Article Efficacité énergétique , Mobilité

Du lin dans le réservoir des avions ?

Opportunités et défis pour le développement de biocarburants durables

06.12.2017

Seul moyen de transport mondial extrêmement rapide, le volume du transport aérien devrait tripler dans les 20 prochaines années. Afin de diminuer son impact environnemental, des études sont en cours pour remplacer les combustibles fossiles par des biocarburants plus durables.

Une utilisation plus rationnelle des ressources énergétiques et la protection du climat représentent deux piliers centraux pour l’humanité au XXIe siècle. Lors de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique tenue à Paris en décembre 2015, les parties se sont accordées sur l’objectif à atteindre à long terme, soit «maintenir l’augmentation de la température moyenne mondiale bien en-deçà de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels et poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation de la température à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels (...)». [1] Cela ne peut être le cas que si tous les secteurs émetteurs de gaz à effet de serre participent massivement à cet effort; l’aviation internationale tiendra un rôle important dans ce tournant, notamment à la lumière du volume attendu de sa croissance future.

Un futur plus propre pour l’aviation

L’aviation est le seul réseau de transport mondial extrêmement rapide; il est utilisé quotidiennement pour le commerce international de marchandises, le tourisme et les affaires, transportant des milliards de passagers chaque année. L’aviation est également un catalyseur de croissance, générant environ 63 millions d’emplois par an, avec un impact économique mondial estimé à 2,7 milliards de dollars. [2, 3]

Toutefois, son impact environnemental est encore important: plus de 739 millions de tonnes de CO2 en 2012 [3] contribuant ainsi au changement climatique mondial à hauteur de 2% du CO2 produit du fait de l’activité humaine, un chiffre qui devrait augmenter dans les prochaines années compte tenu de la croissance régulière de l’industrie du transport aérien [4]. Par conséquent, l’aviation s’emploie de plus en plus à réduire de façon radicale son impact environnemental: les nouveaux avions sont aujourd’hui à la pointe de l’efficacité: plus aérodynamiques, plus légers et jusqu’à 70% plus efficaces qu’il y a 40 ans... Toutefois, jusqu’à présent, il n’a pas été possible de se passer de combustibles fossiles. Grâce à de nombreuses initiatives internationales coordonnées visant à réduire l’impact humain sur le changement climatique, les gouvernements, industries et populations ambitionnent un futur plus propre pour l’aviation qui ne compromettrait pas la sécurité, le prix ni l’accessibilité afin de garantir une mobilité équitable envers tous les secteurs et acteurs de la société.

Le transport aérien devrait tripler d’ici 20 ans

L’aviation est une activité à l’échelle mondiale: son réseau interconnecté s’étend à travers tout le globe, les émissions des avions traversant à la fois les continents et les législations nationales. Dans les années à venir, on s’attend à ce que l’aviation poursuive la croissance entamée jusqu’à présent, allant jusqu’à doubler au cours des 15 prochaines années et à tripler dans les 20 prochaines (figure 1). Elle a déjà démontré qu’elle était très résiliente face aux diverses crises internationales et que tout choc futur n’aurait sans doute pas ou peu d’incidence sur son évolution (figure 2). En outre, avec des avions de plus en plus grands, la consommation globale devrait augmenter à l’échelle mondiale en dépit des progrès technologiques engagés, soulignant ainsi davantage les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES). Par conséquent, l’aviation soulève des défis environnementaux grandissants.

Une alternative enthousiasmante

Pendant encore plusieurs décennies, l’aviation devra selon toute vraisemblance s’appuyer sur les carburants liquides pour alimenter ses vols, faute d’autres technologies qui puissent s’y substituer complètement. Les hydrocarbures liquides offrent un certain nombre d’avantages majeurs, notamment la combinaison d’une densité énergétique élevée, d’un transport et d’un stockage faciles du carburant, ainsi que de coûts inégalés.

Une turbine à combustion (souvent appelée un réacteur dans l’aviation) fonctionne en convertissant l’énergie chimique stockée dans le carburant en énergie mécanique et en chaleur. Les combustibles diffèrent en densité et leur teneur en énergie peut être évaluée par une mesure soit gravimétrique (= énergie par unité de masse de carburant), soit volumétrique (= énergie par unité de volume). Déterminer le meilleur rapport entre densité énergétique et énergie volumétrique est délicat et résulte d’un compromis même si, dans la plupart des cas, l’autonomie accrue fournie par le même volume d’un combustible plus dense avec une teneur en énergie volumétrique élevée compense le poids ajouté; ainsi, un carburant plus dense avec une teneur en énergie volumétrique élevée est préféré. De plus, le carburant est un produit de base qui est acheté et vendu au volume, sans ajustement de prix pour la densité ou le contenu énergétique. [6] Par conséquent, comme le montre la figure 3, le diesel, l’essence et les biocarburants sont principalement à considérer, tandis que pour de nombreuses applications l’utilisation de l’hydrogène reste limitée.

Bien qu’il soit possible de brûler de l’hydrogène dans un turbomoteur pour l’aviation (certaines entreprises comme EasyJet ont d’ailleurs exprimé leur intérêt pour étudier la possibilité d’utiliser de l’hydrogène pour le roulage et l’atterrissage, mais en faisant appel à des moteurs électriques alimentés par des piles à combustible [8]), d’énormes problèmes techniques freinent son développement à large échelle. Il est en effet difficile de garantir un approvisionnement sûr, suffisant et ininterrompu dans toute la chaîne de valeur (de la production de l’hydrogène à sa distribution dans l’aéroport), d’en valider l’acceptation par les passagers, etc.

Ceci offre une belle opportunité au biodiesel. Il s’agit là d’un développement réellement durable et réalisable qui fournit à l’industrie aéronautique une alternative aux carburants à base de pétrole. Actuellement, il s’agit de la seule façon de réduire considérablement (et peut-être entièrement un jour) son empreinte carbone. Avec moins de 2000 aéroports dans le monde par lesquels transitent plus de 95% de la totalité des passagers, l’implantation mondiale du biodiesel serait plus facile que pour les autres modes de transport. Ceci est souligné dans le tableau qui montre que les biocarburants sont de loin la meilleure solution pour combiner durabilité, pertinence et extensibilité.

Les engagements politiques se multiplient

Un certain nombre d’objectifs et d’instruments politiques existent concernant les biocarburants, comme le résume la figure 4.

Au niveau international, en octobre 2010, lors d’un sommet de l’agence des Nations unies spécialisée dans l’aviation (l’Organisation de l’aviation civile internationale, ICAO), les gouvernements ont conclu un accord mondial sur les émissions de l’aviation, formulant des objectifs ambitieux à l’échelle internationale et énonçant les principes de mesures économiques strictes. Cet accord tient également compte des besoins spécifiques des pays dits développés et en voie de développement. [10]

Au sein de l’Union européenne, la Directive sur les énergies renouvelables (RED) fixe un objectif contraignant qui vise à garantir un seuil de réduction des gaz à effet de serre, résultant de l’utilisation de biocarburants et de bioliquides, qui devra dépasser les 50% de réduction à partir de 2017 et les 60% en 2018. Des essais commerciaux ont déjà démontré la faisabilité d’une réduction d’environ 60% des émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble de la chaîne de valeur de l’aviation (voir le projet Itaka). [11]

En 2011, la Commission européenne a adopté un Livre blanc sur les transports qui, d’une part, vise à réduire la dépendance pétrolière et à réduire les émissions de carbone de 60% d’ici à 2050 et, d’autre part, a l’ambition d’utiliser 40% de carburants durables à faible teneur en carbone dans l’aviation. La directive de 2013 sur le déploiement d’infrastructures de carburants de remplacement reconnaît que l’aviation ne peut s’appuyer que sur des carburants liquides alternatifs de type «drop-in», c’est-à-dire des carburants pouvant être directement incorporés au kérosène d’origine fossile, en quantité importante (jusqu’à 50%), sans en perturber les propriétés et sans nécessiter de modifications des organes moteur des avions. Actuellement, les biocarburants sont l’alternative principale. En 2011, l’initiative Biofuel FlightPath a été créée en tant que consortium avec Airbus, Air-France-KLM, British Airways, Lufthansa et les producteurs de biocarburants Chemtex Italia, Neste Oil, Biomass Technology Group, UOP et Swedish Biocombustibles. Elle vise à produire 2 millions de tonnes de combustibles à partir de sources renouvelables d’ici à 2020, soit 4% de la consommation européenne de carburant.

L’industrie a montré l’exemple

L’industrie a été à l’avant-garde des progrès technologiques dans l’aviation et a poussé vers la réalisation d’une croissance neutre en carbone (figure 5). Les progrès technologiques peuvent apporter des améliorations jusqu’à 2050 allant de 0,6%/an à 1,5%/an, selon divers scénarios. [2] La gestion du trafic aérien est également une composante essentielle de cette réduction mondiale des GES. Selon le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), les améliorations de la gestion du trafic aérien pourraient réduire la consommation de carburant d’aviation de 8% à 18%. [12, 13]

En 2008, tous les acteurs de l’aviation ont signé à Genève un engagement en faveur d’une croissance neutre en carbone reposant sur trois piliers: l’amélioration de l’efficacité énergétique de 1,5% par an jusqu’en 2020 (soit 2,2 milliards de tonnes d’économies de CO2), la stabilisation et le plafonnement des émissions à partir de 2020 grâce à une croissance neutre en carbone et, finalement, la réduction de moitié des émissions de carbone de l’aviation en 2050 par rapport à 2005.

Les exigences relatives aux carburants alternatifs

La recherche se concentre principalement sur les carburants alternatifs durables qui ont un énorme potentiel de réduction des émissions de CO2. Un carburant d’aviation requiert de nombreuses conditions pour garantir une logistique sûre, abordable et sans interruption dans les aéroports. Tout d’abord, il doit résister à une vaste gamme de conditions de fonctionnement. En outre, il doit remplacer (sans aucun changement sur le moteur, l’approvisionnement et les précautions) tout carburant traditionnel, sans compromis sur la sécurité. Enfin, le carburant doit répondre à des objectifs de performance rigoureux.

Si on ajoute la condition de réduction sévère des émissions de GES, seuls les biocarburants de deuxième génération restent en ligue. Ils assurent en outre une réduction importante des émissions de CO2, jusqu’à 80%. [3] Il faut néanmoins pouvoir garantir un volume suffisant de matières premières en maintenant la durabilité à long terme de l’ensemble du processus. [14]

Un biocarburant de la famille du lin

Le projet européen de collaboration Itaka (Initiative pour un kérosène durable pour l’aviation [15]) est l’un des projets de recherche les plus avancés sur les biocarburants pour l’aviation et certains de ses résultats mettent l’accent sur les avantages cruciaux des biocarburants. L’utilisation de camelina sativas (cameline, également appelée «lin bâtard» ou «sésame d’Allemagne») comme matière première de biomasse montre une diminution significative des émissions de gaz à effet de serre, actuellement proche de 60%, avec un potentiel substantiel d’amélioration. [11] Grâce à une énergie spécifique légèrement supérieure par unité de masse de carburant, par rapport au carburant Jet A1 standard, une quantité d’énergie sensiblement plus importante est disponible dans une quantité donnée de carburant. De plus, le rapport carbone-hydrogène est plus élevé que pour le Jet A1, ce qui signifie que moins de carbone est oxydé et libéré dans l’air à énergie (poussée ou «thrust») égale. Une quantité inférieure de soufre et de particules est émise en raison d’une légère diminution de la température des gaz d’échappement, ce qui est un avantage évident pour la santé mondiale. Par conséquent, ce projet a montré la viabilité technique d’une chaîne de valeur durable pour le biokérosène en Europe.

La certification de la durabilité est essentielle

La durabilité peut être assurée via des systèmes de certification robustes. Leur objectif est de garantir que chaque étape du processus de conversion des matières premières de la biomasse en biocarburant se réalise de manière aussi durable que possible. Pour garantir leur application à large spectre, les procédures de certification doivent être applicables tant au niveau mondial qu’à l’échelle locale par les grands conglomérats et les petits agriculteurs.

La certification des biocarburants est souvent obligatoire pour recevoir un soutien public ou être pris en compte pour les objectifs nationaux en matière d’énergies renouvelables dans l’Union européenne. Actuellement, 19 systèmes de certification destinés à établir la conformité avec les critères de durabilité pour les biocarburants ont été officiellement reconnus par l’Union européenne. La certification constitue l’un des critères les plus essentiels pour les biocarburants qui sont ainsi garantis comme durables, sûrs et appropriés pour une utilisation commerciale dans l’aviation. [11]

Références

[1] United Nations, Framework Convention on Climate Change, «COP21 - Report of the Conference of the Parties on its twenty-first session», FCCC/CP/2015/10, Paris, Dec. 2015.
[2] Global Aviation Industry, «A sustainable flightpath towards reducing emissions», presented at the UNFCCC Climate Talks, Doha, 2012.
[3] Air Transport Action Group (ATAG), «Aviation: Benefits Beyond Borders», 2016.
[4] Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), «Fifth Assessment Report - Impacts, Adaptation and Vulnerability», IPCC, 2015.
[5] Airbus, «Global Market Forecast 2016-2035», 2016.
[6] Chevron, «Aviation Fuels: Technical Review», IDC 1114-099612, 2007.
[7] Sven Geitmann, «Énergies renouvelables & carburants alternatifs», Hydrogeit Verlag, 2007.
[8] B. Martin, «EasyJet to trial world’s first hydrogen hybrid plane - Telegraph», The Telegraph, 2 Feb. 2016.
[9] A. Sizmann, «Progress and perspectives of renewable energy in aviation», presented at the Itaka Final Workshop, Madrid, 2016.
[10] P. Deane, R. O Shea, and B. Ó Gallachóir, «Biofuels for Aviation», Rapid Response Energy Brief, Apr. 2015.
[11] M. Guittet, M. Capezzali, G. Hernando, and Y. Herreras, «Sustainability and certification for aviation biofuels», presented at the 6th EASN International Conference on Innovation in European Aeronautics Research, 2016. www.itaka-project.eu/
[12] SESAR, «Roadmap for Sustainable Air Traffic Management (European ATM Master Plan)», Oct. 2012.
[13] Intergovernmental Panel on Climate Change (IPCC), «Special report aviation and the global atmosphere», 1999.
[14] Air Transport Action Group (ATAG), «Guide to Aviation Biofuels», May 2009.

1) Images reproduites avec la permission de l’ICAO (International Civil Aviation Organization).
2) Image reproduite avec la permission de l’Air Transport Action Group, Geneva (ATAG).

 

Auteure
Mélanie Guittet

est co-founder et head of business development de la société OneSky Sàrl.

  • OneSky Sàrl
    1020 Renens
Auteur
Massimiliano Capezzali

est professeur à l’Institut d’énergie et systèmes électriques (IESE) ainsi que responsable du Pôle Énergies de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.

  • HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains

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