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Dispatching optimal des réseaux actifs de MT

Contrôle de grands systèmes de stockage d’énergie par batterie

10.08.2022

En exploitant des technologies de mesure distribuée ainsi que des méthodologies d’estimation de l’état et d’optimisation des flux de puissance, le démonstrateur REel permet d’optimiser, à l’aide de grands systèmes de stockage par batterie, le dispatching des réseaux de distribution accueillant une quantité importante de production stochastique.

La transition progressive de la production d’électricité conventionnelle vers les nouvelles énergies renouvelables (le photovoltaïque et l’éolien) est favorisée par la baisse des coûts des actifs de ces types de production ainsi que par leur rôle prépondérant pour atteindre les objectifs relatifs à la transition énergétique, notamment en matière de réduction des émissions de CO2. Cependant, le photovoltaïque (PV) et l’éolien constituent des sources d’incertitudes majeures dans le mix de production d’électricité, car ils affectent la planification conventionnelle ainsi que les pratiques opérationnelles des réseaux de transport et de distribution d’électricité.

Pour les réseaux de transport d’électricité, la fourniture croissante de services système, en faisant ici particulièrement référence aux réserves destinées au contrôle de la fréquence, représente le défi le plus important. Tandis que pour les réseaux de distribution, les questions les plus pertinentes sont associées à la qualité de l’approvisionnement (Quality of Supply, QoS) ainsi qu’à ses corrélations avec le contrôle de la tension et avec le renforcement du réseau. Les systèmes de stockage d’énergie (Energy Storage Systems, ESS) et, plus précisément, les systèmes de stockage d’énergie par batterie (Battery Energy Storage Systems, BESS), sont communément reconnus en tant qu’atouts capables de relever tous ces défis, et ce, autant pour les réseaux de transport que de distribution [1].

Un système de stockage par batterie au service des réseaux

En effet, les BESS peuvent être utilisés pour équilibrer les disparités entre la production et la consommation d’électricité pour des horizons temporels intrajournaliers et «day-ahead» (un jour à l’avance). Ils permettent ainsi de maintenir les réseaux de distribution d’électricité dans les limites de leurs contraintes opérationnelles, et donc, de différer les renforcements du réseau. Par conséquent, s’ils sont déployés à large échelle, ces systèmes peuvent contribuer à la réduction de l’empreinte carbone du mix énergétique suisse [2], car le réseau électrique est alors à même d’augmenter sa capacité d’intégration de production issue des énergies renouvelables [3].

De plus, la diminution progressive des coûts des systèmes de stockage d’énergie par batterie, parallèlement à la hausse des tarifs de régulation de la puissance du réseau, favorise la viabilité économique de ces systèmes, rendant leur installation justifiable du point de vue économique sous certaines conditions [3]. Le démonstrateur REel (Romande Energie REseaux en Equilibre Local) situé à Aigle, dans le canton de Vaud, a intégré des technologies de mesure distribuée et d’estimation de l’état du réseau ainsi que des méthodologies d’optimisation des flux de puissance à la pointe du progrès dans un réseau de distribution moyenne tension (MT) en service de Romande Energie. Financé par l’Office fédéral de l’énergie, ce démonstrateur avait pour objectif de contrôler de manière optimale un grand système de stockage d’énergie par batterie fournissant des services de régulation aux réseaux de transport et de distribution.

Dispatching un jour à l’avance et contrôle en temps réel

La principale question à laquelle le démonstrateur REel du site d’Aigle se consacre est la suivante: est-il possible de dispatcher jusqu’à un jour à l’avance et de contrôler en temps réel un réseau de distribution intégrant des énergies renouvelables stochastiques avec une puissance de crête égale à la charge locale?

D’une part, le but consiste à atteindre des objectifs globaux spécifiques, comme suivre un profil de puissance day-ahead prédéfini (plan de dispatching), et donc à minimiser les besoins en matière de réserves pour le réseau de transport d’électricité. D’autre part, il s’agit de garantir le fonctionnement du réseau de distribution dans le respect de ses contraintes techniques (c’est-à-dire en préservant les tensions des nœuds et les courants des lignes dans leur limites opérationnelles).

Pour ce faire, divers développements techniques et méthodologiques ont été validés dans le cadre du projet réalisé avec le démonstrateur REel, dont voici les principaux. Premièrement, une mesure omniprésente du réseau reposant sur des PMU (Phasor Measurement Units) a été développée et déployée afin de déterminer en temps réel l’estimation de l’état du réseau. Une telle fonction est essentielle pour les contrôles en temps réel opérant à des horizons intrajournaliers. Deuxièmement, il a fallu développer des ­prévisions day-ahead et à court terme: les premières sont nécessaires pour calculer un plan de dispatching techniquement réalisable pour le lendemain, tandis que les secondes sont requises pour que le système de stockage d’énergie par batterie contrôlé puisse suivre précisément le plan de dispatching pendant le fonctionnement intrajournalier. Et troisièmement, des systèmes d’optimisation dédiés ont été développés afin de calculer le plan de dispatching en fonction du réseau et résoudre le problème d’optimisation des flux de puissance (Optimal Power Flow, OPF) intrajournalier, tout en tenant compte des prévisions de consommation et de production stochastiques un jour à l’avance et à court terme.

Application au réseau de distribution MT d’Aigle

Pour la mise en œuvre de ces développements, les chercheurs ont retenu le réseau de distribution MT d’Aigle, dans lequel est injectée une importante production à base d’énergies renouvelables stochastiques dont la puissance de crête est égale, ou supérieure, à la consommation locale. Ce site correspond à une zone mixte rurale/urbaine typique. Le réseau électrique est composé d’un feeder d’une tension nominale de 21 kV, exploité avec une topologie radiale composée de 24 nœuds (figure 1). Le feeder intègre une capacité de production photovoltaïque totale de 3,2 MW, incluant une centrale photovoltaïque de 1,8 MW et diverses installations PV dispersées de plus petites tailles. En outre, le feeder intègre aussi un total de 3,4 MVA de production hydro­élec­trique provenant de quatre centrales. La consommation électrique peut atteindre 4,3 MW en hiver et 2,9 MW en été.

Le réseau MT d’Aigle a été équipé d’un système de stockage d’énergie par batterie de l’ordre du MWh. Celui-ci a été dimensionné de sorte à atteindre la capacité de dispatching de ce réseau tout en satisfaisant les contraintes opérationnelles du réseau telles que les limites de tension aux nœuds et les capacités de flux de puissance des lignes/transformateurs. Le système de stockage d’énergie par batterie a été dimensionné de manière optimale à l’aide d’un modèle d’optimisation stochastique dédié [4], afin de compenser le décalage stochastique entre le profil de puissance day-ahead contractuel et la réalisation effective pendant la journée, et ce, indépendamment des réalisations stochastiques des productions et consommations. Les contraintes du réseau sont modélisées à l’aide de ­l’AR-OPF (Augmented Relaxed Optimal Power Flow) [5], une convexification exacte de l’OPF.

Le système de stockage d’énergie par batterie (figure de titre) a une capacité énergétique de 2,5 MWh et une capacité en puissance de 1,5 MVA.

Un système de contrôle en deux phases

La figure 2 illustre la structure du système de contrôle développé au cours de ce projet. Il est composé de deux couches algorithmiques. Dans la première (planification day-ahead), un plan de dispatching agrégé est déterminé [6] et stocké sur un serveur de données. Celui-ci est calculé sur la base des prévisions day-ahead de prosommation et tient compte des contraintes opérationnelles du réseau et du système de stockage d’énergie par batterie. La seconde couche concerne le fonctionnement en temps réel, pour lequel deux approches sont considérées: une commande prédictive basée sur un modèle (Model Predictive Control, MPC) tenant compte du réseau [7], et le système Commelec basé sur des agents [8–9]. La seconde couche a pour objectif de déterminer les valeurs de consigne des puissances active et réactive du système de stockage d’énergie par batterie, de sorte que leur contribution agrégée suive le plan de dispatching tout en tenant compte des prévisions de prosommation. Les informations relatives au réseau utilisées dans la seconde couche de contrôle sont fournies par un estimateur d’état du réseau en temps réel qui traite les mesures des PMU.

Au cours de la phase de planification, à 23:00 UTC le jour précédant les opérations, un problème d’optimisation stochastique calcule un plan de dispatching agrégé au point de connexion au réseau (Grid Connection Point, GCP, également appelé slack node). Ce plan de dispatching tient compte des incertitudes liées à la consommation et à la production photo­voltaïque via des scénarios, ainsi que des contraintes du réseau et des ressources contrôlables, et dispose d’une résolution temporelle de 5 min. Pour les scénarios day-ahead, une méthode de prévision dédiée basée sur une chaîne de Markov a été développée, dans ­laquelle des mesures historiques sont regroupées par type de jour et fittées dans des distributions gaussiennes à plusieurs variables (une pour chaque regroupement). Le plan de dispatching est calculé pour le jour suivant en fonction des prévisions de production et de consommation stochastiques, de l’état des ressources contrôlables (dans ce cas, le système de stockage d’énergie par batterie) et des contraintes du ­réseau local. Le plan de dispatching ­reflète les prévisions des quantités stochastiques et garantit au système de stockage d’énergie d’avoir une fle­xi­bi­lité suffisante pour suivre le plan de dispatching en temps réel.

Dans la phase en temps réel, deux approches (MPC et Commelec) sont utilisées pour calculer les valeurs de consigne des puissances active et réactive du système de stockage d’énergie de manière à suivre le plan de dispatching au point de connexion au réseau, tout en respectant les contraintes autant du système de stockage d’énergie par batterie que du réseau. D’une part, la commande prédictive MPC cherche à minimiser ­l’erreur du dispatching sur un horizon temporel de 5 min (la commande est actionnée toutes les 30 s) en exploitant les prévisions à court terme. D’autre part, le système Commelec résout un OPF approximé à un taux de rafraîchissement inférieur à la seconde à l’aide d’un algorithme du gradient ­(gradient-descent-based algorithm) efficace en termes de volume de calcul. Les opérations en temps réel commencent à 00:00 UTC et se terminent à 23:59:59 UTC.

Un flux optimal de puissance intrajournalier grâce au MPC

Le suivi du dispatching en temps réel à l’aide de la commande prédictive MPC basée sur l’optimisation des flux de puissance est illustré dans la figure 3a: le plan de dispatching est représenté en noir, la puissance suivie au point de connexion au réseau (GCP) en gris et la puissance sans la commande prédictive en rouge. Les figures 3b et 3c montrent les injections de puissance correspondantes du système de stockage d’énergie par batterie ainsi que l’évolution du niveau de charge (State of Charge, SoC) de ce dernier. Les fonctions de distribution cumulative (cumulative distribution function, CDF) de l’erreur de dispatching ont montré que celle-ci est inférieure à 22,5 kW pendant 95% du temps. Le temps de calcul nécessaire au MPC est, quant à lui, inférieur à 8,5 s dans 95% des cas.

De plus, afin de vérifier le respect des contraintes du réseau, la tension et le courant modélisés par optimisation des flux de puissance en temps réel avec le MPC ont été comparés à ceux obtenus par l’estimateur d’état basé sur les PMU. Les fonctions de distribution cumulative de ces erreurs en ce qui concerne les amplitudes de tension aux nœuds, les courants dans les lignes et les pertes du réseau ont mis en évidence les résultats suivants: les erreurs maximales sur les tensions aux nœuds et les courants dans les lignes étaient toutes deux inférieures à 0,01 pu (per unit), tandis que l’erreur sur les pertes du réseau était inférieure à 0,2 kW pendant 99% du temps.

Contrôle en temps réel avec le système Commelec

Le système Commelec a également été utilisé dans le démonstrateur d’Aigle en tant qu’alternative au MPC. Bien que la commande puisse être exécutée rapidement, en 100 ms, un cycle de calcul de 10 s a été choisi dans le cadre de cette expérience à des fins de comparaison avec le MPC. La figure 4a montre la puissance active au point de connexion au réseau (GPC ou slack node) avec ou sans application de la commande du système de stockage d’énergie par batterie, ainsi que la valeur de suivi calculée par le plan de dispatching. Le système Commelec a pu suivre de manière fiable le plan de dispatching, sauf pour la période comprise entre 14h20 et 17h40. Comme l’illustrent les figures 4b et 4c, qui présentent le calcul de la puissance active pour le système de stockage d’énergie par batterie et l’évolution respective de son état de charge (SoC), cette période correspond au moment où le niveau de charge de la batterie était saturé (une condition qui peut être évitée avec de meilleures prévisions).

Afin de mieux pouvoir évaluer les performances du système Commelec, la fonction de distribution cumulative de l’erreur absolue de suivi du dispatching a été représentée pour le cas où le système de stockage d’énergie par batterie ne serait pas saturé. Une amélioration des performances de suivi, similaires à celles de la commande prédictive MPC, a pu être observée, le système Commelec ayant atteint une erreur absolue de dispatching inférieure à 100 kW pendant 95% du temps.

Réduire les incertitudes pour maximiser la capacité d’injection

Ce projet a permis de développer et de valider expérimentalement un ensemble de technologies et de méthodologies qui démontrent la dispatchabilité d’un réseau électrique MT intégrant un nombre important de sources d’énergie renouvelables stochastiques, et ce, tout en tenant compte de l’état du réseau. La principale valeur créée par ces solutions réside dans la maximisation de la capacité d’intégration des énergies renouvelables dans le réseau électrique considéré. Ceci est réalisé en réduisant les incertitudes associées à l’exploitation du réseau de distribution d’électricité, dues au caractère stochastique de la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables.

Références

[1] M. Bozorg, F. Sossan, J.-Y. Le Boudec, M. Paolone, «Influencing the bulk power system reserve by dispatching power distribution networks using local energy storage», Electric Power Systems Research, vol. 163-A, p. 270-279, 2018.
[2] D. Vuarnoz, T. Jusselme, «Temporal variations in the primary energy use and greenhouse gas emissions of electricity provided by the Swiss grid», Journal of Energy 161, p. 573–582, 2018.
[3] R. Gupta, F. Sossan, M. Paolone, «Countrywide PV hosting capacity and energy storage requirements for distribution networks: The case of Switzerland», Applied Energy, vol. 281, 116010, 2021.
[4] J. Yi, R. Cherkaoui, M. Paolone, «Optimal Allocation of ESSs in Active Distribution Networks to achieve their Dispatchability», IEEE Transactions on Power Systems, vol. 36-3, p. 2068-2081, 2021.
[5] M. Nick, R. Cherkaoui, J.-Y. Le Boudec, M. Paolone, «An exact convex formulation of the optimal power flow in radial distribution networks including transverse components», IEEE Transactions on Automatic Control, vol. 63-3, p. 682-697, 2018.
[6] E. Stai, L. Reyes-Chamorro, F. Sossan, J.-Y. Le Boudec, M. Paolone, «Dispatching Stochastic Heterogeneous Resources Accounting for Grid and Battery Losses», IEEE Transactions on Smart Grid, vol. 9-6, p. 6522-6539, 2018.
[7] R. Gupta, F. Sossan, M. Paolone, «Grid-Aware Distributed Model Predictive Control of Heterogeneous Resources in a Distribution Network: Theory and Experimental Validation», IEEE Transactions on Energy Conversion, vol. 36, no. 2, p. 1392-1402, 2021.
[8] A. Bernstein, L. Reyes-Chamorro, J.-Y. Le Boudec, M. Paolone, «A composable method for real-time control of active distribution networks with explicit power setpoints. Part I: Framework», Electric Power Systems Research, vol. 125, p. 254-264, 2015.
[9] L. Reyes-Chamorro, A. Bernstein, J.-Y. Le Boudec, M. Paolone, «A composable method for real-time control of active distribution networks with explicit power setpoints. Part II: Implementation and validation», Electric Power Systems Research, vol. 125, p. 265-280, 2015.

 

Auteur
Rahul Gupta

est doctorant à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Plouton Grammaticos

est doctorant à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Antonio Zecchino

est post-doctorant à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Arnoud Bifrare

est responsable des projets Smart grids chez Romande Energie.

  • Romande Energie
    1110 Morges
Auteur
Georgios Sarantakos

est responsable de projets à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Jean-Yves Le Boudec

est professeur ordinaire à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne
Auteur
Prof. Mario Paolone

est professeur ordinaire à l’École polytechnique fédérale de Lausanne.

  • EPFL
    1015 Lausanne

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