Et si la production s’adaptait au réseau?
Des technologies smart grid en tant qu’alternative au renforcement du réseau
Le réseau électrique requiert des services-système principalement fournis par d’importants ouvrages de production. Or ceux-ci sont graduellement remplacés par des installations de production intermittente et décentralisée. Des opportunités se profilent donc pour ces nouveaux acteurs capables d’amener de tels services.
À l’heure du tournant énergétique, la production centralisée dite conventionnelle est progressivement remplacée par des installations de production intermittente et décentralisée (IPD). Pour être apte à répondre aux besoins futurs, le système d’exploitation actuel devra évoluer. De nouveaux services-système pourraient voir le jour afin de limiter les coûts en permettant une alternative au développement conventionnel du réseau. Des IPD capables de fournir de tels services-système augmenteraient le nombre d’acteurs déjà présents et offriraient ainsi de nouvelles opportunités aux gestionnaires de réseau de distribution (GRD) pour réguler le système. Dans l’immédiat, des stratégies intermédiaires permettant de faciliter l’intégration des IPD sont également recherchées.
L’objectif visé par cette étude consiste à envisager les nouvelles possibilités offertes aux IPD et autres ressources distribuées en vue d’une participation aux services-système du futur. Ces derniers représentent un potentiel de nouvelles sources de revenus, respectivement de réduction de dépenses, pour les différents acteurs opérant sur le réseau de distribution.
Établir les profils de charge et de production photovoltaïque
La tendance actuelle montre une augmentation importante du nombre d’installations de production de petites puissances (<30 kVA) adaptées à une consommation locale. Cette étude s’est donc concentrée sur ce que pourrait devenir un réseau basse tension (BT) de type quartier résidentiel à moyen terme.
Pour les besoins des simulations réalisées, les profils de charge et de production des points de raccordement considérés ont dû être établis. Les profils de charge ont été construits sur la base de mesures effectuées au quart d’heure sur les départs d’artères moyenne tension (MT). Celles-ci ont ensuite été pondérées selon la valeur d’ampèremètre à aiguille traînante (charge maximale jamais mesurée au niveau de chaque station MT/BT), puis en fonction des valeurs des fusibles d’introduction (figure 1).
Les profils de production photovoltaïque (PV) ont été définis sur la base d’un cadastre solaire établi pour la zone géographique en question et en tenant compte de l’orientation de chaque site. Les périodes d’ensoleillement considérées sur l’année ont été reprises à partir de mesures réelles provenant d’une installation PV existante sise dans la zone étudiée. Les toits retenus pour l’évaluation des besoins futurs du réseau de distribution ont été sélectionnés en considérant une irradiation moyenne supérieure à 1000 kWh/m2/an, des orientations et inclinaisons jugées bonnes ainsi qu’une surface de toiture supérieure à 15 m2.
Les IPD peuvent créer d’importantes congestions
Dans des conditions d’exploitation normales du réseau et comme indiqué dans le «Distribution Code Suisse» [1], le GRD met à disposition des consommateurs finaux (point de fourniture) raccordés aux réseaux de distribution régionaux et locaux (NR5 et NR7) une qualité de tension conforme à la norme EN 50160. Cela signifie qu’en conditions normales d’exploitation et en excluant les périodes d’interruptions, il convient que les variations de tension ne dépassent pas ± 10% de la tension nominale Un. De plus, dans le cas notamment de raccordements de nouvelles IPD, le GRD veille à respecter les règles DACHCZ. Celles-ci sont beaucoup plus restrictives que la norme précédemment mentionnée et stipulent notamment que les augmentations de tensions relatives dues aux IPD n’excèdent pas les 3% au point de raccordement BT.
Sur la base des différentes caractéristiques et modèles réalistes établis, ainsi qu’en considérant les contraintes imposées par les normes en vigueur, différents scénarii et simulations ont été réalisés. De ces simulations, les futurs besoins possibles du réseau ont été déterminés. Les périodes «extrêmes» de l’année ont été prises en considération, à savoir: les périodes où la production est maximale tandis que la consommation est minimale et inversement (figure 2).
La figure 3 représente les impacts sur l’état du réseau pour les différentes puissances PV installées considérées. Le facteur de potentiel τ permet l’ajustement de la puissance installée de chaque maison par rapport à la puissance maximale des toits théoriquement retenue (en prenant en compte les surfaces des bâtiments). Dans un scénario présentant une puissance installée de production correspondant à 40% de la puissance maximale possible, on constate très clairement que la réglementation DACHCZ [2] est déjà presque constamment enfreinte. La variation de tension permise par la norme, elle, est dépassée pour une partie des clients raccordés à partir d’une puissance installée de 60%. Le même constat peut être fait concernant l’état de charge des câbles souterrains. En effet, d’importantes congestions apparaissent lorsque la production PV dépasse la consommation locale.
Un régleur dynamique en guise de solution
Dans la résolution des problèmes potentiels attribuables à la forte concentration d’IPD sur une petite zone, différentes solutions peuvent être envisagées. Il existe des solutions dites conventionnelles qui consistent à renforcer les câbles critiques, à remplacer les transformateurs en place par des transformateurs à gradins variables sous charge, voire à ajouter une nouvelle station MT/BT. Cependant, cette étude a pour but de proposer de nouveaux services-système exploitant la flexibilité des producteurs (notamment selon les modèles développés dans [3]) qui permettent d’éviter ces renforcements «classiques».
L’idée retenue consiste à piloter, de manière dynamique, les onduleurs PV afin de ne pas dépasser les limites thermiques des câbles et de ne pas péjorer la qualité de tension. Ce régleur permet de limiter la production, par le biais d’un écrêtage optimisé, afin d’avoir une charge acceptable sur les tronçons de câble potentiellement surchargés et un niveau de tension dans le bon respect des prescriptions en vigueur.
Une connaissance de l’état du réseau est nécessaire afin d’avoir un retour (feedback) sur l’action du régleur. Plusieurs méthodes peuvent être envisagées pour connaître l’état du système, telles que des mesures acquises par des compteurs intelligents (smart meters) déjà présents sur le réseau, des mesures directement effectuées sur l’onduleur, voire l’implémentation d’un estimateur d’état. Dans la plupart des cas, le seul canal de communication existant entre le GRD et le producteur est le signal de la télécommande centralisée. Celui-ci ne possède qu’une quantité limitée de possibilités déjà fortement utilisées pour d’autres fonctions (double tarif, blocage de la pompe à chaleur, du chauffe-eau électrique, etc.). L’utilisation des bons outils de communication représente déjà un défi en soi. Cependant, pour cette étude, l’accent a été mis sur l’action et le potentiel d’un tel régleur. Différentes simulations ont été effectuées dans le but de démontrer le bon fonctionnement d’un tel dispositif.
Limiter l’injection de puissance en fonction de l’état du réseau
L’architecture et l’implémentation du régleur reposent sur une régulation de type proportionnelle-intégrale (PI) standard fréquemment utilisée en automatique. Ce choix a été fortement motivé par sa simplicité et sa performance élevée. Ce régleur a pour but d’impacter directement l’injection de puissance des IPD en fonction de l’état global du réseau. En effet, la limitation de production se fait seulement lorsque des écarts par rapport à la consigne sont présents. Les paramètres du régleur ont été configurés de manière à respecter la norme EN 50160 et la recommandation DACHCZ, c’est-à-dire en limitant la variation relative maximale de la tension à 3%. Pour ce cas précis, cela revient à appliquer une consigne de tension fixée à 105% (le niveau de tension sans production est aux alentours des 102%). Les résultats des simulations (figure 4) montrent que le réglage se fait selon les consignes introduites et, ainsi, l’exploitation du réseau BT peut à nouveau se faire dans le bon respect des prescriptions.
Les résultats obtenus tiennent compte de l’état électrique du réseau, mais également de la position géographique et de la puissance maximale des IPD. En d’autres termes, une distinction a été faite entre les différents producteurs et tous n’ont ainsi pas le même facteur d’écrêtage. En effet, des IPD «éloignées» d’une station MT/BT auront plus d’impact que des producteurs «proches» de celle-ci (figure 5a). Il en va de même pour la puissance maximale d’injection des IPD (figure 5b): une installation de plus grande taille aura un impact plus important sur le réseau. Plusieurs réflexions et stratégies ont été analysées dans le but d’introduire un coefficient pondérant la limite de production de chaque IPD et, ainsi, de tenter d’améliorer l’efficacité de cet écrêtage dynamique. La taille de l’installation, la sensibilité «U-P» (variation de tension en fonction de l’injection de puissance active), mais aussi la sensibilité «U-Q» sont les trois principaux critères retenus pour tenter de pondérer de manière optimale cette limitation de production.
Suite à cette analyse de sensibilité, il devient possible d’envisager une optimisation du régleur précédemment décrit. Pour maximiser l’efficacité du système, le critère adopté a été une minimisation de l’énergie écrêtée ΔE. Différents essais expérimentaux ont été simulés dans le but de déterminer le meilleur compromis. Les résultats obtenus montrent qu’un gain en efficacité (réduction de l’énergie écrêtée de l’ordre de 10%) peut être obtenu par le simple fait de pondérer la limitation des IPD en fonction des critères «éloignement» et «puissance de l’installation». La comparaison s’est basée sur des simulations effectuées lors d’une journée à forte production PV et faible charge.
Une piste prometteuse et des défis à relever
La politique d’encouragement de la production décentralisée impliquera une sollicitation plus importante des GRD quant aux demandes de raccordement d’IPD. Si la situation générale du réseau n’est aujourd’hui pas encore critique, il est probable que rapidement des portions de réseau moins robustes commencent à poser problème. Cette étude propose une alternative et démontre que l’ajout d’éléments actifs est une piste prometteuse. Cela va dans le sens voulu par l’ElCom qui stipule dans sa directive 2/2015 que des solutions «intelligentes» doivent obligatoirement être étudiées lors d’un renforcement du réseau.
L’écrêtage dynamique tel que proposé amène également toute une série de défis. Malgré une certaine complexification du réseau actuel, des prestations de services-système complémentaires et locaux pourront être fournies. Il reste cependant certains points à clarifier. En premier lieu, dans quelle mesure les clients-producteurs accepteront ou pourront être incités à accepter le fait que leur refoulement PV ne puisse pas toujours être repris par le réseau? Ceci doit-il demeurer au niveau de clauses contractuelles privées ou une adaptation du cadre réglementaire est-elle souhaitable, voire nécessaire?
Un second défi, d’ordre technique cette fois-ci, est également crucial. En effet, une bonne définition doit être établie quant au moment où les onduleurs seraient temporairement bridés et aux moyens de communication fiables mis en place pour une téléaction efficiente. Pour pallier ces obstacles techniques, le déploiement et l’arrivée du comptage intelligent (smart metering) et de systèmes de commande évolués pourraient constituer une partie de la solution, mais il restera très important d’avoir une stratégie d’écrêtage bien définie et viable.
Références
[1] AES, «Distribution Code Suisse», Association des entreprises électriques suisses, 2014.
[2] VEÖ, AES,VDN,CSRES, «D-A-CH-CZ Technische Regeln zur Beurteilung von Netzrückwirkungen», Verband Schweizerischer Elektrizitätsunternehmen, 2007.
[3] W. Fritz, A. Cronenberg, «Koordination von Markt und Netz – Ausgestaltung der Schnittstelle», Untersuchung im Auftrag des BFE - Bundesamt für Energie, Abschlussbericht: Consentec, 2015.
Les auteurs remercient EOS Holding et le SCCER FURIES pour leur soutien financier.
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