Article Organisation d'entreprise , Personnel

Entre spécialisation et multidisciplinarité

Les évolutions nécessaires des métiers de l’énergie

30.03.2020

Dans un monde énergétique en profonde mutation, les filières de formation liées à l’énergie doivent évoluer. L’approche traditionnelle «en silos», séparant par exemple le génie électrique du génie thermique, ne correspond plus aux besoins actuels et doit être enrichie par une formation multivecteurs et systémique visant l’intégration des technologies.

Le monde de l’énergie se trouve dans une phase de profonds changements, et ce, tant du point de vue des infrastructures de production que de celles de transport et de distribution. L’énergie se situe, en outre, de plus en plus en interaction avec d’autres domaines techniques tels que la numérisation ou l’automatisation, et non techniques tels que la finance, l’urbanisme ou les sciences comportementales.

Vers une diversification croissante

Ces bouleversements ne sont pas uniquement dus à la pénétration des énergies renouvelables décentralisées ou aux nouvelles technologies telles que le «smart metering», mais aussi à l’évolution profonde de situations monopolistiques vers une réalité économique marquée par la nécessité d’offrir des palettes de services et de miser sur la diversification. On assiste ainsi à la métamorphose d’entreprises historiquement ancrées dans le domaine d’un seul vecteur énergétique (la distribution électrique, par exemple) et qui deviennent des acteurs multi-énergies – soit seules, soit en partenariat avec d’autres entreprises – ainsi que des fournisseurs de services très larges allant de l’optimisation énergétique dans les industries à la HVAC résidentielle (chauffage, ventilation et climatisation), en passant par la recharge des véhicules électriques ou la domotique.

S’ajoutent à ce scénario, les changements qui se mettent en place dans le cadre de la digitalisation – un terme imprécis, mais qui indique la croissante ubiquité d’éléments numériques. Ces derniers interviennent, par exemple, dans la gestion de la cogénération individuelle ou d’une pompe à chaleur par le biais d’un smartphone, ou encore dans les méthodes de contrôle par systèmes SCADA, c’est-à-dire dans la gestion de tout l’univers énergétique, de l’extraction au consommateur final. Comme on l’entend souvent: «Le monde est devenu tellement plus compliqué!» Cette constatation est aussi valable dans le domaine de l’énergie.

La formation doit évoluer

Fruit d’une évolution progressive, cette nouvelle donne pose clairement des défis aux institutions de formation professionnelle, supérieure et universitaire. En effet, dans le domaine de l’énergie, le modèle des écoles techniques et professionnelles, des HES et des EPF reste avant tout ancré dans les séparations par domaine qui remontent au début du siècle, à savoir les deux grandes familles de l’énergie électrique et de l’énergie thermique/mécanique. Il est vrai que des voies hybrides se sont développées, par exemple celle de l’énergétique du bâtiment, mais tout en restant le plus souvent liées à l’une des deux «filières historiques».

Ce tableau n’est toutefois pas si rigide. Les étudiants doivent aussi suivre des cours en marge du cursus choisi: un peu de Maxwell pour les thermodynamiciens et un peu de Boltzmann pour les électriciens. Malheureusement, ces compléments sont souvent prodigués sous la forme d’un «saupoudrage» faisant abstraction d’une véritable approche interdisciplinaire, et ce, malgré les efforts des enseignants, qui souvent travaillent dur pour parvenir à proposer une perspective plus vaste.

Des spécialistes sensibilisés à l’intégration systémique

Le monde de l’énergie moderne requiert une véritable multidisciplinarité qui ne doit en rien sacrifier aux compétences-métier de base. Il ne faut pas affaiblir un cursus, par exemple dans le domaine des machines électriques: il faut former des experts. Il s’agit par contre de sensibiliser ces futurs ingénieurs aux nouvelles exigences auxquelles doivent répondre ces machines électriques, quand elles sont par exemple utilisées pour des pompes qui vont agir sur des systèmes industriels ou des chauffages à distance (CAD), dans un contexte de recherche d’efficacité énergétique accrue. Il faut pouvoir rendre les étudiants attentifs aux différents contextes d’application des technologies et aux défis qui surgissent aux interfaces entre domaines.

Un autre exemple emblématique: celui du stockage et de son intégration dans les réseaux électriques. Il n’est pas possible de demander à un ingénieur électricien de devenir simultanément chimiste et thermodynamicien lorsqu’il devra intégrer des batteries ou un stockage à air comprimé dans un réseau; néanmoins, il devra être en mesure de comprendre les éléments les plus importants et les limitations des systèmes non électriques qu’il est censé intégrer, et ce, de manière plus que «superficielle». Il va sans dire que ces «mariages» vont se multiplier dans les systèmes énergétiques du futur: batteries, réseaux électriques, gaz naturel, hydrogène, chauffages à distance, unités de cogénération, piles à combustible, stockages hydropneumatiques, etc.

Cela semble banal de le dire, mais la clé réside dans une approche qui soit véritablement multi-énergies, et ce, dès le niveau de base des formations. Il faut donner aux futurs ingénieurs une formation toujours aussi solide dans le domaine qu’ils ont choisi, sans négliger toutefois un interfaçage profond avec les autres secteurs, en leur démontrant que ces derniers pourront apporter des éléments de réponse aux défis spécifiques à leur domaine. Aucun vecteur énergétique ne peut se développer sans l’apport de technologies «étrangères», ou du moins «connexes». En vue de fournir les services énergétiques nécessaires à la société et à l’économie, un enseignement orienté vers l’intégration des technologies et leur implémentation optimale doit être privilégié.

Répondre aux évolutions du domaine énergétique

Dans ce cadre, la HEIG-VD a par exemple ouvert au niveau Bachelor depuis quelques années l’orientation «thermotronique»1), intégrée à la filière «Énergies et techniques environnementales». L’idée de base consiste à former des ingénieurs qui se situent au cœur du dimensionnement, de l’intégration et de l’utilisation opérationnelle des futurs systèmes énergétiques, sachant combiner dispositifs électriques et installations thermiques, développer les stratégies de contrôle propres à ces systèmes couplés ainsi que relever le défi de l’optimisation du design de composants appelés à interagir. Ce seront les concepteurs et/ou managers d’installations multi-énergies et multi-fluides intégrées du futur que l’on pourra rencontrer dans les centres sportifs, les complexes hôteliers, scolaires ou hospitaliers, ou encore dans les centres commerciaux multifonctions et les parcs industriels.

Au niveau master, la HES-SO a participé activement au redesign du Master of Science in Engineering (MSE)2) national. Le but est de former des ingénieurs qui puissent relever les nouveaux défis techniques et répondre aux besoins du tissu économique suisse: pour ce faire, la refonte de l’orientation en énergie et environnement a justement intégré les aspects multi-énergies et multidisciplinaires évoqués plus haut.

Last but not least, il ne faut pas négliger la formation continue. Les nouveaux défis auxquels sont confrontées les entreprises spécialisées dans le domaine de l’énergie soulignent en effet la nécessité de fournir des mises à jour et/ou de nouvelles compétences aux personnes déjà professionnellement actives. Un ingénieur «réseaux électriques» peut-il se permettre de ne pas s’informer à propos des évolutions du monde du stockage? Une spécialiste des réseaux de gaz naturel peut-elle ignorer les opportunités relatives au «power-to-gas» ou aux gaz de synthèse? Les bureaux de consultants développant des projets de chauffage à distance peuvent-ils passer à côté de l’optimisation des pompes de circulation par le biais de systèmes basés sur l’électronique de puissance?

La formation continue, un élément à ne pas négliger

Hélas, une grande partie de l’offre de formation de base et de formation continue est encore formatée en silos. Cette situation est toutefois aussi en train d’évoluer. Les auteurs de cet article ont par exemple mis sur pied le cours «Mutations énergétiques – Solutions systémiques et grands projets»3), un cours ponctuel de trois jours destiné à un public de cadres et d’ingénieurs d’entreprises énergétiques, de consultants, ou encore d’administrations publiques. En un nombre d’heures restreint tenant compte des contraintes auxquelles sont soumises ces personnes, cette offre vise à fournir une vue globale des nouvelles technologies du secteur énergétique ainsi qu’à rendre attentif à la nécessité d’intégrer des solutions de stockage adaptées à toutes les échelles, et ce, tout en soulignant le rôle crucial que seront appelés à jouer les réseaux électriques, de gaz naturel et de CAD. Le cours aborde également les aspects liés à la mise sur pied et à la gestion des projets, du financement à l’établissement de consortia de partenaires, en passant par les nouvelles exigences en termes de demandes d’autorisation et de gestion de la propriété intellectuelle.

Cette formation ponctuelle se veut bien plus qu’une «piqûre de rappel»: il s’agit plutôt d’une «piqûre de motivation», pour aborder avec entrain ce monde incroyablement innovant et chargé d’opportunités – mais aussi complexe – de l’énergie en ce début de XXIe siècle. Une manière aussi de rappeler que le domaine de l’énergie ne s’approche pas par le biais de partis pris, mais à l’aide de chiffres, de faits et de connaissances solides, seuls gages de solutions rationnelles.

Mutations énergétiques

Un cours ponctuel organisé par la HEIG-VD

Après le succès rencontré par la première édition en 2019, le cours ponctuel «Mutations énergétiques – Approches systémiques et grands projets» organisé par la HEIG-VD sera à nouveau proposé cette année, toujours sur trois jours, à savoir du 14 au 16 septembre 2020.

Centré autour des projets faisant appel aux technologies énergétiques innovantes telles que les solutions de stockage, l’hydrogène ou encore les réseaux intelligents, et reposant sur des informations chiffrées et factuelles, ce cours permettra de mieux appréhender les défis énergétiques et environnementaux qui attendent le monde et la Suisse. Les aspects liés à la mise sur pied et à la réalisation concrète de projets énergétiques font partie intégrante du cours.

Cette formation cohérente, intégrée et intense est destinée aux personnes travaillant au sein d’entreprises énergétiques, d’administrations publiques, d’industries à fort contenu énergétique ou encore de bureaux d’ingénieurs.

Les membres d’Electrosuisse bénéficient d’un rabais de 10% lors de leur inscription en ligne.

Innovation Crunch Time

Soumettez vos problèmes aux étudiants de la HEIG-VD!

La Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud (HEIG-VD) offre aux entreprises la possibilité de proposer des sujets d’innovation concrets à ses étudiants de dernière année en Bachelor (ingénierie et management). Pendant une semaine, par équipes de 6 ou 7, ils appliqueront les méthodes du «design thinking» à la résolution des problématiques que les entreprises leur proposeront.

Informations complémentaires

Auteur
Massimiliano Capezzali

est professeur à l’Institut d’énergie et systèmes électriques (IESE) ainsi que responsable du Pôle Énergies de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.

  • HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains
Auteur
Hans Björn (Teddy) Püttgen

est professeur honoraire de l’EPFL.

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