L’indispensable gestion intégrée de l’eau
Le château d’eau du Valais soutient la Suisse de l’énergie
À l’horizon 2050, les collectivités valaisannes détiendront la majorité de la force hydraulique du canton au service de la transition énergétique suisse. Une excellente occasion de mettre en place une gestion efficiente de l’eau, en fonction de ses nombreux usages, dans le contexte du dérèglement climatique.
L’été 2022, la Suisse a subi une sécheresse exceptionnelle affectant l’approvisionnement en eau jusque dans les alpages. Si cette saison estivale se classe parmi les plus sèches jamais enregistrées, la Suisse a connu l’année la plus chaude et, dans certaines régions, la plus ensoleillée depuis le début des mesures en 1864, selon Météosuisse. Le faible niveau d’eau du Rhône début décembre n’était pas seulement visible à l’œil nu. L’infiltration dans la nappe phréatique a été aussi réduite, avec des répercussions négatives directes sur les eaux souterraines. Les spécialistes du climat affirment que ces événements naturels extrêmes vont se multiplier dans les années à venir.
Sécheresse, crues, fonte des glaciers: l’eau est depuis longtemps une préoccupation majeure pour les communes valaisannes, en tant que propriétaires des affluents du Rhône. Pour le Valais, château d’eau de la Suisse, elle est surtout une ressource précieuse qui doit être gérée et valorisée de façon optimale dans le contexte du dérèglement climatique.
Une vision suprarégionale pour répondre aux besoins croissants
Christophe Beney, le président d’Ayent (VS), plante le décor: «Il est encore difficile d’évaluer l’impact de la future disparition du glacier du Wildhorn sur le volume d’eau disponible dans le bassin versant, mais nous nous attelons à l’étudier. Le barrage de Zeuzier constitue en revanche une réserve permanente d’eau potable qui permet de faire face à des épisodes de longue sécheresse, comme ce fut le cas en 2022.»
Plus haut dans la vallée du Rhône, la région de Naters est également fortement touchée par le retrait des glaciers. Pour répondre aux besoins futurs de la population, de l’agriculture de montagne ou du tourisme, la commune devra développer son infrastructure à long terme. «En raison de l’augmentation des besoins en eau due à la croissance constante de la population et aux futurs besoins de Lonza AG, l’optimisation des approvisionnements en eau et l’exploitation des synergies dans l’agglomération revêtent une importance de plus en plus grande», explique la présidente de Naters, Charlotte Salzmann-Briand. «Cela implique une collaboration au-delà des frontières communales.» En ce sens, le Valais devrait être considéré comme un bassin versant unique, dans une vision suprarégionale qui pourrait permettre de développer une infrastructure coordonnée.
Une stratégie cantonale pour une ressource précieuse
L’enjeu est de taille pour garantir la satisfaction de besoins croissants, dans un contexte de changement climatique et de menaces pour la biodiversité. Et c’est là qu’intervient le canton, propriétaire du Rhône, la colonne vertébrale hydraulique du Valais. En précurseur, il s’est ainsi doté dès 2014 d’une «stratégie eau» afin de garantir une gestion intégrée de cette ressource dans une vision durable et à long terme. La multifonctionnalité de l’eau – c’est-à-dire tous les usages qui peuvent en être faits – doit systématiquement être prise en compte dans tout projet lié à son utilisation afin de préserver au mieux les différents intérêts en jeu. «Cette stratégie fixe le cadre, donne des impulsions et peut ponctuellement soutenir les acteurs de terrain, en premier lieu les communes», résume Franz Ruppen, le chef du Département valaisan de la mobilité, du territoire et de l’environnement, chargé du dossier.
Pour aborder de façon coordonnée ces problématiques complexes relevant de la compétence des communes, celles-ci doivent pouvoir s’appuyer sur une véritable expertise. «Réunir l’ensemble des connaissances disponibles représente un grand défi», ajoute le conseiller d’État. «En ce sens, la création d’un poste de délégué aux questions relatives à l’eau, apte notamment à coordonner les travaux en cours, est devenue une priorité.» Il est en effet nécessaire d’avoir cette vue d’ensemble afin d’assurer une utilisation rationnelle et efficiente de l’eau partout en Valais. Et c’est sur cette base suprarégionale que la gestion de l’eau pourra être appréhendée de manière coordonnée. «Dans le contexte actuel influencé par le changement climatique, il importe de s’assurer que la prise de décision, quant aux mesures d’adaptation à privilégier, puisse s’appuyer sur des informations consolidées. Plusieurs acteurs, dont les Forces Motrices Valaisannes (FMV), jouent à ce titre un rôle important», précise Franz Ruppen.
Une boîte à outils indispensable aux collectivités publiques
Jusqu’à présent, la multifonctionnalité de l’eau était prise en compte dans les aménagements hydroélectriques existants, pour l’alimentation de bisses d’irrigation, par exemple.
Aujourd’hui, les retours des concessions et les projets d’extension de l’hydroélectricité représentent une grande opportunité pour les collectivités publiques valaisannes d’assurer une stratégie de l’eau durable. Dans ce contexte, FMV, impliquée dans ce double processus, constitue tout naturellement une sorte de boîte à outils intelligente dans la mise en œuvre de la multifonctionnalité de l’eau. Grâce à sa présence à terme sur l’ensemble des grands aménagements hydroélectriques du canton, FMV, en mains des communes et du canton, sera à même d’identifier les synergies et opportunités envisageables de manière locale et transversale.
Le président d’Ayent confirme: «Le rôle de FMV – en tant que future partenaire à 30% minimum de tous les ouvrages hydroélectriques du Valais – est appelé à se développer comme soutien aux communes.» Pour la présidente de Naters, «FMV joue déjà un rôle important en tant que centre de compétence en matière de retours des concessions et jouera un rôle encore plus important à l’avenir. D’autant plus que la collaboration fonctionne parfaitement.»
Si chaque goutte compte, chaque donnée aussi
Le domaine de l’hydroélectricité est en effet confronté à des défis importants et jouera un rôle majeur dans le contexte de la sécurité d’approvisionnement et de la transition énergétique de la Suisse. Dans la perspective des enjeux liés à la multifonctionnalité de l’eau, FMV développe son centre de compétence et œuvre à la multiplication des partenariats stratégiques avec les hautes écoles et les instituts spécialisés, en collaboration avec d’autres acteurs-clés de l’énergie.
L’objectif est d’élaborer divers outils, parmi lesquels des systèmes d’information en temps réel sur les disponibilités de l’eau ainsi que des systèmes de prévisions par modélisation. L’anticipation des apports naturels dans les prises d’eau et les retenues est en effet essentielle. Elle permet d’éviter les pertes d’eau en cas d’afflux excessif ou inattendu, d’optimiser les périodes de turbinage, d’améliorer la prise de décision commerciale, de consolider l’utilisation des services système au profit de la stabilité des réseaux, ou encore de renforcer la sécurité à l’aval des ouvrages.
Trois projets pour optimiser l’usage de l’eau
Anticiper les apports naturels d’eau, c’est précisément le but du projet Defrost for Hydropower [1] lancé il y a une année. Ce dispositif expérimental combine l’expertise en matière de neige de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF) du WSL (Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage) avec l’imagerie satellitaire de la start-up technologique Wegaw, la technologie géospatiale de pointe et les compétences de modélisation avancées des experts en hydrologie du bureau Hydrique Ingénieurs. Objectif: mieux prévoir le débit d’eau dans les barrages jusqu’à quatre mois à l’avance ainsi que les apports hydrologiques à l’échelle régionale selon la fonte du manteau neigeux. Les partenaires de cette innovation sont l’Office fédéral de l’énergie et, outre FMV, les sociétés SIG, Groupe E, Romande Energie, EnBag, Oiken, EnAlpin ainsi que l’État de Genève.
Autre projet sur la thématique de la multifonctionnalité dans lequel FMV est partenaire: le projet Portail Eau Entremont, sur le bassin versant des Dranses. Développé en collaboration avec le pôle d’innovation valaisan BlueArk, il doit permettre de dresser une carte des différents usages de l’eau.
Citons encore, en lien avec BlueArk, le projet Valeaur [2] de FMV portant sur la création d’un outil qui permet d’attribuer une valeur à l’eau, dans un contexte où les apports augmentent en hiver alors que la ressource diminue fortement en été. Aujourd’hui, la plupart des aménagements hydroélectriques sont déjà multifonctionnels, intégrant parfois le système séculaire de l’irrigation par les bisses. Mais la prédominance va à l’utilisation de la force hydraulique. À l’avenir, il faut s’attendre à ce que les autres usages de l’eau dominent à certaines périodes de l’année, puisque les barrages ont pour vocation de reprendre partiellement la fonction de réservoirs naturels que constituent aujourd’hui le manteau neigeux et les glaciers.
Le projet Valeaur a donc pour but d’explorer ce que pourrait être la gestion multifonctionnelle d’un aménagement hydroélectrique dans la mesure où plusieurs usages sont en concurrence. L’idée est de mettre à disposition des propriétaires de la ressource (les communes), un outil pour apprécier la valeur de l’eau en fonction des critères et des priorités des collectivités. Le caractère innovant de cet outil consiste en la mise en commun de l’ensemble de la chaîne de valeur liée à l’eau, de la ressource aux utilisateurs. Bien que développé à partir de l’exemple du lac de Zeuzier, ce nouvel outil a pour vocation d’être réplicable là où les conditions initiales sont comparables, c’est-à-dire en Valais, véritable laboratoire pour la Suisse, voire dans tout l’arc alpin.
Vers une multifonctionnalité du stockage de l’eau
Avec une production annuelle de 10 TWh, soit un tiers de la production nationale, le Valais est un acteur central de l’hydroélectricité suisse, qui œuvre au service de la sécurité d’approvisionnement et de la transition énergétique du pays. À l’horizon 2050, les collectivités valaisannes détiendront la majorité de la force hydraulique du canton. Il s’agit là d’une excellente occasion de mettre en place une gestion intégrée de l’eau.
La volonté nationale d’augmenter la part de production hydroélectrique hivernale engendrera une augmentation de la capacité de stockage, dont une partie pourrait également servir à d’autres usages lors de périodes sèches.
Littérature complémentaire
- DWD, MétéoSuisse, ZAMG, «Climat des Alpes – Bulletin du semestre d’été 2022: État du climat dans les Alpes centrales et orientales», 2022.
- glamos.ch
- FMV, Département des finances et de l’énergie du canton du Valais, «Étude de base sur le potentiel de la force hydraulique en Valais», octobre 2020.
- Silvia Flaminio, Emmanuel Reynard, «Diversifier les fonctions des barrages-réservoirs? Comprendre l’émergence et la mise en œuvre de la multifonctionnalité des barrages-réservoirs en Suisse», projet de recherche, Université de Lausanne.
- «Le Valais face aux changements climatiques – Effets et options d’adaptation dans les domaines de la gestion des eaux et des dangers naturels (document de synthèse)», Sion/Berne, automne 2016.
- «‹Stratégie eau› du canton du Valais – Défis, objectifs, lignes directrices et mesures», rapport final du comité de pilotage Eau Valais à l’attention du Conseil d’État, octobre 2013.
Références
[1] business.esa.int/projects/defrost-for-hydropower
[2] blueark-challenge.ch/portfolio-item/1-mon-eau-a-de-la-valeur
[3] vs.ch/web/plateforme-eau
Chiffres-clés
− 39%
La diminution, en 40 ans, du volume d’eau stocké dans les glaciers valaisans.
6 mia. m3
Le volume d’eau annuel déversé dans le Léman par le Rhône.
1,2 mia. m3
Le stockage hydroélectrique du bassin versant du Rhône.
655 mio. m3
Le potentiel de stockage d’eau supplémentaire.
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