Article Centrales conventionnelles , Stockage d’énergie , Énergies renouvelables

L’agent énergétique le plus polyvalent

L’hydraulique occupe une position de leader incontestée

27.01.2017

L’hydraulique occupe une position de leader incontestée dans l’approvisionnement de la Suisse en électricité. 60% du courant produit en Suisse proviennent de l’hydraulique, soit une valeur record même en comparaison internationale. Et son importance continuera de croître à l’avenir, en dépit de la difficile situation économique dans laquelle elle se trouve actuellement.

L’utilisation de la force hydraulique relève d’une longue tradition. Il y a environ 5000 ans, en Chine, les hommes tiraient déjà profit de la force de l’eau. À cette époque elle était principalement utilisée dans l’agriculture. Par la suite, l’hydraulique acquit une grande importance dans le fonctionnement de moulins. L’eau fut transformée en énergie électrique pour la première fois en 1866, grâce à l’invention de Werner von Siemens: le générateur électrodynamique. Depuis, l’hydraulique s’est établie comme l’une des principales sources renouvelables de courant électrique, dont on ne peut plus se passer. Dès 1880, la première centrale hydroélectrique permettant de produire du courant fut construite dans le Northumberland, en Angleterre, et en 1895, on relia au réseau la première grande centrale hydroélectrique de l’Histoire aux Chutes du Niagara, aux États-Unis.

En Suisse, on produit du courant électrique à partir de l’hydraulique depuis 1875. À l’époque, à Saint-Moritz, un hôtelier mit en service une installation d’éclairage grâce à la force de l’eau. Ensuite, l’hydraulique s’imposa comme principal facteur dans la production d’énergie de notre pays : en 2015, 60% du courant produit en Suisse provenait de l’énergie hydraulique [1]. Cette valeur permet à la Suisse de se hisser parmi les premiers en comparaison européenne, derrière la Norvège, l’Autriche et l’Islande.

Des conditions idéales en Suisse

Les conditions nécessaires à l’utilisation de la force hydraulique en Suisse sont excellentes: la quantité d’eau disponible est importante, et la topographie convient elle aussi parfaitement à la production d’énergie. Grâce à une loi nationale sur les forces hydrauliques, à la souveraineté cantonale sur l’eau et aux concessions de longue durée, la Suisse dispose aussi de conditions-cadre stables au niveau politique et légal. Qui plus est, l’hydraulique est bien acceptée par la population, non seulement car l’agent énergétique «eau» est renouvelable, permettant ainsi de produire de l’énergie pratiquement exempte d’émissions de CO2, mais aussi car elle crée et garantit des emplois dans les régions périphériques et structurellement faibles.

En outre, l’hydraulique séduit également par sa technologie aboutie et par sa longue durée de vie. Sans compter qu’elle est suffisamment flexible pour pouvoir fournir non seulement de l’énergie en ruban, mais également de l’énergie de pointe, et ce grâce à la possibilité de stocker l’eau et donc d’y recourir en fonction des besoins. Cette possibilité de répondre immédiatement aux pics de demande grâce à l’hydraulique constitue par conséquent l’un de ses principaux avantages.

L’hydraulique revêt une importance systémique

Les centrales à accumulation permettent de compenser non seulement les pics de demande, mais aussi les fluctuations dues à la météo ainsi qu’aux heures de la journée et aux saisons auxquelles sont soumises les autres énergies renouvelables telles que l’éolien et le solaire. Grâce à sa flexibilité, l’hydraulique remporte haut la main le titre de colonne vertébrale de la sécurité d’approvisionnement en Suisse. Michael Frank, Directeur de l’AES, déclare encore plus clairement: «L’hydraulique revêt une importance systémique pour l’approvisionnement électrique suisse.» Elle prendrait par ailleurs aussi une importance décisive dans le cas d’un «black-out» de grande ampleur: la remise en service du réseau suisse se ferait dans ce cas grâce à l’injection de courant produit par des centrales hydroélectriques. Celles-ci sont aptes au démarrage autonome, c’est-à-dire qu’elles n’ont besoin que de très peu d’énergie pour pouvoir à nouveau produire du courant.

L’hydraulique jouera aussi un rôle central dans le système énergétique du futur puisque l’abandon prévisible de l’énergie nucléaire dans l’approvisionnement électrique de la Suisse se traduira par une lacune considérable. Ce hiatus, c’est aussi l’hydraulique qui devra le compenser. Il est vrai que le potentiel de l’hydraulique est presque totalement exploité, ce qui n’autorise qu’une faible hausse de la quantité de courant produite. La flexibilité de l’hydraulique permet cependant de mieux intégrer dans le système énergétique les autres énergies renouvelables, volatiles, telles que le solaire et l’éolien.

Sous pression des prix

Tout le monde le sait: malgré son importance systémique, l’hydraulique fait face à des difficultés financières. Les coûts de revient de l’énergie produite à partir de la force hydraulique dépassent le prix du marché. Différents facteurs sont à l’origine de cette situation: prix du CO2 trop bas dans le système communautaire d’échange de quotas d’émission, prix bas du gaz et du charbon sur les marchés internationaux – notamment en raison de l’exploitation mondiale du gaz de schiste –, consommation d’électricité modeste à cause de la faible croissance économique en Europe, forte promotion des énergies renouvelables dans certains pays européens. Ces conditions-cadre créées sur les marchés mondiaux de l’énergie placent l’hydraulique dans une situation difficile et entraînent des distorsions de concurrence et un excédent de courant électrique.

Le Parlement a reconnu l’importance de l’hydraulique mais aussi la situation dans laquelle elle se trouve; dans le cadre des délibérations sur la Stratégie énergétique 2050, il a pris de premières mesures visant à détendre cette conjoncture défavorable. Le système des primes de marché donne un coup de main financier aux grandes centrales hydroélectriques qui doivent vendre leur production sur le marché en dessous des coûts de revient et qui subissent alors des pertes. En outre, les autres énergies renouvelables doivent aussi se familiariser avec le marché – et progressivement renoncer aux subventions. Il s’agit là d’un pas important vers des conditions plus équitables.

Pratiquement pas d’émissions

L’hydraulique n’est pas seulement renouvelable, elle est aussi pauvre en émissions. Les centrales à accumulation et au fil de l’eau produisent certes du dioxyde de carbone et du méthane, deux gaz à effet de serre, mais la part de l’hydraulique dans le total mondial des émissions de CO2 et de méthane reste marginale, ne dépassant pas 0,5% [2]. Dans les lacs de retenue, la quantité de gaz produits dépend en premier lieu de l’ampleur de la végétation avant l’accumulation. La majorité des lacs de retenue en Suisse ayant été construits dans les régions alpines à la végétation rare, qui plus est il y a déjà plusieurs dizaines d’années, ces centrales ne produisent presque plus, voire plus du tout de gaz à effet de serre.

Concilier «protection et utilisation»

Bien que l’hydraulique ne génère que peu d’émissions pendant l’exploitation, chaque construction de centrale implique une intervention dans le régime local des eaux. Pour atténuer les répercussions de telles interventions, la Confédération a édicté des lois. Ainsi, la Loi fédérale sur la pêche exige que, lors de la construction d’une centrale hydroélectrique, des mesures soient prises pour assurer la libre migration du poisson dans les cours d’eau. Ces prescriptions ont été mises en œuvre de manière absolument exemplaire dans la centrale hydroélectrique de Hagneck, sur le lac de Bienne: des blocs de pierre placés au millimètre près garantissent des conditions de courant d’eau idéales au sein des vastes canaux de contournement.

De manière tout aussi prévenante, on intègre aujourd’hui les nouvelles constructions et les transformations dans le paysage existant. Les installations de Hagneck ont été peintes – exactement –de la même teinte que la roche prédominant dans cette région. De façon générale, depuis 2011, la Loi fédérale sur la protection des eaux prescrit aux exploitants et aux propriétaires d’installations de réduire les répercussions négatives de l’exploitation de la force hydraulique sur les eaux d’ici à 2030.

Ces efforts et ces mesures ont pour objectif de revaloriser les rivières, les ruisseaux et les rives des lacs. Les interventions réalisées autrefois dans la nature et le paysage et potentiellement considérées aujourd’hui comme excessives, doivent être effacées, dans la mesure du possible, jusqu’à permettre de concilier les exigences économiques et écologiques. En général les exploitants de centrales hydroélectriques sont tout à fait conscients de la nécessité d’une gestion durable de leurs installations. Mais étant donné qu’en parallèle, l’hydraulique joue un rôle central pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en électricité, comme l’exige la société, il faut encore et toujours chercher le bon équilibre afin de tenir compte, de manière adéquate, à la fois de la «protection» et de l’«utilisation».

L’hydraulique occupera-t-elle la même place essentielle dans l’approvisionnement énergétique suisse dans 5000 ans? Laissons aux descendants des historiens actuels le soin de le découvrir. Pour les quelques générations à venir, elle restera à coup sûr la principale source d’énergie indigène et renouvelable.

Références

[1]   OFEN: Statistique globale suisse de l’énergie 2015.
[2]   ASAE: «Les lacs de barrage sont-ils nuisibles pour le climat?», Fiche d’information, juin 2012/rev. 2016.

Auteur
Ralph Möll

était spécialiste en communication à l’AES.

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