Interview

La réelle valeur de l’IA pour l’entreprise

Intelligence artificielle

07.12.2021

Au cours des 10 dernières années, certaines entreprises ont appris à utiliser les algorithmes d’intelligence artificielle (IA) afin de créer de nouveaux modèles d’affaires. À quoi ressemblent-ils? En quoi l’IA joue-t-elle un rôle critique? Comment faire évoluer son modèle d’affaires vers le business 4.0? Petit tour d’horizon avec Lev Kiwi.

Bulletin : Monsieur Kiwi, à quoi ressemblent les nouveaux modèles d’affaires?

Lev Kiwi: En 2021, il est tentant de penser qu’il y a autant de modèles d’affaires qu’il existe d’entreprises. Chacune de ces dernières, avec sa particularité et sa façon de faire, essaie de se distinguer de la concurrence. Le professeur Wolfgang Henseler a pourtant réussi à les regrouper en quatre grandes catégories, selon leurs degrés de digitalisation, et en s’intéressant aux canaux d’accès qu’a l’entreprise avec le client. Tout d’abord, le Business 1.0 (monocanal) qui se caractérise, à mon avis, par une digitalisation minimale. On y trouvera le boulanger du coin, avec une recette de pain qui se transmet de père en fils depuis six générations. L’accent est mis sur le produit, et les clients y accèdent souvent via l’établissement. Le site Internet, s’il existe, permet essentiellement de fournir les coordonnées du magasin.

Du moment où l’entreprise décide d’avoir une réelle stratégie digitale, on passe au Business 2.0 (multicanal). Ce modèle d’affaires date du début des années 2000 et de l’essor d’Internet. La priorité est mise sur le site web. Lorsque ce dernier est bien fait, l’enseigne n’est plus nécessaire et le client interagit avec le produit via le site. L’exemple typique est le commerce en ligne. Malgré l’essor d’Internet, certains acteurs conservent des établissements physiques. Cependant, les enseignes physiques servent dorénavant une autre cause. Prenez par exemple le cas des Apple Store. Leurs commerces n’ont pas pour fonction de vendre les produits de la marque, mais de servir les clients ou encore de promouvoir l’image de la marque.

Et quel a été le déclencheur du modèle d’affaires 3.0?

C’est le smartphone qui a imposé au Business de se réinventer à nouveau pour atteindre le modèle d’affaires omnicanal. Dans ce cas de figure, l’entreprise doit gérer l’utilisateur à travers des canaux différents. C’est le cas des commerces en ligne les plus évolués, comme Galaxus. En rentrant du travail, je consulte mon smartphone pour chercher un article que je vais placer dans mon panier. Ce n’est qu’une fois rentré à la maison, devant mon écran, que je vais retourner à mon panier et finaliser ma commande à l’aide de mes coordonnées bancaires. Tellement impatient, je ne vais pas attendre la livraison, mais chercher ma commande au magasin le lendemain sur le chemin du travail. Dans ce modèle, l’entreprise doit gérer l’expérience du client via de multiples appareils et cela de façon intégrée. De nos jours, il s’agit d’une expérience standard sur Internet.

Aussi évolué que soit le modèle d’affaires d’une entreprise dans la digitalisation de l’expérience avec son client, il n’en démord pas qu’elle reste centrée sur son produit. La manière dont le client y accède évolue, mais ce dernier doit savoir ce qu’il veut et comment se procurer le produit. Et dans un marché de plus en plus concurrentiel, le produit n’est pas suffisant pour se démarquer à lui seul.

Qu’est-ce qui va faire la différence ?

On va s’intéresser à l’expérience de l’utilisateur. Concrètement, le produit va devoir s’intégrer à l’écosystème de l’utilisateur et potentiellement s’interfacer avec d’autres produits et solutions que ce dernier possède. On parle ainsi de Business 4.0 (Smart Ecosystem). Amazon est très fort dans le domaine. Pour tout article acheté, l’utilisateur se voit suggérer d’autres articles susceptibles de l’intéresser en complément de son achat. Un acteur comme Apple a même compris qu’il était possible de vendre un écosystème et une expérience utilisateur plutôt que de simples produits. Contrairement à Apple, la plupart des modèles d’affaires vont cependant devoir interagir avec d’autres acteurs.

À mes yeux, l’exemple le plus parlant d’un Smart Ecosystem est à trouver dans les transports publics. Par le passé, on achetait un ticket de transport donnant accès à un certain mode de transport pour aller d’un point de départ à un point d’arrivée. Aujourd’hui, les sociétés de transports publics ont évolué et proposent une multitude de billets (trajet, zone tarifaire, carte journalière, etc.), au point où il existe plusieurs possibilités de titres de transports pour un même service. Cette nouvelle réalité voit l’émergence de nouvelles sociétés comme Fairtiq, qui propose d’effectuer l’achat du billet à la fin de la course et au meilleur tarif possible. L’application mobile va traquer les déplacements en transports publics de la personne et lui proposer le titre de transport le plus approprié. Cette nouvelle façon de voyager remet l’utilisateur au centre de son expérience. Ce dernier va générer, par ses comportements, des données qui seront recueillies à l’aide de capteurs judicieusement pensés. Ces données vont ensuite alimenter une intelligence artificielle qui va anticiper le besoin de l’utilisateur.

Et l’IA dans la branche électrique ?

Cette évolution vers le Business 4.0 peut aussi se voir chez les GRD. La transition énergétique, cumulée à une libéralisation du marché plus que probable, crée un contexte qui force les GRD à réinventer leur modèle d’affaires. À l’heure actuelle, la majorité des clients sont captifs et les GRD ont le monopole pour leur région. Cependant, ceci ne sera certainement plus le cas dans quelques années, avec des utilisateurs qui auront le choix de leur fournisseur d’énergie.

Un bon exemple pour illustrer le changement de paradigme avec focalisation sur l’expérience de l’utilisateur: le parking intelligent. À l’aide d’une technologie comme le Vehicle-to-Grid (V2G), un modèle d’affaires récent suggère d’utiliser les voitures comme des batteries afin, d’une part, de stocker l’énergie des panneaux électriques et, d’autre part, de recharger les autres voitures. Ainsi, un pendulaire peut arriver au parking le matin, brancher sa voiture électrique et confirmer dans une application mobile qu’il ne va partir qu’à 17:00. De la sorte, une IA sait que pour 17:00 elle doit avoir rechargé la voiture. De plus, elle peut utiliser la batterie de cette dernière durant la journée pour en recharger d’autres si jamais il y a quelques nuages durant la journée, réduisant ainsi le tarif pour l’usager. Naturellement, ce genre de modèle d’affaires s’appuie lourdement sur l’intelligence artificielle et les données. Un tel exemple illustre bien comment, à l’avenir, le GRD ne sera plus uniquement un revendeur d’agents énergétiques, mais vendra surtout une expérience énergétique pour son client.

À quelle vitesse peut-on passer en 4.0?

En règle générale, ce changement de paradigme vers une expérience centrée sur l’utilisateur doit être accompagné d’une plus grande maturité analytique. Une entreprise ne crée pas un modèle d’affaires 4.0 du jour au lendemain. Il faut pour cela cultiver au sein de son entreprise une littératie des données, conceptualiser les données de son entreprise comme une ressource stratégique, soutenir les décisions à l’aide de ces dernières et se centrer de plus en plus sur l’expérience utilisateur. Ce processus est au final un investissement auprès des employés à tous les niveaux et peut prendre du temps; mais n’en vaut-il pas la chandelle?

Auteure
Valérie Bourdin

est rédactrice AES.

  • AES,
    1003 Lausanne

En quelques mots

Au bénéfice d’un Master of Science en mathématiques de l’EPFL et d’un Doctorat de l’Université de Fribourg, Lev Kiwi travaille actuellement pour Trivadis – part of Accenture en tant que consultant senior en AI, Data Science & Business Analytics. Avec ses compétences analytiques, il aide ses clients à résoudre des problèmes complexes et à exploiter les données de ces derniers de façon intelligente. De plus, il enseigne la science des données à la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale en tant que chargé de cours et inspire de jeunes informaticiens à l’ingénierie des données. En parallèle, il suit des études en psychologie, afin de mieux comprendre les comportements humains et le fonctionnement de la pensée humaine.

Commentaire

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