Article Infrastructure , Réseaux énergétiques

Impuissante puissance

Avantages et inconvénients des tarifs à puissance

30.09.2019

Les charges locales et globales dans un réseau électrique représentent plus que jamais un défi pour chaque gestionnaire de réseau. La responsabilité de chaque consommateur est engagée dans ces charges. L’application du principe de responsabilité aux tarifs d’électricité, par exemple par des tarifs dynamiques, permettra une meilleure répartition des charges dans les réseaux de distribution.

La pierre philosophale connaît certainement de nombreuses imitations mais bien peu de spécimens originaux. Il en est de même des tarifs d’utilisation du réseau. Force est de constater qu’il n’existe actuellement pas de tarifs parfaits permettant de répondre aux différents besoins des réseaux et de notre avenir énergétique; il convient dès lors de se mettre en recherche de la pierre philosophale des tarifs d’utilisation du réseau.

Structure des tarifs

Actuellement, les tarifs en Suisse se composent le plus fréquemment d’une part fixe (abonnement, montant de base, etc.), d’une part liée au travail (quantité de kWh) et d’une part liée à la puissance maximale (soutirage maximal sur une période de 15 minutes). Chez la plupart des distributeurs helvétiques, la facturation de la puissance maximale intervient seulement chez les grands consommateurs, soit une consommation annuelle de 30 à 60 MWh. Cette facturation se base le plus souvent sur la puissance maximale du mois, parfois sur la puissance maximale de l’année et rarement sur la puissance maximale autorisée au soutirage (dimensionnée par un fusible).

L’objectif de ce type de facturation est de rendre compte du dimensionnement du réseau de distribution, sur la base du principe de causalité, sachant que le réseau est dimensionné pour pouvoir acheminer à chaque instant le maximum d’énergie souhaité par les clients. Toutefois, il faut bien se rendre compte de l’illusion du rapport entre coûts du réseau et dimensionnement du réseau: par exemple, un raccordement BT pour 25A coûte environ CHF 3300.- alors qu’un raccordement pour 160A a un prix d’environ CHF 4700.-; de même, une petite station de transformation (250 kVA) peut coûter environ CHF 45 000.- alors qu’une station plus importante (2x630 kVA) aura un coût de CHF 80 000 à 100 000.-. Ces illustrations montrent clairement que les coûts d’installation ne sont pas proportionnels à la puissance.

Indépendamment de cette connexion toute relative entre puissance et dimensionnement, il faut constater que la facturation individuelle du soutirage maximal sur un quart d’heure ne répond pas non plus à la réalité physique globale du réseau, ledit soutirage maximal individuel intervenant rarement au même moment que la charge maximale du réseau (figure 1). En effet, les consommateurs, et tout particulièrement les ménages, présentent des pointes de consommation étroites dépendant généralement d’éléments proches du hasard d’enclenchement et de déclenchement d’appareils qui se trouvent consommer en même temps. Par exemple, un membre d’une famille allume la cuisinière (2 kW) alors qu’un autre se sèche les cheveux (1.5 kW) et, par hasard, la pompe à chaleur (3  kW) s’enclenche en même temps. Cette situation cumulée peut se présenter fréquemment chez chaque client ordinaire, mais il est très rare que cette situation se présente exactement au même moment chez le voisin. De fait, le raccordement individuel est dimensionné pour pouvoir fournir l’énergie lors des pointes maximales théoriques, même si cela est en réalité grandement improbable. Le réseau de quartier, quant à lui, est dimensionné non pas pour la somme des raccordements individuels, mais en tenant compte d’un facteur de simultanéité, situé typiquement aux alentours de 0.35 pour un quartier de villas, ce facteur rendant compte du lissage naturel des pointes individuelles de consommation.

Le graphique de la figure 2 montre le moment de la pointe annuelle pour 143 clients ménages en 2017 et illustre bien que le moment des soutirages maximaux est très disparate d’un client à l’autre.

Des incitations claires

Les tarifs d’utilisation du réseau doivent donner des signaux clairs afin de lisser au maximum le soutirage sur le réseau; une attention particulière doit être portée sur les effets de l’arrivée des installations de stockage d’énergie et la baisse prévisible de leurs coûts. En effet les batteries de stockage permettent facilement de réduire les pointes de consommation sur 15 minutes en fournissant de l’énergie; les 15 minutes suivantes sont consacrées à la recharge de cette même batterie pour qu’elle soit prête à réagir à la pointe suivante. Ce comportement, incité par exemple par un tarif puissance, ne présente aucun bénéfice pour le réseau parce que, comme nous l’avons explicité précédemment, la pointe individuelle ne correspond que très rarement à la pointe réseau, et les pointes dans le réseau s’étendent sur des durées plus importantes que les pointes individuelles. Un argument souvent utilisé pour justifier la facturation de la puissance est la «désolidarisation» des autoproducteurs/autoconsommateurs qui payent moins pour le réseau si celui-ci est facturé par un tarif de travail. En appliquant le même argument aux propriétaires de batteries, un tarif de puissance induirait une désolidarisation de leur part vis-à-vis des consommateurs sans installation de stockage d’énergie. Le graphique de la figure 3 montre une dynamique forte en faveur de l’installation de batteries en cas de mise en place (extrême) d’un tarif où seule la puissance est facturée. En effet, 75% des 143 clients analysés verraient dans un tel cas un retour sur investissement d’une batterie de stockage inférieur à 10 ans.

La répartition de la charge dans le réseau est l’enjeu majeur de chaque distributeur d’électricité et contrairement à des idées reçues, la facturation de la pointe de puissance individuelle ne permet pas de favoriser une meilleure répartition de la charge. En outre, il n’est pas possible d’arguer que le principe de causalité justifie la facturation de la puissance, comme montré précédemment; ce principe de causalité devrait bien plutôt être revisité en un principe de responsabilité. En effet, chaque consommateur devrait être considéré comme co-responsable de l’utilisation du réseau (et non pas comme un simple utilisateur) et à ce titre, il convient de l’encourager à veiller à une répartition homogène de la charge du réseau.

Une meilleure manière de répondre à la nécessité de répartition de charge est une tarification plus fine des horaires et des saisons, soit dans une segmentation précise des heures et saisons en deux ou trois plages tarifaires, soit par une tarification dynamique selon un modèle de «demande et réponse» permettant aux objets connectés de planifier leurs consommations en fonction du modèle tarifaire appliqué au client. Une telle tarification permettra aux gestionnaires de réseau, à terme, de communiquer clairement et directement grâce à ses prix afin que tout appareil flexible et intelligent puisse optimiser son soutirage et que tout client intéressé puisse soutirer de l’énergie en consommateur averti et conscient de son impact sur le réseau à un moment donné. Comme le disait La  Fontaine [1], «toute puissance est faible, à moins que d’être unie». Ainsi, pour déployer tous ses effets, la puissance doit être unie au temps et tarifée dans le cadre d’une grille dynamique, ce qui permettra d’assurer aux réseaux la répartition la plus harmonieuse possible des soutirages maximaux de leurs clients.

Référence

[1]  La Fontaine, Fable Le vieillard et ses enfants, fr.wikipedia.org/wiki/Le_Vieillard_et_ses_enfants

Auteur
Cédric Chanez

est Responsable Produits Acheminement et Raccordement chez Groupe E.

  • Groupe E SA,
    1763 Granges-Paccot
Auteur
Peter Cuony

est responsable des produits Réseau de distribution chez Groupe E.

  • Groupe E SA
    1763 Granges-Paccot

Commentaire

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