Interview Mobilité

Et l’hydrogène, alors?

Des camions aux avions

02.03.2021

L’Office fédéral de l’énergie a attribué le Watt d’Or 2021 dans la catégorie «Mobilité économe en énergie» à un réseau d’entreprises1) œuvrant au développement d’un cycle de l’hydrogène renouvelable pour le trafic de poids lourds en Suisse. Quelles sont donc les perspectives de l’hydrogène dans les autres secteurs de la mobilité? Hubert Girault répond à quelques questions.

Bulletin: La Suisse compte environ 50 camions à hydrogène, et ils seront bientôt un millier. Les voitures de tourisme ­suivront-elles cette tendance?

Hubert Girault: L’essor des camions à hydrogène en Suisse va impliquer le développement d’une infrastructure de production et de distribution d’hydrogène: un camion qui roule 500 km par jour, à 8 kgH2/100 km, consomme 12 tH2/an, soit la production annuelle d’un électrolyseur de 100 kW. Je vous laisse calculer la capacité d’électrolyse nécessaire pour les 50’000 camions et 400’000 camionnettes roulant en Suisse... Pour les voitures de tourisme, la technologie des piles à combustible trouvera sa place surtout pour les véhicules lourds, soit pour les 4x4 ou pour les berlines qui roulent beaucoup. Pour les voitures citadines qui roulent peu et qui ne sont jamais loin d’un point de recharge, les électriques à batterie resteront très compétitives.

Quels sont les avantages des voitures à pile à combustible par rapport aux autres propulsions alternatives?

Les voitures à hydrogène sont des voitures électriques dont l’électricité est générée à bord du véhicule. Leur autonomie ne dépend que de la taille du réservoir. Par rapport aux électriques à batterie, leur principal avantage réside dans le fait qu’elles n’ont besoin que de quelques minutes pour faire le plein. De plus, en hiver, la pile à combustible produit de la chaleur alors que le froid est l’ennemi n° 1 des électriques à batterie.

Quand pensez-vous que nous observerons le développement d’un réseau de stations-service hydrogène?

Le rythme de déploiement des stations H2 ne permettra d’atteindre qu’une fraction des 3300 stations-­service suisses dans la prochaine décennie. En Europe, le déploiement des stations H2 s’accélère depuis 2015: il y en a déjà plus de 100 en Allemagne, qui restent cependant sous-­utilisées faute d’une demande suffisante du côté des véhicules particuliers. C’est là toute la force de l’approche suisse basée sur les poids lourds, un camion générant une demande correspondant à plusieurs dizaines de voitures particulières tout en ayant des routages plus prévisibles et limités à certains grands axes. Les bateaux pourraient également apporter la même logique de flotte captive.

La mobilité hydrogène sera donc réservée aux gros véhicules?

C’est la typologie d’usage, et non du véhicule, qui oriente le choix du vecteur énergétique. L’hydrogène est adapté pour les usages d’endurance, de forte puissance et nécessitant une grande disponibilité. C’est donc le cas des usages de type taxi, propriété partagée, mobility on-demand, fret longue distance, ou encore pour certaines niches comme les lignes ferroviaires non électrifiées. La mobilité hydrogène concernera en particulier le transport de marchandises par la route, le train ou par bateau, voire par drone. En effet, le transport par drones des personnes et des marchandises va se développer très fortement et ne sera plus réservé aux militaires.

Lors de la présentation du Hy4, le premier avion à hydrogène à 4 places, Josef Kallo de l’Université d’Ulm a déclaré qu’il devrait être possible de disposer dans une décennie d’avions H2 pouvant transporter jusqu’à 40 personnes sur 2000 km. Est-ce réaliste?

Tout à fait. En Suisse, la société H55 à Sion travaille sur les avions électriques et une version hydrogène serait tout à fait envisageable. Même Airbus a lancé un programme de développement d’avions à hydrogène.

La Suisse devrait-elle investir dans un plan de relance énergétique, comme l’Union européenne qui engage des milliards dans le développement de la filière H2?

Après avoir investi dans les filières des panneaux solaires et des batteries au lithium, la Chine le fait désormais massivement dans la filière H2. L’Europe a décidé cette fois de suivre le mouvement, car elle dispose d’atouts majeurs en termes de technologies. Il existe en Suisse un potentiel technologique important pour répondre aux engagements de réduction de 30% des émissions de CO2 d’ici 2030, mais sans plan d’investissement d’envergure, ce sera très difficile.

 

Note

1) Hydrospider AG, Hyundai Hydrogen Mobility AG, H2 Energy AG et l’association Mobilité H2 Suisse.

 

Auteure
Dr. Cynthia Hengsberger

est rédactrice du Bulletin Electrosuisse.

  • Electrosuisse,
    8320 Fehraltorf

En quelques mots

Prof. Dr Hubert Girault est professeur ordinaire de chimie physique à l’EPFL ainsi que professeur externe au sein de l’Engineering Research Center of Innovative Scientific Instruments de la Fudan University, à Shanghai.

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