Encore un rêve ou déjà une réalité?
Le «human centric lighting» et ses applications
L’éclairage centré sur l’être humain, ou «human centric lighting», est actuellement sur toutes les lèvres des spécialistes de la planification d’éclairage et des producteurs de solutions basées sur la technologie LED. Mais que signifie au juste cette expression? Est-ce un phénomène de mode ou une réelle évolution technologique de l’éclairage artificiel?
Depuis la nuit des temps, l’éclairage artificiel a toujours été centré sur l’être humain et sur ses activités, mais les limitations techniques ne permettaient pas encore d’aboutir à une réelle expérience intuitive proche de la nature lors des interactions homme/lumière artificielle. Pour accompagner ses activités quotidiennes, l’humain n’a cessé de vouloir faire entrer par tous les moyens la lumière naturelle dans son foyer. Elle représente notre premier point de référence instinctif, avec ses effets physiologiques visuels et non visuels influençant notre biochimie et le rythme de notre horloge interne. Elle nous accompagne dans notre mémoire transmise de génération en génération. Toutes nos perceptions majeures de ce qui est visible, et même non visible, passe par la quête de la lumière naturelle. Même son absence est essentielle à nos besoins pendant le temps que nous consacrons à notre repos.
Reproduire artificiellement la lumière solaire et pouvoir vivre en intérieur l’expérience du lever du soleil jusqu’à son coucher a toujours été source de fantasmes et de quêtes technologiques. Sommes-nous désormais à l’aube d’une nouvelle façon d’illuminer nos vies?
L’ère du «software» de la lumière
La lumière artificielle s’inscrivait jusqu’ici uniquement dans le domaine de «l’espace», hormis peut-être pour le monde de l’éclairage scénique et pour certains cas d’effets graphiques utilisés dans l’architecture, pilotés par des programmations complexes et fastidieuses. Aujourd’hui, une nouvelle dimension technologique fait son apparition: le contrôle de la lumière artificielle dans «le temps» ainsi que la gestion des teintes naturelles du multichip LED, soit des «blancs dynamiques» et non plus de simples mélanges basiques RGB ou WRGB utilisés pour la réalisation d’effets plutôt décoratifs. L’équation «espace + temps» permet de nous rapprocher de la nature par la création artificielle de lumière mélanopique, une lumière s’approchant du spectre naturel, qui de plus évolue au cours du temps! Cette nouvelle dimension «software» multiplie grandement les possibilités de scénarios et élargit la gamme des effets possibles, de la performance visuelle et du confort à la qualité du sommeil (gestion du cycle circadien), en passant par la vigilance, l’humeur et le comportement, et ce, avec des conséquences sur la santé, l’apprentissage et les dépenses.
À l’instar de l’évolution des smartphones, il est capital de considérer l’éclairage LED du point de vue des deux aspects «hardware» et «software»: en ce qui concerne l’aspect «matériel», les luminaires LED continuent d’évoluer, mais l’intérêt se porte de plus en plus sur leur faculté à être pilotés grâce à des intelligences électroniques embarquées (telles que la gestion par Bluetooth, Wi-Fi, Zigbee, etc.) via des logiciels et applications ergonomiques simples d’utilisation tant pour le concepteur d’éclairage que pour l’utilisateur final. Ce nouvel atout permet de multiplier les scénarios au moment de la mise en fonction d’une façon très souple et personnalisée, et contourne certaines contraintes techniques fastidieuses et coûteuses lors de l’implantation dans l’espace architectural.
Un bénéfice pour l’humain et pour l’ensemble des espèces
Cette gestion temporelle et chromatique de l’éclairage n’est pas mise en application uniquement dans nos espaces privés ou professionnels. L’arrivée des technologies de programmation capables de mieux gérer les sources lumineuses des zones urbaines et extra-urbaines offre également des solutions diminuant réellement l’impact phototoxique sur un écosystème sous pression constante, saturé aujourd’hui par la pollution lumineuse et l’altération du cycle naturel, même si la lumière n’en est pas la seule responsable. Cette pollution lumineuse est reconnue dans la loi européenne de 2016 pour la reconquête de la biodiversité. Elle y est définie ainsi: lumière artificielle qui altère le cycle naturel jour/nuit (nycthéméral) et qui, par conséquent, peut affecter les organismes vivants et leurs écosystèmes.
Grâce à la programmation des systèmes d’éclairage extérieur, il est désormais possible de combiner sécurité, variation de la fréquentation des zones habitées, baisse d’intensité lumineuse et modification du spectre colorimétrique durant les plages d’heures où la lumière est inutile, tout en rendant à la nature des zones dites «noires» afin que les espèces sensibles nécessitant de l’obscurité puissent continuer leur cycle de reproduction sans être perturbées dans leur cycle photobiologique. Ceci, sans compter l’économie d’énergie électrique colossale qui peut être réalisée grâce à ces solutions d’éclairage intelligentes.
La lumière et la mémoire
La lumière et l’éclairage adaptés à l’être humain lui permettent de voir pour effectuer avec rapidité, sûreté et précision ses différentes tâches quotidiennes. Capteur, transporteur et transcodeur de photons et d’une partie du spectre électromagnétique, l’œil est un véhicule sophistiqué qui permet à l’homme non seulement de voir, mais aussi de regarder et de mémoriser. Voir pour apprécier, regarder pour choisir, pour comprendre, pour ressentir des émotions, pour mémoriser le présent utile aux décisions futures et pour exprimer des sentiments dans un monde de précision et de rapidité d’action. Nous vivons toutes ces perceptions visuelles à travers la mémoire.
Un exemple? Dans le cadre d’un projet d’amélioration des conditions d’éclairement des établis d’horlogers réalisant des exécutions haut de gamme, l’agence Dcube.swiss a été confrontée à un phénomène difficile à surmonter par la technologie: les habitudes ancrées par le temps dans la mémoire et dans la construction de gestes méticuleux effectués quotidiennement par ces maîtres-artisans. En effet, il semblerait que ceux-ci se soient habitués durant des années à corriger et à compenser la perception de ce qu’ils voyaient en utilisant des luminaires basiques de type fluocompact, présents depuis de nombreuses années dans la manufacture.
Dès lors, toute lampe LED de nouvelle génération qui leur était présentée, pourtant dotée de qualités largement supérieures à celles de leur ancienne lampe d’établi en termes, entre autres, de température de couleur, d’indice de rendu de couleur (IRC) ou d’éblouissement (UGR), ne convenait jamais. Les retours étaient pour la plupart argumentés par le fait qu’ils ne pouvaient plus voir «comme avant»… C’est un peu comme faire du vélo pendant des années avec un vélo dont le guidon est tordu, en corrigeant la distorsion pour aller droit, et de passer subitement à un vélo avec un guidon droit. Il y a de fortes chances que cette correction ancrée dans la mémoire nous fasse partir directement dans le champ voisin… La solution à cette problématique, développée avec des ergonomes du travail spécialisés, a consisté à changer non seulement la lampe d’établi, mais aussi une bonne partie de l’environnement de travail des horlogers afin de provoquer une cassure plus marquée.
Reproduire un cycle ajusté sur l’horloge naturelle
Pour réaliser un éclairage dynamique capable de créer une lumière cyclique imitant une journée complète, un luminaire doit principalement pouvoir changer de spectre de couleur et varier son intensité lumineuse au bon moment. Intervient alors ce qui a été évoqué plus haut: la gestion intelligente par «software» de l’appareillage.
Le changement de teintes de la lumière émise par un seul et même luminaire est réalisé par le biais de sa platine électronique, qui inclut au moins deux diodes: la première détermine le spectre le plus chaud, et la seconde le plus froid. Le mélange de ces deux couleurs s’opère à travers l’électronique du luminaire, qui communique avec une application capable de gérer les deux signaux chaud-froid, ainsi que le contrôle et le mélange des teintes au bon moment de la journée et à la bonne intensité (figure 1). L’évaluation de l’exposition à la lumière bleue, pour ses effets relatifs à la sécrétion de mélatonine et son impact sur le rythme circadien, est étudiée dans la bande dite «mélanopique» (soit correspondant au bleu turquoise, à une longueur d’onde de 480 à 490 nm). Pour obtenir une lumière de «blancs dynamiques», la source LED doit dès lors se situer entre 2400 et 5400 K environ. Le logiciel doit être capable de gérer, via une horloge, la chronologie d’intensité et de teinte sur une journée (figure 2).
De telles lumières dynamiques sont disponibles sur des bandeaux LED, dans des projecteurs multichip et également dans des dalles de plafonds encastrables pour les locaux commerciaux et les bureaux. À souligner encore: l’importance de configurer le luminaire avec une électronique capable de transmettre toutes ces informations à un software afin de reproduire cette cadence de lumière en mouvement.
Une expérience inédite
Afin d’offrir une expérience la moins anxiogène possible aux patients de son service de radio-oncologie lors des traitements de radiothérapie, l’Hôpital de La Tour à Meyrin a demandé à l’agence Dcube.swiss de réaliser un système d’éclairage dynamique reproduisant aussi fidèlement que possible les variations spécifiques de la lumière naturelle. Ce service, situé au 3e sous-sol de l’établissement, occupe un espace d’environ 600 m2 dans lequel ont été distribuées deux technologies de pointe, créées par les sociétés Coelux et Light Cognitive, destinées à la réalisation de ciels dynamiques de dernière génération (figure 3). Les espaces équipés de ces technologies concernaient autant les zones «patients», incluant un bunker de radiothérapie, que les zones occupées par le personnel. L’objectif était prioritairement l’accompagnement par la lumière des patients durant le traitement de radiothérapie, mais également l’augmentation de la qualité de vie du personnel soignant confiné toute la journée dans un espace dépourvu de fenêtres.
En arrivant au service de radio-oncologie, le patient se retrouve dans la salle d’attente, large et spacieuse. Au-dessus de lui, une «fenêtre» projette une lumière «naturelle» hyperréaliste (figure 3b) incluant une vision du soleil, grâce à trois éléments:
- une optique de vue vers l’infini qui s’appuie sur une utilisation appropriée des effets psychophysiologiques liés à la concentration oculaire, à la convergence oculaire, à la parallaxe du mouvement et aux repères visuels en perspective aérienne: l’appareil crée l’illusion d’optique du ciel et du soleil situés à une distance infinie;
- le simulateur LED «soleil»: des LED haute luminosité sur mesure, organisées dans une disposition optique en paquets serrés, fournissent la qualité spectrale, la luminance et la directionnalité nécessaires pour produire une simulation convaincante du soleil;
- le diffuseur «sky» nanotech, capable de réaliser une dispersion aléatoire de nanoparticules dans un matériau transparent mince afin de reproduire la diffusion (rebonds) des rayons du soleil lorsqu’ils traversent l’atmosphère: ce ciel semble ainsi bleu et lumineux, et les ombres ne sont pas grises mais bleues, elles aussi.
Une fois que l’opérateur-radiologue a appelé le patient afin de démarrer le soin, ce dernier se dirige vers un atrium central équipé lui aussi de ciels Coelux, avant de pénétrer dans le bunker où les soins sont prodigués. Entrer dans un bunker et s’y faire enfermer représente un moment de grande tension psychologique, raison pour laquelle une paroi lumineuse de 4 m de long par 2,5 m de haut, capable de reproduire la nature visuelle et dynamique du changement de jour dans le ciel et l’horizon (technologie Light Cognitive), a été installée dans le corridor d’accès (figure 4). Le contrôle spectral de ce système, mis au point par le Dr Steven Lockley de la Harvard Medical School, permet de créer des champs lumineux qui reproduisent toutes les couleurs de manière naturelle (IRC jusqu’à 98) et de gérer l’effet biologique de la lumière pour favoriser un cycle veille-sommeil sain. Ces sources de champ lumineux sont dynamiques et se déplacent en continu de manière fluide sur le cycle de 24 h. Dans ce projet, toutes ces qualités ont été exploitées pour personnaliser les scénarios d’accompagnement via une télécommande pilotée par l’opérateur de la radiologie: une lumière matinale plus douce et jaune pour calmer le patient avant le soin, ou une lumière intense et bleue pour la partie finale du soin. Une fois le patient couché et installé sous l’impressionnant accélérateur de particules, il pourra observer au-dessus de lui une trame de neuf fenêtres Coelux, avec la qualité de perception de ciel infini évoquée auparavant (figure 3a).
La combinaison de ces technologies, associée à une lumière indirecte dynamique sur tout le pourtour de la salle, a ainsi permis de créer plus de sept scénarios et ambiances répondant aux exigences de gestion des aspects psychosomatiques nécessaires pour ces soins.
La fin de l’éclairage «artificiel»?
Les études réalisées par les producteurs cités, ainsi que les retours d’expérience des patients et du personnel soignant de l’hôpital, montrent clairement les améliorations des effets psychosomatiques de la lumière: sentiment d’être plus connecté à la nature, réduction des sensations de tension et de symptômes claustrophobes, humeur plus positive, augmentation de 30 à 40% du bien-être, de l’attention, de la motivation et de la performance et, finalement, diminution de l’anxiété de 30%.
Ces expériences fusionnant technologie et cognitif ouvrent la voie à un futur de plus en plus pourvu de systèmes lumineux capables de reproduire un vrai spectre naturel, en mouvement et adapté à nos activités, et nous permettent d’espérer que l’inconfort des systèmes figés et rigides ne sera bientôt plus qu’une vieille histoire!
Littérature
- AFE, «Recommandations relatives à l’éclairage des lieux de soins et d’accompagnement», éditions Lux, 2016.
- Pierre Van Obberghen, «Traité de couleur thérapie pratique», éditeur Guy Trédaniel, 2007.
- Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail), «Effets sur la santé humaine et sur l’environnement des diodes électroluminescentes», rapport d’expertise collective, édition scientifique, avril 2019.
- M. Canazei, W. Pohl, H. R. Bliem, M. Martini, E. M. Weiss, «Artificial skylight effects in a windowless office environment», Building and Environment, Vol. 124, pp. 69-77, 2017.
- M. Canazei, M. Mag, M. Laner, S. Staggla, W. Pohl, P. Ragazzi, D. Magatti, E. Martinelli, P. Di Trapani, «Room and illumination-related effects of an artificial skylight», Lighting Research and Technology 48(5), 2015.
- Coelux, «Experience the sky, perceptions study», internal document, 2018.
- Coelux, «Experience the sky, health and wellbeing», internal document, 2018.
- K. Nikolova, I. Petrinska, D. Ivanov, D. Pavlov, «Photobiological risk from the spectral emission of human centric LED luminaires – case study», Lux Junior, 14. Internationales Forum für den lichttechnischen Nachwuchs, 2019.
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Pour en savoir plus
Bienvenue chez FRED!
L’auteur de cet article présentera ses projets à l’occasion du Forum romand de l’éclairage et de la domotique, FRED pour les intimes. Issue de la fusion des événements LED Forum et Smart Home d’Electrosuisse, cette nouvelle formule a été mise sur pied afin de permettre aux spécialistes de ces deux domaines complémentaires de s’informer à encore plus grande échelle. Un exposé keynote de Microsoft ouvrira la journée, suivi de 19 présentations qui fourniront des informations plus approfondies à propos de thèmes soigneusement sélectionnés tels que le big data, le LiFi, la smart city, l’IoT ou encore le «human centric lighting». Les participants auront en outre amplement le temps de s’informer sur les sujets et les tendances actuelles, d’échanger avec des experts et des professionnels de ces deux secteurs, et de visiter les stands des nombreux exposants.
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