturelles et historiques, les Chinois attachent une importance prépondérante à leur santé. On peut en trouver la raison dans le fait que les religions et philosophies chinoises, comme l’idéologie communiste, ne conçoivent pas de vie dans l’au-delà: lorsqu’on n’a qu’une seule vie, on tend à en prendre soin! C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles le gouvernement reste fixé sur sa politique zéro Covid qui paraît incompréhensible dans le reste du monde.
Réduire la consommation d’hydrocarbures, et de charbon en particulier, est donc essentiel pour améliorer la santé publique; mais elle l’est aussi pour éviter un mécontentement de la population. En effet, en Chine, la plus grande partie des manifestations de protestation contre les autorités est liée à la détérioration de l’environnement.
Un marché alléchant
Une autre motivation directe en vue de la transition vers une économie zéro émission nette est l’immense marché que les technologies durables vont représenter.
La Chine est déjà le leader mondial en matière de fabrication de panneaux solaires (elle en produit plus de 80%), de batteries rechargeables (76%) et d’éoliennes (plus de 50%). Elle se positionne en outre activement pour devenir un exportateur de véhicules électriques. Elle est donc très bien placée pour faire partie des principaux acteurs mondiaux dans le secteur des énergies renouvelables, qui va connaître une très forte demande dans les décennies à venir.
En soutenant le marché local des énergies vertes, la Chine peut développer les technologies et capacités qui lui permettent de conquérir ces énormes nouveaux marchés globaux. Et ces nouvelles exportations sont bienvenues pour remplacer les productions chinoises bas de gamme qui se délocalisent vers l’Asie du Sud-Est et vers d’autres lieux de production à bas coûts.
Des considérations politiques
Une considération moins directe, mais tout aussi importante pour les planificateurs chinois, est la sécurité énergétique du pays. La Chine dépend à environ 24% de l’étranger pour sa consommation d’hydrocarbures (pétrole, gaz et charbon). Même si une proportion croissante de ces vecteurs énergétiques est fournie par la Russie – par le biais de pipelines moins vulnérables que les voies maritimes –, ce pays n’est un allié de la Chine que depuis les années 1990. Des revirements sont toujours possibles et il est donc d’intérêt national de réduire la dépendance énergétique de la Chine vis-à-vis de l’étranger.
À ces motivations s’ajoute aussi l’intérêt général de la Chine à réduire le réchauffement climatique, dont elle souffre proportionnellement plus que d’autres régions du globe. Planifier une transition vers le zéro émission nette lui permet en outre de se présenter comme un acteur responsable sur la scène internationale; ou d’utiliser les négociations climatiques pour atteindre ses buts diplomatiques. La Chine a par exemple interrompu le dialogue sur le climat avec les USA comme mesure de rétorsion à la suite de la visite de Nancy Pelosi à Taiwan.
La Chine peut-elle réussir sa transition énergétique?
La motivation est donc certainement là, mais est-ce que la Chine a les capacités nécessaires pour réaliser ce changement véritablement titanesque en temps voulu?
Technologiquement, le pays a développé une expérience considérable dans la gestion de la production et du transport d’électricité. En 30 ans de résidence à Shanghai, l’auteur de cet article n’a pas vécu un seul blackout. En outre, la Chine est déjà le plus gros investisseur, producteur et consommateur en matière d’énergies renouvelables au monde: en 2021, 30% des nouvelles capacités installées à l’échelle mondiale, l’ont été en Chine. On a donc toutes les raisons de penser que ce pays va devenir un très gros contributeur mondial à la décarbonisation.
Quel intérêt pour la Suisse?
La crise énergétique actuelle a clairement mis en évidence la dépendance européenne vis-à-vis des énergies fossiles russes. La prise de conscience au niveau individuel est extrêmement rapide et offre l’opportunité d’accélérer la transition énergétique suisse. De fait, les toits de ses bâtiments sont étonnamment peu recouverts de panneaux solaires; et les propriétaires immobiliers sont de plus en plus intéressés à en installer.
La Suisse est toutefois confrontée à une pénurie de matériel pour l’installation de capacités supplémentaires d’exploitation des énergies renouvelables, notamment dans les secteurs du photovoltaïque et de la géothermie. La Chine, avec ses énormes capacités de production et une économie faible en ce moment, a certainement les moyens de lui fournir ce matériel. Libre à la Suisse de saisir cette occasion et de transformer cette crise en opportunité...
Référence
[1] Adaptation d’une figure de Hannah Ritchie et Max Roser, publiée ici, license CC BY-SA 4.0.
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