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Facturation équitable pour l’autoconsommation

Modèles de facturation et compteurs intelligents

31.03.2021

Dans un regroupement de consommation propre, les compteurs électriques actuels ne permettent qu’une facturation forfaitaire dont profitent ceux qui consomment peu de courant solaire, aux dépens des autres. Les compteurs intelligents permettraient une facturation plus équitable, mais qui nécessiterait une modification de la loi.

La loi sur l’énergie LEne [1] permet au courant solaire produit sur la toiture d’un immeuble d’être consommé directement par ce dernier ou par des immeubles adjacents. La surproduction photovoltaïque (PV) est injectée dans le réseau qui, à son tour, fournit le courant nécessaire quand la production solaire n’est pas suffisante. Or, la seule électricité solaire rentable en Suisse reste celle consommée directement, car l’électricité injectée dans le réseau ne sera bientôt plus rétribuée à prix coûtant. Les consommateurs s’organisent donc en communautés d’autoconsommation, qui sont perçues comme un unique consommateur final par le gestionnaire de réseau de distribution (GRD).

Une facturation pas si triviale

Dans le cas d’une copropriété, le coût de l’installation photovoltaïque est amorti en une douzaine d’années grâce aux économies réalisées sur la quantité de courant soutirée au réseau et aux recettes provenant de l’injection de courant PV dans ce dernier. En effet, la baisse du prix des panneaux et la rétribution unique (RU) ont réduit le coût de production du courant solaire (env. 12 cts/kWh), qui se trouve désormais en dessous du tarif standard du réseau (env. 20 cts/kWh), car ce dernier inclut les taxes de réseau (env. 10 cts/kWh) et d’encouragement (2,3 cts/kWh). De plus, le courant solaire injecté est rétribué par le gestionnaire de réseau plus ou moins généreusement (env. 5 cts/kWh).

La facturation réalisée par le GRD considère le courant solaire directement consommé ainsi que le courant soutiré et le courant injecté au réseau, mesurés par des compteurs de consommation (unidirectionnels) et par le compteur de consommation propre (bidirectionnel) qui constitue le seul raccordement au réseau de distribution (figure 1). Il n’y a pas besoin de mesurer le courant solaire produit, car il se déduit de la somme des courants consommés et de la différence entre le courant injecté et le courant soutiré au réseau. Ceci couvre aussi d’éventuelles pertes.

Les compteurs classiques (à disque de Ferraris ou équivalents électroniques) mesurent l’énergie accumulée et sont relevés tous les trimestres. Ils mesurent séparément l’énergie consommée aux heures pleines (HP) et aux heures creuses (HC), mais ils ne peuvent pas distinguer le courant solaire du courant du réseau. Les consommateurs sont donc facturés comme s’ils étaient raccordés à un réseau, avec un tarif de base fixe et des tarifs de consommation HP et HC, qui sont toutefois tous trois inférieurs à ceux appliqués aux consommateurs raccordés uniquement au réseau de distribution.

Quand les consommateurs sont locataires, l’ordonnance sur l’énergie (OEne) [2] leur impose de s’organiser en regroupement de consommation propre (RCP), avec un modèle de facturation visant à éviter les abus. Ce modèle compliqué décourage cependant les propriétaires et entrave ainsi le tournant énergétique. Certains gestionnaires de réseau qui effectuent la facturation appliquent, quant à eux, le «modèle de pratique GRD» des communautés d’autoconsommation, plus simple et aussi avantageux.

Le modèle de facturation de l’OEne

L’OEne prescrit un modèle de facturation qui part du cas particulier où le producteur solaire est le propriétaire de l’immeuble et où les consommateurs sont ses locataires. Elle ne considère pas, en revanche, les cas où les consommateurs sont copropriétaires de l’immeuble ou de l’installation solaire, ni celui où le courant est consommé par des résidents d’autres immeubles.

L’OEne s’appuie sur la facturation de l’énergie [3] et renforce la protection des locataires (code des obligations, art. 269 III) en prescrivant à l’art. 16, al. 3: «Les coûts facturés aux locataires ne doivent pas dépasser les coûts du produit électrique standard extérieur qu’ils paieraient s’ils ne participaient pas au regroupement. Si les coûts internes sont inférieurs aux coûts dudit produit électrique standard extérieur, le propriétaire foncier peut facturer en plus, au maximum, la moitié des économies réalisées aux locataires.»

Le guide pratique de la consommation propre [4] explique les facteurs suivants:

  • Les coûts de production interne se composent des coûts de capital et d’entretien, déduction faite des recettes provenant de l’électricité injectée.
  • Les coûts de capital sont calculés à partir de l’investissement initial, après déduction de la rétribution unique pour les petites installations photovoltaïques (PRU), avec un taux de rendement z, qui ne doit pas dépasser de plus de 0,5% le taux d’intérêt de référence actuel, sur une durée a de 25 ans, soit la durée de vie utile d’une installation solaire. L’Office fédéral du logement définit le taux d’intérêt de référence chaque trimestre; il s’élevait début 2021 à 1,25%. Pour ce calcul, la formule d’annuité de [5] est utilisée:

 

 

Exemple: z = 1,75%, a = 25 ans, investissement après déduction de la PRU = 38'000 CHF; coûts annuels de capital = 1890 CHF.

  • Les coûts d’entretien et d’opération sont répartis sur la consommation propre sous la forme d’un forfait de 3 à 4 cts/kWh [4].
  • Sont déduits de ces derniers les recettes provenant de la vente de l’électricité injectée dans le réseau.

 

Le résultat est divisé par la partie du courant directement consommée par tous les locataires et donne le coût de production du courant solaire concédé par l’OFEN, soit ici environ 16 cts/kWh.

  • À ceux-ci, le propriétaire peut ajouter les coûts fixes de l’administration, de la lecture des compteurs et de la facturation, répartis sur la consommation totale.

 

Exemple: 500 CHF de coûts fixes et 50'000 kWh donnent 1,0 cts/kWh. Il en découle des «coûts internes incluant les charges accessoires de l’électricité» de 17 cts/kWh.

  • Le «coût moyen du courant» varie selon la consommation du locataire, car le gestionnaire de réseau impose des coûts fixes (raccordement et lecture des compteurs) qui constituent un bon quart de la facture d’un consommateur économe.
  • Le calculateur de Swissolar [5] calcule le prix standard comme étant composé de 11/14 demi-journées d’HP et de 3/14 demi-journées d’HC par semaine. À ceux-ci sont ajoutés les coûts fixes répartis sur la consommation individuelle.

 

Exemple: 11/14 × 20 cts/kWh + 3/14 × 11 cts/kWh + 160 CHF/3000 kWh = 18,3 cts/kWh.

  • Si le forfait est plus élevé que les coûts internes, la moyenne est facturée.

 

Exemple: coûts internes = 17 cts/kWh, coûts du courant standard = 18 cts/kWh, à facturer = 17,5 cts/kWh.

Ce calcul est répété pour chaque locataire et change chaque trimestre.

Faiblesses du modèle de l’OEne

Le modèle de l’OEne met à l’épreuve le logiciel de comptabilité des GRD, car les compteurs ne distinguent pas si leur courant est consommé par un locataire, un copropriétaire, un résident d’un autre immeuble, ou par une charge commune (garage, ascenseur, éclairage, etc.). Or, typiquement, 40% de la consommation d’un immeuble de 12 logements provient des charges communes.

En répartissant les coûts fixes sur la consommation, les consommateurs économes payent plus par kWh.

Le modèle considère un rapport fixe entre le tarif HP et HC, alors que ce rapport dépend de la courbe du consommateur (par exemple, pendulaire ou retraité).

Le RCP doit livrer chaque trimestre une nouvelle estimation des tarifs.

Pendant les trimestres d’hiver, les coûts de production solaire sont plus élevés que les coûts du réseau, mais comme les locataires ne doivent pas payer plus, le producteur livre à perte.

Le producteur ne profite pas beaucoup de tarifs d’injection plus élevés: il doit partager ce bénéfice avec ses locataires.

Dans aucun autre commerce, le fournisseur ne doit partager son bénéfice avec ses clients. L’OEne renforce la protection des locataires de l’art. 269 du code des obligations.

Ce modèle ne précise pas quel tarif appliquer dans un marché libéralisé, quand les locataires renoncent à l’ouverture du marché pour participer au RCP et quand les tarifs seront dynamiques.

Le modèle devient impraticable avec des compteurs à courbe de charge, comme expliqué plus bas.

Si le producteur veut augmenter son autoconsommation avec une batterie, il ne pourra pas amortir son investissement, car les locataires n’y participent pas.

Et, finalement, ce modèle décourage les propriétaires d’installer des panneaux solaires sur des immeubles de location, car un amortissement sur 25 ans à 1,75%, qui ne tient même pas compte des impôts, n’offre aucune perspective de rendement.

Modèle de pratique des gestionnaires de réseau

Les gestionnaires de réseau effectuant la comptabilité des RCP préfèrent évidemment un modèle plus simple, qui était en vigueur sous l’ancienne législation des «communautés d’autoconsommation». Un modèle de pratique utilisé à Baden (Argovie) consiste à appliquer les mêmes tarifs aux consommateurs des RCP qu’aux clients rattachés directement au réseau, et à obéir à l’OEne en donnant une prime qui correspond à un quart du coût de raccordement.

Ce modèle avantage les consommateurs économes et simplifie la facturation, mais exige l’accord de tous les locataires. Une comparaison des méthodes montre que la différence est minime.

Facturation avec des compteurs intelligents

L’ordonnance sur l’approvisionnement en électricité (OApEl) [6] stipule que 80% des compteurs installés jusqu’à 2027 devront être «intelligents». Elle ne l’exige toutefois pas des compteurs pour l’autoconsommation, malgré les avantages qu’ils apporteraient.

Le compteur classique mesure l’énergie accumulée et ne distingue pas le courant solaire du courant du réseau. Tous les consommateurs bénéficient d’un courant meilleur marché, indépendamment de leur consommation de courant solaire. À l’extrême, un RCP pourrait se rentabiliser sans installation solaire, simplement grâce à la réduction des coûts de raccordement, mais ceci ne servirait pas au tournant énergétique.

Un compteur intelligent enregistre, quant à lui, l’énergie par tranche d’un quart d’heure. Il n’y a alors plus besoin de distinguer l’énergie HP et HC: le tarif est appliqué à la facturation, il peut varier pour chaque quart d’heure et même devenir négatif si la production est trop élevée. Le compteur intelligent ne discerne pas non plus le courant solaire, mais il permet de mettre en regard la production solaire et la consommation sur chaque intervalle.

La figure 2 présente l’exemple d’une installation avec trois types de consommateurs: un commerce, une famille et une pendulaire. Le courant soutiré au réseau est indiqué en rouge pour le tarif HP et en rose pour le tarif HC, le courant solaire est indiqué en jaune et le courant solaire injecté en vert. L’intervalle est ici d’une heure par souci de simplification.

La variable est b, la proportion de courant soutirée au réseau, c’est-à-dire la quantité de courant provenant du réseau divisée par la totalité du courant consommé dans l’intervalle T (ici un quart d’heure). Pour chaque consommateur i, le coût pour chaque intervalle T est calculé comme suit:

 

 

Ce calcul ne considère pas le courant injecté, car celui-ci a un autre client: le gestionnaire de réseau de distribution.

Pour inciter à consommer le courant solaire, celui-ci doit être meilleur marché que le courant soutiré au réseau.

Ce modèle de facturation vaut aussi pour un regroupement de plusieurs producteurs solaires et plusieurs consommateurs dans des immeubles adjacents. Le modèle OEne devient alors superflu. Chaque producteur solaire doit simplement indiquer son tarif solaire; le marché règle les prix. Cependant, dans les immeubles en copropriété, ce modèle n’incite pas ceux qui consomment peu de courant solaire (les pendulaires, par exemple) à financer leur part de l’installation photovoltaïque, car l’amortissement de leur investissement prend plus de temps.

Flexibilité et perspectives

En donnant priorité à la libéralisation du marché, on a oublié que le marché ne fonctionnait qu’avec des prix instantanés. Or, un compteur intelligent ne transmet ses mesures qu’une fois par jour, et il ne sert à rien de savoir que l’on aurait dû mettre sa pompe à chaleur en marche le jour précédent.

L’OApEl prescrit bien qu’un compteur intelligent dispose d’une interface client (CII) qui transmet ses mesures toutes les quelques secondes. Un système de gestion d’énergie peut en déduire si le courant est injecté ou soutiré, et peut charger les véhicules électriques ou laver le linge quand le soleil brille. Mais cela ne suffit pas pour enclencher des charges quand les tarifs sont bas, car les compteurs ne disposent souvent que de deux contacts «HP/HC» et la signalisation par courants porteurs est en voie de disparition, sans qu’un remplacement ne soit mis en place. Dans un marché libéralisé, les tarifs doivent pouvoir varier par quart d’heure et doivent être communiqués à tous en temps réel. On peut donc espérer que la révision de la loi permettra une facturation simplifiée et attrayante pour les propriétaires, ainsi qu’un pilotage des charges.

Références

[1] OFEN, Loi sur l’énergie (LEne, 730.0).

[2] OFEN, Ordonnance sur l’énergie (OEne, 730.01).

[3] Nouveau modèle de décompte individuel des frais d’énergie et d’eau (DIFEE).

[4] SuisseEnergie, Guide pratique de la consommation propre, Version 2.1, décembre 2019. pubdb.bfe.admin.ch/fr/publication/download/9329

[5] Swissolar, Calcul des coûts de production d’une installation photovoltaïque pour RCP.

[6] OFEN, Ordonnance sur l’approvisionnement en électricité (OApEl, 734.71).

 

Note

Cet article compare des méthodes en utilisant pour exemple les coûts d’installations déjà en service. La baisse des coûts actuelle n’invalide pas les conclusions.

 

Auteur
Prof. Dr. Hubert Kirrmann

était membre du CES/TK 57 – Automation des réseaux et technique de communication.

  • Solutil
    5405 Baden

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