Filtrage spectral pour l’agrivoltaïsme
Concilier production photovoltaïque et culture de plantes héliophiles
L’ombrage partiel qu’entraînent les panneaux agrivoltaïques conventionnels sur les cultures n’est pas envisageable pour les plantes qui ont besoin de beaucoup de lumière. Le concept de filtrage spectral comble cette lacune et permet de produire de l’électricité au-dessus de ces cultures sans réduire le rendement agronomique.
Selon une étude récente, en Suisse, le potentiel de production photovoltaïque de l’ensemble des surfaces agricoles s’élève à 131 TWh/an [1]. L’agrivoltaïsme constitue donc un domaine particulièrement intéressant, dans lequel de nombreux travaux de recherche sont menés afin d’optimiser la production simultanée d’énergie solaire et de denrées alimentaires. Le concept promet des avantages pour les cultures – dont la protection contre la chaleur et la grêle – ainsi que pour les panneaux photovoltaïques, qui bénéficient d’une meilleure évacuation de la chaleur que lorsqu’ils sont montés en toiture. Néanmoins, l’agrivoltaïsme doit impérativement permettre en premier lieu une augmentation du rendement agricole.
Pour les plantes héliophiles, comme les tomates et les poivrons, qui sont cultivées principalement sous serre, il n’est toutefois pas possible de déployer des modules photovoltaïques standard au-dessus des cultures sans réduire le rendement agricole. L’entreprise Voltiris a donc développé un système photovoltaïque incluant un filtrage spectral spécialement conçu pour les serres en verre, qui laisse passer toute la lumière nécessaire à la croissance des plantes tout en produisant un maximum d’énergie. Celui-ci s’intègre à l’intérieur des serres, au-dessus des cultures et en dessous de la toiture de verre (figure 1). L’utilisation de ce système permet aux maraîchers de gagner en indépendance énergétique, tout en augmentant leur profitabilité et la durabilité de leurs opérations.
Optimisation des filtres
Ce système est constitué de plusieurs filtres dichroïques par panneau photovoltaïque. Ceux-ci permettent de séparer les couleurs du rayonnement solaire de telle sorte que certaines plages de longueurs d’onde soient transmises et que le reste soit réfléchi. Pour ce faire, les filtres dichroïques sont constitués de centaines de nanocouches de polymères laminés sur un substrat transparent (verre/plastique). Leurs épaisseurs peuvent être définies avec précision, permettant ainsi d’obtenir le spectre nécessaire à l’application.
Dans le dispositif de Voltiris, ces filtres sont placés de manière à ce que la partie réfléchie du rayonnement soit utilisée pour la production d’énergie et que le reste de la lumière soit transmis vers les plantes. Afin d’augmenter le rendement photovoltaïque, et ce, malgré la réduction du spectre lumineux atteignant les panneaux solaires, les filtres dichroïques sont conçus de sorte à concentrer la lumière non utilisée pour la croissance des plantes sur les panneaux photovoltaïques. De plus, le système est monté sur un moteur 2 axes qui suit le soleil (figure 2).
Aucun impact sur le rendement agricole
Une première installation pilote à Agroscope, à Conthey, a permis d’étudier l’effet du système sur les plantes ainsi que d’évaluer sa production énergétique.
L’élément innovant du système concerne la manière dont le filtre spectral est utilisé. Au cours de cette étude, deux types de filtres ont été testés, qui laissent passer différentes parties du spectre solaire et différentes proportions du rayonnement (figure 3). Afin de couvrir les besoins minimaux des plantes, 27% de l’énergie solaire doit être transmise. Les filtres 1 et 2 laissent passer respectivement 47% et 40% de l’énergie solaire. Dans les deux cas, la lumière transmise correspond aux bandes d’absorption des chlorophylles afin de répondre aux besoins de la photosynthèse.
L’étude agronomique a été effectuée sur plusieurs cycles de plantations au cours de l’année 2022. Résultat: aucune réduction du rendement agricole n’a été constatée pour les cultures du basilic, des tomates et des poivrons par rapport à une surface de référence sans filtre. De plus, l’étude agronomique effectuée avec les filtres de type 1, c’est-à-dire sans transmission de la partie verte du spectre (longueurs d’onde comprises entre 500 et 600 nm), a montré que celle-ci n’était pas indispensable à la photosynthèse des cultures testées.
Des premiers résultats énergétiques encourageants
Les filtres 1 et 2 réfléchissent respectivement 53% et 60% du spectre en direction des panneaux solaires, dont la majeure partie des infrarouges, la partie du spectre où l’efficacité de photoconversion d’un panneau solaire standard à base de silicium monocristallin [3] est maximale.
Deux configurations de concentration ont été analysées dans cette étude: un système à concentration avec un facteur 3 par panneau solaire (X3), composé de trois filtres à 47% de transmission (filtres 1), et un autre système à concentration avec un facteur 6 par panneau solaire (X6), composé de six filtres à 40% de transmission (filtres 2). Dans le système X3, les filtres sont montés les uns au-dessus des autres et sont tous focalisés sur un seul et même panneau photovoltaïque d’une surface de 0,19 m2, tandis que dans le système X6, deux rangées de trois filtres sont montées l’une à côté de l’autre, et les six filtres sont focalisés sur un seul module solaire (figure 1) d’une surface de 0,16 m2. L’avantage principal du système X6 à concentration plus élevée réside dans une réduction de la taille du panneau, et donc de l’ombrage effectif des cultures. Un autre avantage, surtout visuel, consiste dans le fait que le filtre 2 est transparent et incolore pour l’œil humain puisque seuls les infrarouges sont réfléchis.
Tous les résultats sont résumés dans le tableau 1. Les mesures réalisées en utilisant le système X3 ont montré que, grâce à la concentration du rayonnement réfléchi sur le module solaire d’une surface de 0,19 m2, ce dernier affichait une puissance de 39 W – avec une irradiance globale normale (GNI) de 815 W/m2 à ce moment-là –, soit 130% de sa puissance nominale (30 W dans des conditions de test standard, avec une irradiance globale normale de 1000 W/m2). Ces 39 W de production pour une surface totale occupée par le système complet (filtres et module PV) de 3 m2 correspondent à une production de 13 W/m2. Ceci équivaut à un rendement photovoltaïque effectif de 1,6% (par rapport aux 815 W/m2 d’irradiance globale normale au moment des mesures). Si, toutefois, seule la surface du panneau photovoltaïque est considérée pour le rendement (39 W pour une surface de 0,19 m2, soit 206 W/m2), celui-ci atteint alors une valeur de 25,3 %.
Des calculs similaires ont été réalisés avec l’irradiance directe normale (DNI): celle-ci était de 652 W/m2 au moment des mesures avec le système X3. Pour rappel, l’irradiance globale normale (GNI) est l’irradiance totale du soleil à la surface de la Terre en un lieu donné sur un élément de surface perpendiculaire au soleil, incluant le rayonnement solaire direct et diffus; l’irradiance normale directe (DNI), elle, n’inclut pas le rayonnement solaire diffus (rayonnement diffusé ou réfléchi par les composants atmosphériques).
Dans le système X6, le panneau solaire (d’une surface de 0,16 m2) génère 34,2 W – avec une irradiance globale normale (GNI) de seulement 469 W/m2 au moment des mesures –, soit 136% de sa puissance nominale (25,1 W dans des conditions de test standard). Le rendement photovoltaïque pour l’empreinte au sol totale du système est de 2,4%. Si seule la surface du panneau photovoltaïque est considérée pour le rendement (une production de 34,2 W sur 0,16 m2, soit 214 W/m2, et ce, avec une irradiance GNI de 469 W/m2), celui-ci atteint alors une valeur de 45,3%, soit près de 3 fois le rendement du même panneau sans filtre ni concentration (15,6%) ou plus de 2 fois le rendement d’un panneau en silicium monocristallin standard (environ 20%). Autrement dit, à production PV égale et avec le même panneau, le système permet de réduire l’ombrage sur les cultures d’un facteur 3 (15% d’ombrage pour le panneau utilisé sans filtrage ni concentration contre 5% pour le système complet) et permet ainsi de n’exercer aucun impact sur le rendement agricole. En considérant un rayonnement solaire annuel moyen en Suisse de 1200 kWh/m2, avec le rendement mentionné plus haut de 2,4%, on obtient un potentiel annuel de 29 kWh par m2 de surface de serre pour cette installation pilote.
Futurs développements
Le système de Voltiris a été construit pour être utilisé à l’intérieur des serres, entre la toiture de verre et les plantes. Par conséquent, la rentabilité du système dépend largement de la transmission lumineuse de la serre. Celle de la serre expérimentale de Conthey était très faible, avec une moyenne inférieure à 30% et des écarts allant jusqu’à ±20%. Ceci est dû en grande partie à la structure métallique importante de la serre, tandis que la transmission mesurée du verre de la serre était de 90%. Les serres industrielles, avec une transmission lumineuse de 70% rendent l’utilisation du système Voltiris en intérieur économiquement rentable.
La production d’énergie électrique démontrée dans le cadre de ce projet pilote présente un potentiel d’amélioration significatif:
- Le spectre transmis peut être mieux ajusté à l’absorption des chlorophylles en coupant la transmission du filtre entre 480 nm et 600 nm ainsi qu’à partir de 700 nm. En conséquence, un maximum de 73% de l’irradiance pourrait être mis à disposition pour la photoconversion.
- Des panneaux solaires bénéficiant d’un meilleur design peuvent aussi être utilisés pour améliorer le gain photovoltaïque d’un facteur 1,5.
- Il est en outre possible de réduire les pertes géométriques (la proportion de la lumière réfléchie n’atteignant pas le module PV) de manière à augmenter encore la production d’un facteur 1,2.
L’ensemble de ces améliorations permettrait de multiplier le rendement obtenu avec cette installation pilote par un facteur 2,6. Celui-ci atteindrait ainsi plus de 6%, et ce, toujours avec un ombrage partiel sur les cultures de seulement 5%. À titre de comparaison, une installation photovoltaïque réalisée avec des panneaux standard (rendement de 20%) avec un ombrage partiel égal (des panneaux installés uniquement sur 5% ou 1/20 de la surface de la serre) produirait 6 fois moins d’électricité.
Finalement, des panneaux bifaciaux pourraient encore augmenter le rendement photovoltaïque d’environ 5% [4].
Suite aux résultats positifs obtenus avec cette installation pilote, le système de Voltiris a pu être développé davantage en tenant compte des aspects identifiés. Il est actuellement testé dans des serres aux standards industriels, aux Pays-Bas, sur des plantations de tomates hors-sol.
Références
[1] M. Jäger et al., «Machbarkeitsstudie Agri-Photovoltaik in der Schweizer Landwirtschaft», ZHAW, 2022.
[2] L. P. Vernon, G. R. Seely, The chlorophylls, Academic Press, NY, 1966.
[3] H. Wirth, «Chapter Three – Crystalline Silicon PV Module Technology», Semiconductors and Semimetals, Elsevier, Vol. 89, p. 135–197, 2013.
[4] C. Deline et al., «Bifacial PV System Performance: Separating Fact from Fiction», 46th IEEE Photovoltaic Specialists Conference, Chicago, IL, 2019.
[5] P.-V. Broccard et al., «Photovoltaic Energy Production in Greenhouses with Spectral Splitting Solar Trackers», AgriVoltaics2023 Conference Proceedings.
Note
Ce projet d’innovation a été financé par Innosuisse (59709.1-IP-EE). Les résultats ont été publiés lors de la conférence internationale AgriVoltaics2023 [5].
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