FMHL+: de l’idée à la mise en service
Doublement réussi de la puissance de pompage-turbinage de la centrale FMHL
Le 7 février 2011, le Conseil d’administration des Forces Motrices Hongrin-Léman SA donnait son feu vert pour doubler la puissance de pompage-turbinage de la centrale existante en construisant une nouvelle centrale souterraine de 240 MW.
10 ans après la première étude, le 8 septembre 2016, le premier groupe démarrait sa mise en service probatoire. Cet article présente le projet depuis le premier coup de crayon jusqu’aux premiers kilowattheures.
Les Forces Motrices Hongrin-Léman SA (FMHL), dont les actionnaires sont Romande Energie SA, Alpiq Suisse SA (Alpiq), Groupe E et la Ville de Lausanne, exploitent depuis 1971 un aménagement hydroélectrique de pompage-turbinage de 240 MW utilisant les eaux des lacs de l’Hongrin (52 millions de mètres cubes à 1255 msm) et du Léman (figure 1). Alpiq gère la société et ses actifs, alors qu’Hydro Exploitation SA exploite l’aménagement.
Le projet FMHL+ a pour objectif de construire une nouvelle centrale souterraine reliée en amont au puits blindé et en aval au canal de fuite de l’aménagement existant. Le défi consiste à utiliser le système hydraulique existant pour passer d’une puissance installée de 240 MW à une puissance de 480 MW dont 60 MW de réserve. Pour ce faire, la nouvelle centrale de pompage-turbinage comprend 2 groupes ternaires de 120 MW chacun.
Alpiq, en tant que représentant du propriétaire, est en charge de la supervision des études et de l’exécution du projet.
Aménagement existant
L’aménagement d’origine est constitué d’un barrage double voûte de 105 m de hauteur (figure 2a) alimenté par 8 prises d’eau. Une galerie d’amenée de 8 km permet d’acheminer l’eau du lac de l’Hongrin jusqu’au puits blindé. Ce dernier, d’une longueur de 1,4 km, amène ensuite l’eau sous pression jusqu’à la centrale de Veytaux (figure 2b) située au bord du lac Léman, 878 m plus bas.
La centrale existante est équipée de 4 groupes de pompage-turbinage à axe horizontal d’une puissance totale de 240 MW (figures 2b et 3). Sa production actuelle, environ 520 GWh par an, dont 160 GWh proviennent des apports naturels, est évacuée sur le réseau 220 kV.
Définition des objectifs
Les actionnaires de FMHL, responsables d’alimenter une grande partie de la Suisse romande en électricité, ont cherché des potentiels de développement afin de garantir la sécurité d’approvisionnement de manière durable et de répondre à la demande croissante en énergie de réglage nécessaire pour équilibrer le niveau de production à la consommation aux heures de pointe. Directement dépendantes des conditions météorologiques, les éoliennes et les installations solaires, en plein développement, enregistrent en effet une production irrégulière et non prédictible, tout comme la consommation qui doit être complétée par un apport en énergie de réglage. Grâce aux volumes d’eau accumulés par leurs barrages, véritable stock d’énergie injectable en tout temps sur le réseau, les centrales de pompage-turbinage offrent une solution immédiate et efficace aux fluctuations de production et de consommation.
Études préliminaires (2006 - 2007)
Deux variantes préliminaires ont été analysées :
- utiliser la capacité importante des lacs amont et aval en construisant un aménagement de 1000 MW avec un nouveau système hydraulique ;
- utiliser la capacité hydraulique déjà existante en construisant seulement une nouvelle centrale.
Pour toute augmentation de puissance supérieure à environ 180 MW, il aurait été nécessaire de construire un nouveau système hydraulique comprenant un canal de fuite, un puits blindé, une galerie d’amenée ainsi que le percement du barrage pour la prise d’eau. L’analyse économique a montré que la construction d’une nouvelle centrale, sans nouveau système hydraulique, était la plus rentable. À noter que trois autres projets de pompage-turbinage étaient alors en développement, soit Linth-Limmern (1000 MW), Nant de Drance (900 MW) et Lago Bianco (1000 MW).
Le 17 novembre 2006, le Conseil d’administration octroyait son premier crédit pour effectuer une «étude de faisabilité préliminaire». Un mandat a alors été donné au bureau Stucky afin de déterminer les capacités supplémentaires existantes de la galerie d’amenée et du puits blindé. Un mandat électromécanique a été donné à Colenco, ainsi qu’un mandat de génie civil à Gaehler und Partner. Dans les grandes lignes, le projet d’augmentation de puissance de pompage-turbinage était défini avec la construction d’une nouvelle centrale souterraine de 120 à 180 MW à proximité de la centrale existante, équipée de 2 à 3 groupes de pompage-turbinage, avec adaptation de la cheminée d’équilibre existante.
Avant-projet et projet de l’ouvrage (2008 - 2011)
Le mandat d’ingénieurs en tant que mandataire principal, couvrant l’ensemble des prestations des études d’avant-projet à la réalisation, a été attribué fin juin 2008, après appel d’offres, au groupement d’ingénieurs Gihlem, composé des bureaux Stucky SA (pilote), EDF-CIH et Emch+Berger AG. L’avant-projet (phase SIA 3.1) a été réalisé en 2009. Les caractéristiques générales du projet ont alors évolué de la sorte (figure 4) :
- dimensionnement, suite aux calculs transitoires réalisés par Power Vision Engineering, d’une nouvelle cheminée d’équilibre avec son diaphragme d’entrée (hauteur de 175 m et diamètre de 7,2 m) ;
- construction d’une centrale souterraine de 100 m de longueur, 25 m de largeur et 56 m de hauteur avec 2 groupes ternaires de pompage-turbinage à axe vertical d’une puissance unitaire de 120 MW. Évacuation de leur production sur le réseau 380 kV ;
- piquage sur le puits blindé existant (diamètre de 2,7 m) et construction d’un nouveau canal de fuite rejoignant le canal existant ;
- modernisation du poste électrique : construction de 2 postes GIS 220 et 380 kV avec 2 transformateurs 220/380 kV. Cette partie du projet a été réalisée par Swissgrid, nouveau propriétaire du réseau THT.
Les prises d’eau situées en amont du barrage, le barrage, la galerie d’amenée et le puits blindé resteront inchangés. Aucun apport naturel supplémentaire ne sera capté.
Essais à l’EPFL et à l’ETHZ
Des essais sur modèle réduit (1/30e) des 2 centrales ont été réalisés en 2010/2011 au Laboratoire de constructions hydrauliques (LCH) de l’EPFL. Ce modèle a notamment permis d’optimiser les formes du canal de fuite afin d’améliorer la sécurité et la plage de fonctionnement de l’aménagement. Des essais sur modèle (1/8e) ont également été réalisés au laboratoire du VAW (Versuchsanstalt für Wasserbau, Hydrologie und Glaziologie) de l’ETHZ afin de modéliser le dégazage du circuit aval et les essais en mode court-circuit hydraulique.
Procédure d’autorisation de construire (2008 - 2011)
FMHL est au bénéfice d’une concession intercantonale Vaud-Fribourg octroyée en 1963 et arrivant à échéance en 2051, soit 80 ans après la mise en service de l’aménagement. Toutes les installations sont sur le territoire vaudois, mais une partie de l’eau de la Sarine est détournée du bassin du Rhin pour aboutir au lac Léman (bassin du Rhône), expliquant le fait que la concession soit intercantonale.
Pour la construction de la nouvelle centrale, la législation en vigueur prévoyait une procédure en 2 étapes : procédure d’octroi de la concession et procédure d’autorisation de construire. L’autorité compétente est le Service des eaux, sols et assainissement du canton de Vaud (Sesa).
Modification de la concession intercantonale (2008 - 2010)
La procédure d’octroi de la concession de compétences intercantonales s’est déroulée en 2 phases. Le rapport d’enquête préliminaire a été déposé en septembre 2008 auprès du Sesa. Ce dernier a procédé à une consultation des services cantonaux vaudois et fribourgeois, puis des Offices fédéraux de l’environnement et de l’énergie. Les préavis étant tous positifs, la phase 2 a pu être lancée. Le rapport d’impact sur l’environnement, l’avant-projet technique, les plans du géomètre ainsi que le projet d’avenant n°3 à la concession ont été déposés le 3 août 2009. Ce dossier a été mis à l’enquête un mois auprès du canton de Vaud, puis de Fribourg de fin octobre à fin décembre. Après la levée par FMHL de deux oppositions de principe, les cantons ont validé l’octroi de la concession le 17 mai 2010. La décision a été publiée et n’a fait l’objet d’aucune opposition.
Autorisation de construire (2008 - 2010)
L’autorisation de construire de la compétence des communes de Veytaux et de Villeneuve est basée sur le projet définitif et le rapport d’impact sur l’environnement. Le dépôt de la mise à l’enquête publique a eu lieu un jour après la fin de la consultation publique de la décision d’octroi de l’avenant à la concession. Aucune opposition n’ayant été faite, le dossier a pu être transmis à l’Office fédéral de l’environnement. Sans opposition de ce dernier et après publication dans le Bulletin officiel, les autorisations de construire ont pu être délivrées par les deux municipalités fin 2010.
Avant d’obtenir le feu vert du Conseil d’administration, une convention relative au sort des installations à l’échéance de la concession a encore dû être finalisée avec les cantons. Cette convention a été signée mi-janvier 2011 par les trois parties. Le feu vert pour la construction a finalement été donné le 7 février 2011.
Appels d’offres (2010 - 2015)
De nombreux appels d’offres ont été effectués au cours des années 2010 à 2015. Tout comme les activités d’ingénierie et de génie civil, chaque équipement électromécanique a fait l’objet d’une procédure d’appels d’offres selon les marchés publics.
Réalisation (2011 - 2016)
Il aura fallu 5 ans pour préparer le projet et obtenir toutes les autorisations. Il en faudra 5 de plus pour le réaliser et mettre en service les 2 groupes.
Excavation, chaudronnerie et bétonnage
Le consortium CV2-Ledi, formé des entreprises PraderLosinger, Evequoz, Dénériaz et Imboden, a obtenu le lot génie civil et chaudronnerie (blindages sous-traités à Alstom Hydro). Les travaux ont commencé le 7 mars 2011 par les excavations de la galerie d’accès de 330 m, sous 2 piles des viaducs autoroutiers de la N9. Les dimensions de la caverne principale des machines sont de 100 m de longueur, 25 m de largeur et 56 m de hauteur. La caverne ainsi que les différentes galeries ont été creusées par excavation traditionnelle, soit à l’explosif et au brise-roche (plus de 160'000 m3 de roche dont 94'000 m3 pour la caverne principale). Les matériaux d’excavation ont permis de produire des granulats utilisés pour environ 55'000 m3 de béton mis en œuvre à Veytaux. L’excavation de la caverne a été réalisée depuis le haut vers le bas en 10 étapes horizontales de 4 à 7 m de hauteur chacune.
L’un des principaux défis du projet a consisté à créer un écran étanche pour excaver le canal de fuite et la centrale au-dessous du niveau du lac Léman : le fond de la caverne est en effet situé à environ 35 m en dessous du niveau de la nappe phréatique directement liée au lac Léman distant de 200 m, alors que le canal de fuite de 300 m de long et de 9 m de haut se situe pour sa partie inférieure à environ 7 m en dessous du niveau de la nappe (figure 5). Pour obtenir un écran étanche tout autour des ouvrages excavés et étancher les fissures de la roche, plus de 107 km de forages ont été réalisés pour injecter quelque 3800 t de ciment. Ces injections effectuées par l’entreprise Rodio, sous-traitant de CV2-Ledi, ont commencé à l’été 2012 par les premiers essais dans le canal de fuite et se sont achevées fin mars 2013. La fin des excavations a eu lieu le 31 janvier 2014 [1]. CV2-Ledi a pu dès lors commencer le bétonnage des 7 niveaux de la caverne principale, d’une hauteur comparable à celle d’un immeuble de 18 étages (figure 6).
Dès juillet 2015, en parallèle aux finitions de génie civil et second œuvre, les équipements électromécaniques lourds ont été mis en place grâce à un pont roulant d’une capacité de 220 t (Stephan SA).
Turbine
La turbine Pelton d’une puissance de 118,8 MW (Andritz Hydro) est alimentée par 5 injecteurs avec des caractéristiques liées à la configuration d’un groupe ternaire, soit un arbre inférieur et un palier inférieur situés dans un manchon étanche à l’eau en passant par la fosse de la turbine (figure 7). L’eau, une fois turbinée, rejoint le canal de fuite à pression atmosphérique. La turbine est aussi utilisée pour lancer la pompe en mode pompage. La conception hydraulique de la turbine est basée sur une référence existante d’Andritz et aucun essai sur modèle n’a été jugé nécessaire, permettant ainsi une diminution des coûts et des gains de temps significatifs pour la phase de conception.
Pompe
Début 2011, Voith Hydro a obtenu le contrat pour les 2 pompes à 5 étages, tournant à 500 t/min. Les projets de pompes multiétages à haute chute, comme FMHL, sont plutôt rares dans le monde. Par conséquent, des essais sur modèle hydraulique ont dû être réalisés pour garantir une conception hydromécanique optimale. Le test sur modèle a été réalisé fin 2011 dans le laboratoire hydraulique « Brünnemühle » de Voith.
Les parties fixes et tournantes ont été assemblées en atelier pour vérifier les dimensions et assurer l’ajustement. Les essais de pression ont été réalisés à 175 bar dans les ateliers Voith de Heidenheim.
Le débit unitaire pompé est de l’ordre de 11,07 à 12,08 m3/s pour une puissance de 113,3 à 116,8 MW en fonctionnement normal avec une hauteur de chute comprise entre 837,4 et 884 msm.
Alternateur/moteur et transformateur
L’alternateur/moteur synchrone (Andritz Hydro) a une puissance apparente nominale de 130 MVA à une tension nominale de 15,5 kV. L’énergie produite, respectivement l’énergie soutirée au réseau, est reliée au transformateur (Siemens 15,5/400 kV) par l’intermédiaire de barres blindées en cuivre isolées à l’air (Simelectro, 135 MVA, 15,5 kV) avec un disjoncteur de groupe (ABB) du côté moyenne tension. Le rotor, avec son moyeu forgé (diamètre de 3,65 m), a un poids de 170 t, alors que le stator (diamètre de 6,3 m, hauteur de 5,6 m) pèse
167 t. Les stators, montés dans une halle Friderici SA à Tolochenaz, ont mis 3 jours pour rejoindre Veytaux.
Arbre vertical
L’avant-projet a permis de confirmer que les groupes ternaires à axe vertical devaient être utilisés : l’alternateur/moteur a été positionné en haut de l’arbre. La longueur totale de la ligne d’arbre est de 38 m. Chaque groupe est pourvu de 2 paliers butées, un pour la turbine/alternateur/moteur et l’autre pour la pompe, ainsi que de 4 paliers de guidage.
L’alignement de l’arbre a été réalisé en un temps record : dans un premier temps à l’aide du laser tracker d’Hydro Exploitation SA, puis au moyen du Siclav d’EDF-CIH, un outil qui permet de visualiser l’axe de rotation de la ligne d’arbre et ainsi de confirmer ou non la présence d’une anomalie géométrique de la ligne d’arbre et même de la mesurer.
Vannes sphériques
Chaque groupe est équipé de 3 vannes sphériques, soit une vanne principale (Andritz Hydro) avant l’alimentation de la turbine (MIV-AH, diamètre de 1,5 m), une vanne (Andritz Hydro/D2FC) à l’entrée de la pompe côté puits blindé (PDV-AH/D2FC, diamètre de 1,5 m) et une vanne (Andritz Hydro) située en amont des vannes MIV et PDV dans la chambre des vannes (CIV-AH, diamètre de 1,3 m).
Contrôle-commande
L’exploitant Hydro Exploitation SA avait réalisé les nouveaux contrôles-commandes des 4 groupes de la centrale actuelle. FMHL a fait appel à leur savoir-faire pour réaliser le contrôle-commande des 2 groupes de la nouvelle centrale.
Poste électrique GIS 220 et 380 kV
L’ingéniérie des postes a été réalisée par Alpiq Enertrans SA sous la supervision de Swissgrid dès le 1er janvier 2013. Siemens a réalisé le poste GIS 220 kV, ABB le poste GIS 380 kV et a livré les 2 transformateurs 220/380 kV, alors que Nexans a fourni et posé les câbles 380 kV reliant la nouvelle usine au poste des Chenaies.
Mise en service
La coordination des tests de mise en service du nouvel aménagement a été confiée à Hydro Exploitation SA qui a travaillé directement sous la direction de projet. Un peu plus de 6 ans après le premier coup de pioche, les essais pour la mise en service du premier groupe ont pu commencer le 17 mars 2016. La mise sous tension du groupe à partir du réseau Swissgrid et du nouveau poste a eu lieu du 12 au 14 avril et les premiers tours de roue le 4 mai. La synchronisation du premier groupe a eu lieu le 25 mai avec une puissance de 5 MW injectée pendant une dizaine de minutes.
Après une série de tests planifiés en mode turbinage, pompage et court-circuit hydraulique, le groupe a pu démarrer sa mise en service probatoire le 8 septembre 2016. Le second groupe de 120 MW a fait ses premiers tours de roue le 2 août et a été mis en service probatoire le 28 novembre 2016.
Référence
[1] N. Rouge, A. Jaccard, G. Micoulet : Projet FMHL+ : à mi-chemin… Wasser Energie Luft 2/2014, pp. 93-100, 2 juin 2014.
Liens
Remerciements
FMHL, respectivement les auteurs, adressent de chaleureux remerciements à toutes les entreprises, autorités fédérales, cantonales et communales et à tous les collaborateurs qui ont œuvré depuis plus de 10 ans à la réalisation de ce magnifique projet sans accident et avec succès.
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