Gestion prédictive des pompes à chaleur
Réduction des coûts énergétiques des bâtiments collectifs
Le projet Opera a démontré qu’une gestion prédictive des pompes à chaleur permettait de réduire de 11% les coûts d’électricité d’un immeuble résidentiel rénové doté d’une installation photovoltaïque et de trois pompes à chaleur. Une approche transposable à grande échelle pour accélérer la décarbonation.
La Suisse s’est fixé des objectifs ambitieux pour un approvisionnement sûr et renouvelable en électricité: produire 35 TWh d’énergie non hydraulique d’ici 2035 et 45 TWh d’ici 2050, et ce principalement grâce au photovoltaïque (PV). En 2024, le PV produisait déjà 6 TWh d’électricité, soit 10% de la production suisse annuelle. Pourtant, un potentiel de 67 TWh reste encore inexploité. La majorité de cette production devra provenir des toitures, le potentiel pour les installations au sol étant limité.
Les logements collectifs anciens, construits pour la plupart avant l’an 2000, constituent un terrain stratégique pour la décarbonation suisse. Leurs toitures dépassent souvent 200 m2, ce qui permet d’installer des systèmes PV d’une puissance nominale supérieure ou égale à 20 kW. Leur rénovation représente donc une priorité pour atteindre les objectifs climatiques.
Un levier indispensable, mais encore sous-exploité
Parallèlement, les pompes à chaleur (PAC) sont devenues un pilier de la décarbonation du chauffage. En 2022, elles équipaient 19% des bâtiments suisses, contre seulement 5% en 2000. Dans les constructions récentes, elles sont retenues dans 75% des cas. En revanche, leur adoption reste limitée à 12% dans les immeubles collectifs, où les contraintes techniques sont plus fortes: besoin de plusieurs PAC par bâtiment, espace réduit par rapport aux anciennes chaudières, nuisances sonores en zone urbaine, etc.
Pour que leur déploiement soit économique et durable, la gestion des PAC doit être optimisée. Pour ce faire, trois leviers sont essentiels: il s’agit, premièrement, de coordonner leur fonctionnement avec la production PV, deuxièmement de maximiser leur efficacité en fonction des conditions extérieures et des températures de consigne et, troisièmement, d’utiliser l’inertie thermique du bâtiment pour le stockage de chaleur, plus efficace que les ballons d’eau, trop limités.
Or, les régulateurs de PAC actuels échouent à répondre à ces besoins. Les courbes de chauffe traditionnelles ignorent la production solaire et la distribution de chaleur, tandis que les stratégies «simples» d’autoconsommation dégradent le coefficient de performance saisonnier (seasonal coefficient of performance, SCOP) des PAC en augmentant inutilement les températures [1]. D’où la nécessité d’un pilotage plus intelligent.
Anticiper pour mieux consommer
Le système de gestion de l’énergie (energy management system, EMS) mis en place dans le projet Opera repose sur une stratégie de contrôle prédictif (model predictive control, MPC) des PAC. Celui-ci intègre les prévisions météorologiques afin d’anticiper la demande de chaleur et la production photovoltaïque. Grâce à un modèle physique du bâtiment et des PAC, combiné aux signaux tarifaires de l’électricité, un algorithme d’optimisation calcule la séquence de fonctionnement idéale des PAC (figure 1). La stratégie est recalculée toutes les 15 min pour s’adapter aux nouvelles informations.
Les paramètres des PAC sont issus des données constructeurs, tandis que le modèle du bâtiment s’ajuste automatiquement aux variations saisonnières. Le projet a permis d’améliorer la représentation de la dynamique du circuit de chauffage et du comportement des PAC en charge partielle, garantissant ainsi une optimisation réaliste. Cette stratégie est désormais intégrée au produit Soleco Optimizer et prête à être déployée dans d’autres bâtiments.
Dépasser les limites des contrôleurs traditionnels
Intégrer les PAC dans une gestion énergétique avancée n’est pas trivial. Les contrôleurs standards offrent rarement une interface ouverte et flexible, et ils fonctionnent généralement de manière indépendante des vannes de distribution.
Deux innovations majeures ont permis de dépasser ces limites. D’une part, un contrôle des PAC par modulation de puissance a été mis en place grâce aux interfaces modernes des pompes et à la collaboration du fournisseur. Cette avancée a permis de définir une interface de commande standardisée, alignée sur le modèle SmartGridready suisse. D’autre part, l’installation de thermostats connectés (Loxone) a rendu possible une modulation des consignes de température intérieure d’un degré pour le chauffage et d’un demi-degré négatif pour le rafraîchissement par rapport aux consignes des occupants. Ceci permet de charger le bâtiment de chaleur ou de froid au moment opportun. Cette flexibilité, imperceptible pour les usagers, ouvre de nouvelles possibilités de transfert énergétique optimisé dans le bâtiment.
Des économies de 11% sur un site pilote
La stratégie Opera a été déployée lors de la rénovation d’un immeuble résidentiel locatif de 20 appartements à Neuchâtel (1700 m2 répartis sur six étages). Jusqu’en 2023, le chauffage et l’eau chaude sanitaire (ECS) reposaient sur une chaudière à mazout, avec une consommation annuelle de 171 MWh pour le chauffage et de 50 MWh pour l’ECS. Ce système a été remplacé par deux PAC air-eau réversibles de 20 kW chacune et une PAC sur air extrait (c’est-à-dire qui utilise l’énergie contenue dans l’air vicié extrait de l’habitation) dédiée à l’ECS. En parallèle, des panneaux PV d’une puissance nominale de 30 kW ont été installés en toiture et en garde-corps (figure de titre).
Un suivi expérimental, basé sur un concept de mesure avancé conçu par la Haute école spécialisée de la Suisse orientale (OST), a permis de comparer en conditions réelles la gestion Opera à une régulation standard en alternant ces deux stratégies toutes les deux semaines pendant une saison de chauffe. Résultat: avec la gestion Opera, le coût unitaire de l’électricité utilisée par les PAC a diminué de 11,5%, sans augmentation de la consommation totale (figure 2). Ce gain repose en grande partie sur l’utilisation intelligente du stockage thermique pour déplacer la consommation vers les heures bas tarif, et non sur une amélioration de l’autoconsommation. En effet, dans ce type de bâtiment, le potentiel d’amélioration de l’autoconsommation est structurellement limité. En régulation standard, 70% de la production PV sont autoconsommés entre octobre et février, mais ceci ne couvre toutefois que 13% de la consommation. Même si la gestion Opera a permis de porter l’autoconsommation à 78%, cela ne se traduit que par une réduction des coûts de 1 à 2%. L’essentiel de l’économie provient donc de l’optimisation tarifaire.
Conclusion
Le projet Opera démontre qu’un pilotage prédictif des PAC peut générer des économies substantielles, de l’ordre de 11% en conditions réelles, tout en préservant le confort des occupants. Ces résultats confirment que, dans les bâtiments collectifs rénovés, le véritable levier d’efficacité ne réside pas uniquement dans l’autoconsommation, mais bien dans une gestion intégrée et intelligente de l’énergie.
Cette approche, désormais intégrée dans une solution commerciale, est reproductible et ouvre la voie à une adoption plus large dans le parc immobilier suisse. Elle contribue ainsi directement aux objectifs nationaux en matière de décarbonation et à une transition énergétique pragmatique et durable.
Référence
[1] D. Zogg, H. Gysin, D. Zimmerli, «Innovative Eigenverbrauchsoptimierung für Mehrfamilien-Arealüberbauung mit lokaler Strombörse», rapport final de la phase 1 du projet SI/501500 (OFEN), 30.11.2020.
Remerciements
Les auteurs remercient l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) ainsi que le Service de l’énergie et de l’environnement du canton de Neuchâtel (SENE) pour le soutien financier au projet Opera au travers du programme pilote et de démonstration, ainsi que la Caisse de pensions de la fonction publique du canton de Neuchâtel (CPCN) pour la mise à disposition du site pilote pour le projet.
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