FMHL+: défis et expériences
Construction d’une nouvelle centrale de pompage-turbinage de 240 MW (2e partie)
L’aménagement de pompage-turbinage FMHL de 240 MW utilisant les eaux des lacs de l’Hongrin et du Léman est exploité depuis 1971. Le projet FMHL+ a été lancé en 2006 afin d’en doubler la puissance en construisant une nouvelle centrale souterraine. Les nombreux défis relevés pour permettre sa mise en service fin 2016 sont révélés dans cet article.
L’aménagement de pompage-turbinage exploité depuis plus de 40 ans par les Forces Motrices Hongrin-Léman SA (FMHL) 1) est constitué d’un barrage double voûte retenant les eaux du lac de l’Hongrin, d’une galerie d’amenée de 8 km, d’un puits blindé de 1,4 km et, jusqu’à l’année passée, d’une seule centrale équipée de 4 groupes de pompage-turbinage d’une puissance totale de 240 MW située au bord du lac Léman (figure 1).
Les capacités des lacs amont et aval étant à même de permettre un volume de pompage-turbinage plus élevé, le projet FMHL+ a été lancé il y a 10 ans afin de construire une nouvelle centrale souterraine reliée en amont au puits blindé et en aval au canal de fuite de l’aménagement existant. Comprenant 2 groupes ternaires de 120 MW chacun, la centrale FMHL+ a permis fin 2016 à l’aménagement de passer d’une puissance installée de 240 MW à une puissance de 480 MW dont 60 MW de réserve [1], tout en continuant à utiliser le système hydraulique existant.
L’article paru dans l’édition de novembre 2016 du Bulletin [2] présentait le projet depuis le premier coup de crayon jusqu’aux premiers kWh. Le présent article retrace les défis qu’il a fallu relever pour doubler la puissance d’un aménagement en cours d’exploitation et les expériences accumulées tout au long de ce parcours.
Défis majeurs du nouveau projet FMHL+
Les principaux défis qu’il a fallu relever pour la construction de la nouvelle centrale ont consisté à:
- construire une centrale dans une zone urbaine à proximité immédiate d’habitations, d’une route nationale (Montreux-Villeneuve), d’une liaison ferroviaire internationale (Lausanne-Simplon), d’infrastructures nationales (piles du viaduc autoroutier de Chillon), d’un château historique et du lac Léman (figure 2);
- réduire au strict minimum les indisponibilités de la centrale existante;
- sélectionner les machines optimales en fonction des caractéristiques de sécurité de l’aménagement existant;
- réaliser un projet dans un temps minimal pour réduire les coûts de financement tout en garantissant la sécurité des personnes et des biens ainsi que la qualité voulue pour un aménagement devant être exploité plus de 80 ans;
- négocier avec les cantons concessionnaires une convention pour le sort des installations à la fin de la concession;
- intégrer l’exploitant actuel, Hydro Exploitation SA, pour le montage des équipements, le contrôle-commande et la mise en service en relation avec l’aménagement existant.
Si nombre de ces défis ont dû être relevés dès la phase de planification, soit au cours des 5 premières années du projet, des événements plus inattendus se sont manifestés lors de la réalisation.
Études (2006-2011)
Avec un lac aval d’une contenance «infinie» au regard de l’aménagement de FMHL et un lac amont de 52 millions de m3, la tentation était grande de réaliser un aménagement de pompage-turbinage de 1000 MW. L’étude préliminaire a rapidement mis en évidence la capacité existante du circuit hydraulique de l’aménagement permettant de faire passer 28 m3/s supplémentaires aux 32 m3/s déjà turbinés, un débit correspondant à une augmentation de puissance de 180 MW. L’analyse économique a pour sa part montré que la construction d’une nouvelle centrale, sans nouveau système hydraulique (galerie et puits blindé), était la solution la plus rentable pour augmenter la capacité de production de FMHL.
Choix des machines
Les calculs de transitoires hydrauliques effectués ont montré que les sollicitations sur le puits blindé existant dues au fonctionnement des deux usines seraient les facteurs les plus limitants pour le choix des machines hydroélectriques.
Avec l’aide de la direction de projet, le Groupement d’ingénieurs Hongrin-Léman (Gihlem, ingénieur principal, composé de Stucky, EDF-CIH et Emch+Berger) a tout d’abord recensé toutes les solutions techniquement et économiquement réalisables. 96 solutions ont été jugées techniquement réalisables sur les 146 solutions inventoriées (puissance, type de machine: groupe réversible (multi-étage sans réglage de puissance, mono et bi-étage avec réglage de puissance), groupe ternaire, ainsi qu’un groupe de pompage et de turbinage séparé). Sur la base de discussions techniques avec les constructeurs européens et de visites d’installations, une analyse multicritères et des calculs préliminaires de transitoires hydrauliques et économiques ont été réalisés. 11 solutions ont été retenues.
Le puits blindé a été conçu pour une valeur de pression maximale admissible correspondant à 115% de la pression statique maximale à lac plein: cette valeur ne doit pas être dépassée quels que soient les cas de surpressions exceptionnelles et accidentelles dues aux transitoires hydrauliques. Les calculs réalisés par Power Vision Engineering Sàrl ont permis de conclure que:
- Les groupes réversibles bi-étages présentaient des surpressions, dues aux transitoires, accidentelles et exceptionnelles beaucoup trop élevées. Ces solutions ont été éliminées.
- La solution comprenant 2 groupes ternaires de 90 MW présentait des surpressions maximales, en régimes transitoires, exceptionnelles et accidentelles sensiblement plus élevées que des machines de puissance plus importante, à cause d’une inertie insuffisante.
- Les solutions de 2 groupes ternaires de 120 MW, respectivement d’un groupe ternaire de 240 MW, respectaient les valeurs limites maximales de surpression définies.
La variante de 240 MW était la solution la moins chère (6%) par rapport à la solution à 2 groupes de 120 MW. Cependant, cette dernière présentait les avantages d’une meilleure flexibilité par rapport à un groupe unique et notamment une meilleure disponibilité en cas de panne ou lors des périodes de maintenance, ainsi qu’une solution plus polyvalente pour une utilisation future en fonction des besoins des quatre partenaires.
Études géologiques et hydrologiques
Pour déterminer les conditions géologiques, FMHL a mandaté le bureau de géologues spécialisé Norbert SA, en charge déjà de la construction de l’aménagement dans les années soixante et qui suit depuis lors toutes les activités liées à la géologie et à l’hydrologie de l’aménagement. Des investigations géologiques classiques ont été menées en 2008 avec une douzaine de forages de reconnaissance autour de la centrale existante pour confirmer les caractéristiques de la roche (géomécaniques, perméabilités, etc.) et décider de la position et de l’orientation de la nouvelle caverne en relation avec la caverne existante. Malheureusement la roche s’est révélée avec des fractures moins persistantes que prévues, nécessitant deux fois plus de forages d’injection avec un espacement final réduit à 75 cm, ce qui a prolongé le chantier de plus de 6 mois.
Concernant la cheminée d’équilibre, la géologie également non favorable n’a pas permis d’utiliser la technique du raise-drill initialement prévue. De plus, il n’a pas été possible de réaliser des forages de reconnaissance, la zone se situant en zone de protection des eaux. Le percement du puits vertical de 175 m de hauteur et de 7,2 m de diamètre a, pour finir, été réalisé par excavation traditionnelle à travers du calcaire hautement fracturé, ceci en évacuant les marins par le haut.
Procédure d’autorisation de construire
FMHL est au bénéfice d’une concession intercantonale Vaud-Fribourg arrivant à échéance en 2051. Pour la construction de la nouvelle centrale, la législation en vigueur prévoyait une procédure en 2 étapes: procédure d’octroi de la concession et procédure d’autorisation de construire. L’autorité compétente est le Service des eaux, sols et assainissement du canton de Vaud. Les difficultés ont résidé à:
- coordonner la procédure de modification de la concession intercantonale avec les deux cantons, sans oublier les offices fédéraux (OFEN et OFEV), et ce, pendant les discussions concernant l’assainissement des cours d’eau (LEaux, art. 80 et ss);
- coordonner avec les communes de Veytaux et Villeneuve la procédure d’autorisation de construire, sans oublier les autorités cantonales vaudoises et les offices fédéraux;
- collaborer dès le début du projet avec les organisations environnementales et le voisinage (Château de Chillon, les deux communes du site, etc.) pour leur présenter l’état d’avancement, les impacts et les solutions;
- trouver une solution pour rendre possible un investissement de 331 MCHF sur la durée restante de la concession. Une convention relative au sort des installations à l’échéance de la concession a été signée entre les deux cantons et FMHL.
Aux termes de chacune des deux procédures, il a fallu mettre à l’enquête publique aussi bien le projet que les décisions des autorités. Excepté deux oppositions de principe lors de la procédure de modification de la concession, levées par FMHL sur simple échange de courriers, les décisions n’ont fait l’objet d’aucune opposition.
Contraintes environnementales et de voisinage
Différentes solutions ont été étudiées pour évacuer les 430'000 t de gravats extraits de la caverne: péniches en installant un tapis roulant descendant jusqu’au lac, trains en créant une voie de chargement. Ces alternatives auraient provoqué plus de nuisances pour les riverains et l’environnement et induit des investissements plus importants. La solution par camion a donc été privilégiée après une simulation du trafic qui n’a révélé aucun risque de surcharge sur la route cantonale fréquentée par plus de 1000 véhicules par heure. Avec au maximum un camion toutes les 6 minutes, 1500 m3 de gravats ont ainsi été transportés par jour jusqu’aux Carrières d’Arvel SA à Villeneuve, où les matériaux ont été concassés, puis traités par une centrale à béton installée sur le site. Environ 50'000 t de gravats ont été réutilisés pour les bétonnages dans la caverne et le reste a été revalorisé par Carrières d’Arvel SA.
En raison des contraintes environnementales et de voisinage, les installations de chantier n’ont pu être agrandies à l’extérieur. Ainsi, au début, les camions ont été chargés à l’entrée du tunnel, puis un élargissement de la galerie d’accès sur 100 m a été réalisé dans lequel il était possible de stocker 1500 m3 de matériaux permettant ainsi le travail de nuit dans la caverne et éviter, pour le voisinage, le trafic des camions entre 22h00 et 6h00.
Réalisation (2011 - 2016)
Les 5 dernières années du projet ont été consacrées à la réalisation de la centrale FMHL+ et à la mise en service de ses 2 groupes ternaires, et ce, tout en continuant à exploiter autant que possible l’aménagement existant.
Excavation, chaudronnerie et bétonnage
En raison de la proximité du viaduc et des voies CFF, les vibrations émanant des travaux ont été contrôlées par une vingtaine de géophones mesurant les mouvements du sol. Les mesures réalisées ont démontré que les ébranlements ont été largement au-dessous du seuil d’alerte défini pour les ouvrages environnants.
La caverne a été excavée dans du calcaire dur mais fortement fissuré. La stabilité de la voûte a été assurée par un soutènement adéquat sur une portée de 25 m, composé d’ancrages injectés de 6,5 m de long (10 m de long dans les zones les plus fracturées) et de 32 mm de diamètre.
Un des moments délicats a été le percement de la galerie pour la jonction avec le puits blindé existant tout en conservant la centrale en exploitation le plus longtemps possible. 4 mois d’arrêt ont été nécessaires pour percer les six derniers mètres, puis scier le puits blindé existant et y insérer le té de liaison. Ce dernier, d’un poids de 55 t pour un diamètre de 2,7 m, est la première pièce de chaudronnerie arrivée sur le chantier. Le principal défi a été de le mettre en place et de l’aligner sur le puits blindé existant avec un espace de 2 mm de part et d’autre, puis de le souder sur place [1].
Électromécanique
L’avant-projet a permis de confirmer que les groupes ternaires à axe vertical devaient être utilisés. Pour des raisons de sécurité, le choix technique a été fait de ne pas mettre l’alternateur/moteur entre la turbine et la pompe, ce qui a eu pour conséquence de rallonger la ligne d’arbre de plusieurs mètres pour une longueur totale finale de 38 m (figure 3). Chaque groupe est pourvu de 2 paliers butées, un pour la turbine/alternateur/moteur et l’autre pour la pompe, ainsi que de 4 paliers de guidage qu’il a fallu régler avec une précision de l’ordre de 100 microns. À noter que la masse tournante est estimée à 380 t par groupe (pompe Voith: 100 t, turbine Andritz: 110 t et le rotor Andritz, avec son moyeu forgé: 170 t). L’alignement des arbres a été réalisé dans un premier temps à l’aide du laser tracker d’Hydro Exploitation SA (le non alignement était alors de moins de 0,2 mm), puis au moyen du Siclav d’EDF-CIH. Les alignements ont pu être finalisés parfaitement.
Plusieurs événements sont cependant venus marquer la construction:
- Pompes: les parties fixes et tournantes ont été assemblées en atelier pour vérifier les dimensions et en assurer l’ajustement. Les essais de pression ont été réalisés à 175 bar dans les ateliers Voith de Heidenheim alors que la pompe était montée sur le sol. Lors du montage à Veytaux, la pompe était soutenue sur les côtés sur ses appuis définitifs et sans son 5e étage. Avec le poids de l’arbre et des premiers étages de roues et labyrinthes, la pompe s’est légèrement déformée ne permettant plus d’insérer les étages restants. Il a fallu étayer la pompe depuis le bas pour poursuivre le montage, les jeux étant minimes (0/+0,1 mm pour un diamètre de 3200 mm). Ensuite, le montage du 5e étage de la pompe lui a donné la rigidité nécessaire pour maintenir un jeu suffisant entre les roues et les labyrinthes.
- Stators: au vu du manque de place à disposition dans la caverne et du retard pris avec le génie civil, la direction de projet a pris la décision de monter les stators dans la halle Friderici SA à Tolochenaz et non pas sur la place de montage. Une décision qui a permis de ne pas perdre 6 mois de plus sur le programme. Les stators pesant 167 t (diamètre de 6,3 m, hauteur de 5,6 m) ont mis 3 jours pour rejoindre Veytaux, nécessitant notamment d’abaisser la chaussée sous un pont des CFF en pleine ville de Vevey.
- Jeux de barres électriques: après avoir adjugé les travaux à l’entreprise française Simelectro et une fois les plans de construction réalisés, cette dernière annonçait que pour des raisons économiques, sa production était décentralisée en Chine. Puis, FMHL apprenait que l’entreprise était en sursis concordataire. FMHL a décidé de tout faire pour terminer les travaux avec cette entreprise en collaboration étroite avec sa direction et l’administrateur judiciaire français. Tous les équipements sont maintenant montés avec la qualité voulue.
Il a fallu excaver une caverne de 98 m de long, 25 m de large et de 56 m de hauteur pour permettre de monter les 2 groupes tertiaires de pompage-turbinage équipés d’éléments électromécaniques, soit l’équivalent d’un immeuble de 18 étages.
Mise en service
Alpiq a mandaté Hydro Exploitation SA, l’exploitant actuel, pour la réalisation de tous les essais en vue de la mise en service. Ces essais ont été effectués pas à pas afin de trouver et de solutionner les défauts de jeunesse sans prendre de raccourcis pour gagner du temps et garantir ainsi la sécurité des personnes et des biens ainsi que la qualité.
Les essais pour la mise en service du premier groupe ont commencé le 17 mars 2016 tandis que la marche probatoire débutait le 8 septembre 2016. Le second groupe de 120 MW a fait ses premiers tours de roue le 29 juillet, puis a débuté sa marche probatoire le 21 octobre. Les deux groupes sont en marche commerciale depuis début 2017.
Références
[1] N. Rouge, A. Jaccard, G. Micoulet: Projet FMHL+: à mi-chemin… Wasser Energie Luft 2/2014, pp. 93-100,
2 juin 2014.
[2] N. Rouge, A. Jaccard, G. Micoulet, FMHL+: de l’idée à la mise en service - Doublement réussi de la puissance de pompage-turbinage de la centrale FMHL. Bulletin SEV/VSE 11/2016, novembre 2016.
Liens
FMHL, respectivement les auteurs, adressent de chaleureux remerciements à toutes les entreprises, autorités fédérales, cantonales et communales et à tous les collaborateurs qui ont œuvré depuis plus de 10 ans à la réalisation de ce magnifique projet, sans accident et avec succès.
1) FMHL est une société anonyme appartenant à Romande Energie (41,13%), Alpiq Suisse SA (39,31%), Groupe E (13,13%) et Commune de Lausanne (6,43%). Alpiq Suisse SA a le mandat de gestion de la société et représente le propriétaire dans le cadre du projet FMHL+. Ces installations sont exploitées par Hydro Exploitation SA.
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