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Distribution d’énergie à l’air pur

Vers des réseaux électriques plus respectueux du climat

12.02.2024

Les réseaux électriques sont soumis à d’énormes contraintes liées au raccordement de sources d’énergie renouvelables ainsi qu’à l’électrification croissante de la production de chaleur et de la mobilité. Toutefois, pour fonctionner de manière fiable et durable, ils doivent répondre à deux impératifs: être numé­ri­ques et exempts de SF6.

Le 21 mai 2017 a marqué une étape importante dans la transition énergétique de la Suisse: avec la Stratégie énergétique 2050 mise en place dans le sillage de l’approbation de la nouvelle loi sur l’énergie, la Suisse s’est engagée à augmenter son efficacité énergétique et à promouvoir davantage les énergies renouvelables. La loi sur la protection du climat adoptée à l’été 2023 a permis de consolider ce processus et de définir des conditions-cadres et des objectifs concrets en accord avec la Stratégie énergétique 2050. D’ici 2040, les émissions suisses de gaz à effet de serre devront diminuer de 75% par rapport à 1990, et de 50 et 57% [1] dans les secteurs respectifs de l’industrie et des transports. Ces objectifs concrets en matière d’émissions ne dessinent pas seulement l’abandon des énergies fossiles, mais aussi la décarbonation de l’approvisionnement énergétique.

Les exigences de développement durable envisagées ne sont pas sans conséquences pour les réseaux électriques, déjà mis à forte contribution de tous côtés. D’une part, l’électricité issue des énergies renouvelables éolienne et solaire est soumise à des fluctuations saisonnières et météorologiques. Même l’énergie hydraulique, fiable et utilisée pour assurer l’approvisionnement de base, est impactée par des événements météorologiques extrêmes comme les sécheresses, dont la probabilité augmente à mesure que la crise climatique progresse. Dans ce contexte, certains facteurs tels que la sécurité de distribution et la stabilité des réseaux deviennent des défis de plus en plus importants pour les fournisseurs d’énergie.

D’autre part, l’électrification des usages continue de progresser avec pour but de réduire les émissions, et donc de décarboner, en renonçant aux énergies fossiles. Certes, grâce aux mesures d’efficacité, les besoins de base en électricité de la Suisse devraient légèrement diminuer d’ici 2050, selon une étude de l’Association des entreprises électriques suisses [2]. Mais les chauffages à énergies renouvelables et le changement progressif de la mobilité, deux évolutions encouragées par la loi sur la protection du climat, entraîneront une forte augmentation des besoins en électricité [2]. La sortie du nucléaire, concrétisée par la Stratégie énergétique 2050, a également démontré l’urgence d’agir en faveur des énergies renouvelables.

Le réseau électrique devient intelligent, et donc numérique

Afin de concilier la volatilité de la production et l’augmentation de la demande en électricité, il est nécessaire de contrôler intelligemment le réseau de bout en bout pour pouvoir compenser à tout moment les chutes de production et les sur­capa­cités. Toutefois, le contrôle du réseau nécessite d’abord une numérisation de l’infrastructure de sorte à créer une transparence appropriée des flux d’énergie et de permettre un contrôle actif, notamment en aval du réseau.

Dans ce contexte, ce sont surtout les stations locales de boucles de distribution qui occupent une position clé. En effet, c’est souvent par leur intermédiaire que s’effectuent le raccordement de diverses charges ainsi que l’alimentation du réseau par des producteurs d’électricité décentralisés, mais aussi, le cas échéant, les modifications temporaires de rapport de transformation au niveau moyenne tension afin de pouvoir maintenir la tension du réseau à un niveau constant en cas de surproduction. La numérisation de ces interfaces critiques, notamment grâce à l’installation de capteurs communicants, permet aux gestionnaires de réseaux de distribution de surveiller en permanence le courant et la tension ainsi que les conditions environnementales ambiantes dans les sous-stations. Ces données sont ensuite analysées et transmises au centre de contrôle via des dispositifs de transmission à distance. Elles permettent de réagir en temps réel à l’évolution des activités du réseau et des conditions d’exploitation, et ainsi d’optimiser à tout moment la stabilité du réseau et la durée de vie de l’instal­la­tion. La numérisation du réseau électrique constitue donc une condition de base importante pour l’intégration des énergies renouvelables.

Toutefois, même ainsi connectées, les stations de boucles de réseaux locaux peuvent présenter un problème potentiel. Un problème qui ne peut pas être résolu grâce à la numérisation et qui constitue un obstacle à la transition vers un réseau électrique plus respectueux du climat. Il s’agit du gaz isolant utilisé dans les tableaux de distribution.

Des réseaux verts, pour une électricité verte

Une grande partie des tableaux de distribution moyenne tension traditionnels, utilisés notamment dans les stations de boucles de réseaux locaux, ont recours à l’hexafluorure de soufre (SF6) pour l’isolation et, dans certains cas, pour la coupure du courant. Ce gaz synthétique n’est pas toxique à l’état pur, possède d’excellentes propriétés diélectriques et permet de construire des installations compactes et sûres.

Dans les années 1960, l’utilisation du SF6 a ainsi marqué une étape importante pour les réseaux électriques, les tableaux de distribution isolés au SF6 devenant nettement plus petits que ceux isolés à l’air. En règle générale, ce gaz est récupéré en fin de cycle de vie du tableau moyenne tension. Cependant, dans de rares cas tels que des fuites ou lors d’une mauvaise manipulation en fin de cycle de vie d’un tableau, il est possible que du SF6 s’échappe dans l’atmosphère. Les conséquences sont alors loin d’être négligeables: 1 kg de SF6 équivaut en effet à l’émission d’environ 25 t de CO2 (potentiel de réchauffement global sur 100 ans) [3].

Si, à l’époque, l’impact des gaz à effet de serre et leur contribution au chan­ge­ment climatique provoqué par l’homme constituaient un sujet relativement marginal, les mentalités ont évolué depuis. En 2021, les fabricants et exploitants de tableaux de distribution en Suisse se sont engagés à proposer des installations sans SF6 lorsque cela est techniquement possible [4], tandis qu’une interdiction légale de ce gaz se profile en Europe [5]. Car, pour une transition énergétique optimale, même l’électricité issue d’énergies renouvelables doit circuler sur des réseaux respectueux de l’environnement.

Air pur et coupure sous vide au lieu de SF6

D’autres gaz fluorés, en remplacement du SF6, ont déjà fait l’objet de débats. Mais même si ces alternatives présentent un potentiel de réchauffement global comparativement plus faible, elles nécessitent toujours un recyclage coûteux des gaz en fin de vie de l’installation. Pourtant, il est possible de renoncer complètement aux gaz fluorés et d’utiliser d’autres gaz ne présentant aucun risque pour l’environnement. L’air ambiant pur, asséché et sous pression, permet d’obtenir des propriétés diélectriques aussi bonnes, voire meilleures que celles des gaz fluorés. Il est facilement disponible, peut être utilisé à des températures très basses, ne présente aucun danger pour l’exploitation et la santé, et est simple à manipuler. Mais surtout, en fin de vie de l’installation, l’air pur peut être rejeté sans crainte dans l’atmosphère.

Un autre critère important est la surface au sol nécessaire pour un tableau de distribution. Pour être utilisé dans des postes de transformation compacts, un tableau de distribution sans SF6 doit être de dimensions similaires aux modèles conventionnels. Les propriétés diélectriques de l’air s’améliorant avec l’augmentation de la pression, les dimensions précédentes peuvent être conservées en utilisant un dispositif de commutation encapsulé dans un réservoir rempli d’air sec sous pression. Ainsi, pour les tableaux de distribution 12 et 24 kV, une pression relative de respectivement 0,4 et 1,5 bar est suffisante pour garantir des performances au moins équivalentes aux modèles traditionnels utilisant le SF6 [6].

L’air sec est utilisé comme milieu d’isolation diélectrique, mais n’est pas approprié pour la coupure du courant. Pour cette dernière, une ampoule à vide sert de dispositif d’extinction [6]. Une technique similaire est déjà utilisée dans les disjoncteurs à vide (VCB). La combinaison de la coupure du courant sous vide par dérivation et du sectionneur dans l’air sous pression – technologie appelée interruption par shunt sous vide (SVI) – permet toutefois de conserver la procédure de manœuvre habituelle d’un interrupteur-sectionneur à trois positions (figure 1).

Dans ce dispositif, l’ampoule de coupure dans le vide et le sectionneur sont disposés en parallèle de sorte que le courant est interrompu par shunt. La lame du sectionneur dérive le courant vers l’ampoule à vide à l’aide d’un levier pivotant. Dans cette configuration, l’ampoule à vide ne fonctionne que pendant quelques millisecondes lors de la phase d’ouverture de l’interrupteur. Comme le veut le fonctionnement d’un interrupteur-sectionneur, elle résiste donc à la tension transitoire de rétablissement (TTR) lors de la coupure, mais ne nécessite pas de capacité de coupure sur court-circuit ni de résistance au courant de court-circuit de courte durée ou au courant permanent [6]. Cela permet d’optimiser les coûts et de garantir un fonctionnement et des dimensions similaires à ceux d’un interrupteur-sectionneur au SF6.

Après la production, le réseau

Dans ce contexte, le fournisseur d’énergie Romande Energie fait figure d’exemple à suivre. L’électricité issue de sa propre production provient déjà entièrement de sources renouvelables, notamment de centrales hydroélectriques ou d’installations photovoltaïques. Actuellement, quelque 300'000 clients de son réseau sont approvisionnés en électricité verte par le biais d’environ 10'000 km de lignes électriques. L’entreprise étend aussi sa démarche en étudiant d’autres moyens de distribuer l’électricité de manière efficace, sûre et respectueuse de l’environnement. Ainsi, lorsque la commune de Sainte-Croix, dans le canton de Vaud, a eu besoin d’un nouveau tableau de distribution moyenne tension pour son réseau secondaire exploité en 21 kV (figure 2), Romande Energie a cherché une alternative appropriée aux modèles isolés au SF6.

Pour cette intervention à L’Auberson à 1100 m d’altitude, Romande Energie a opté pour RM AirSeT, un tableau de distribution à isolement 24 kV sans SF6 de Schneider Electric. Il s’agit d’un tableau moyenne tension pour poste de boucle de réseau de distribution secondaire utilisant la technologie SVI décrite précé­dem­ment. Conçu pour être installé jusqu’à 2000 m d’altitude sans déclassement et offrant la flexibilité d’une libre combinaison de ses unités fonctionnelles et de commandes Plug & Play motorisables sur site en 15 minutes, il rassemblait ainsi toutes les conditions requises pour une intégration idéale sur ce réseau électrique intelligent et numérisé.

Références

[1] «Nationalrat setzt Marken für den Weg zu ‹Netto Null› bis 2050», Parlement suisse, 15 juin 2022.
[2] T. Marti et al., «L’approvisionnement énergétique de la Suisse jusqu’en 2050», Association des entreprises électriques suisses.
[3] K. Schneer, A. DeGolia, «Turning climate commitments into results», juillet 2023.
[4] «Déclaration d’engagement relative au SF6 utilisé dans les appareils et installations électriques de couplage en Suisse», Swissmem.
[5] «Green Deal: Phasing down fluorinated greenhouse gases and ozone depleting substances», European Commission, 5 April 2022.
[6] Christophe Prévé et al., «Une technologie novatrice sans SF6 pour les futurs interrupteurs MT: SVI (Shunt Vacuum Interruption)», Schneider Electric GmbH, 2022.

 

Auteur
Vivien Regenwetter

est marketing offer manager pour les produits moyenne tension chez Schneider Electric.

  • Schneider Electric
    8810 Horgen

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