Des réseaux interconnectés
Réseaux énergétiques en Suisse
La Suisse ayant toujours bien entretenu ses réseaux énergétiques, elle dispose aujourd’hui d’une sécurité d’approvisionnement très élevée. Mais nos réseaux devront faire face à des défis de taille.
Les fournisseurs d’énergie helvétiques remplissent une mission extrêmement exigeante : celles d’approvisionner la Suisse en électricité, en gaz ou en chaleur, et ce via les réseaux énergétiques. A priori, cette tâche semble d’autant plus banale que les clients peuvent partir du principe qu’il y aura toujours une quantité d’énergie suffisante pour répondre à leurs besoins de soutirage et de consommation. Évidemment, notre pays n’est pas non plus à l’abri d’une défaillance de l’approvisionnement en électricité : c’est par exemple le cas lorsqu’un transformateur s’éteint parce qu’un rongeur s’est attaqué aux lignes ou aux câbles, lorsqu’un arbre couché par une tempête arrache une ligne aérienne ou lorsqu’une pelleteuse endommage un câble. Toutefois, de telles interruptions ont en général plutôt un impact limité – local, voire régional –, et le courant est rétabli relativement vite.
Cette situation concerne non seulement l’électricité, mais également tous les agents énergétiques de réseau, comme le gaz et la chaleur. Car les réseaux de gaz ou de chaleur sont eux aussi susceptibles d’être endommagés, ce qui peut entraîner une panne d’approvisionnement.
Parmi l’élite internationale
Les défaillances énergétiques à grande échelle, qui paralysent des villes, voire des régions entières, sont cependant très rares en Suisse. Et même les « petites » pannes de courant évoquées ci-dessus – qui, bien sûr, pénalisent tout autant les personnes directement concernées qu’une défaillance massive – sont tout sauf quotidiennes dans notre pays. Les chiffres le prouvent : ainsi, la durée moyenne d’interruption par consommateur final n’était que de 21 minutes en Suisse en 2015 [1], soit une disponibilité moyenne de 99,996 %. À titre de comparaison, les prestataires informatiques accordent une disponibilité maximale de 99,9 % dans leurs Service Level Agreements. Cela signifie que chaque client subit une interruption pouvant atteindre huit heures par an. L’indice du trilemme énergétique 2016 du Conseil Mondial de l’Énergie montre également la fiabilité du réseau helvétique : la Suisse se classe au deuxième rang mondial.[2]
12 000 pylônes, 6700 kilomètres
Ces bons chiffres et la sécurité d’approvisionnement corrélativement ne sont pourtant pas le fruit du hasard. Au contraire, ils sont le résultat d’une gestion responsable des réseaux énergétiques nationaux. Outre un entretien régulier, celle-ci englobe la rénovation et l’extension afin de satisfaire aux exigences futures. Si le développement aux niveaux de réseau 5 à 7 est relativement facile à gérer, il est difficile à mettre en œuvre pour de larges pans des réseaux haute et très haute tension. Ces derniers ont été construits dans les années 50 et 60, avec un dimensionnement parfait pour répondre aux exigences actuelles. Si l’on songe par exemple que le réseau suisse de transport exploité par Swissgrid mesure environ 6700 kilomètres de long et comprend plus de 12 000 pylônes électriques, on imagine alors l’ampleur de cette tâche.
Un avantage important
La sécurité d’approvisionnement représente un atout de taille. La disponibilité élevée assurée en permanence par les centrales indigènes et les réseaux nationaux ne permet pas seulement aux consommateurs finaux privés de soutirer de l’énergie de manière quasi illimitée?: elle constitue également le fondement d’une économie performante et stable dans notre pays. Une panne de courant prolongée peut par exemple entraîner une rupture de la chaîne du froid alimentaire. Ce type d’événement touche autant les producteurs que les intermédiaires, les entreprises de transport, les grossistes, les restaurateurs ou les consommateurs. Dans ce cas, le produit concerné ne peut en effet absolument pas être vendu ni consommé, ou du moins pas au niveau de qualité escompté.
Prenons un autre exemple : imaginons une panne d’approvisionnement électrique d’un centre de calcul d’une grande administration publique. Dans les situations extrêmes, cette défaillance se traduirait non seulement par le chômage temporaire de milliers de personnes, mais elle pourrait en outre, dans le pire des scénarios, provoquer une perte de données. Les opérateurs de centre de calcul exploitent certes des possibilités supplémentaires destinées à garantir une alimentation sans interruption (ASI), afin d’assurer l’approvisionnement de charges électriques critiques en cas de perturbations sur le réseau d’électricité. Mais ces mesures sont généralement très onéreuses. La société informatique Bedag, par exemple, utilise dans son centre de calcul situé à Berne des groupes électrogènes diesel et des installations permettant le stockage et la restitution d’énergie cinétique (volants d’inertie) pour garantir une ASI.
Des coûts énormes
Dans une étude réalisée en 2014, le Conseil fédéral est parvenu à la conclusion qu’une panne de courant totale d’une journée entière coûterait entre 12 et 42 milliards de francs [3] – un préjudice terrible pour l’économie helvétique. Si ces chiffres astronomiques font peur, ils mettent également en lumière l’importance d’un fonctionnement irréprochable des réseaux énergétiques pour la Suisse.
Comme par le passé, il est donc indiqué, aujourd’hui comme demain, d’entretenir les réseaux nationaux et – si nécessaire – de les développer. Cette maintenance régulière est d’autant plus essentielle qu’il faut beaucoup de temps ne serait-ce que pour identifier une réduction de la disponibilité. Si l’on doit alors prendre et appliquer des mesures d’urgence, ces dernières génèrent des coûts bien plus élevés que des travaux d’entretien et d’extension réguliers et planifiés à long terme. En outre, il faudrait des années avant que ces mesures ne déploient leurs effets et que l’on puisse revenir au niveau actuel, car il est impossible de lever un tel blocage des investissements en quelques mois.
De nouvelles exigences
Les réseaux doivent par ailleurs s’adapter aux exigences futures. En effet, que la Stratégie énergétique 2050 soit ou non adoptée le 21 mai, les énergies renouvelables joueront à l’avenir de toute façon un rôle de plus en plus important. La part d’électricité produite à partir d’énergie éolienne ou solaire ainsi que d’autres sources renouvelables comme la biomasse ou la géothermie est appelée à croître.
L’énergie issue de ces sources doit d’une manière ou d’une autre être intégrée aux réseaux existants, un paramètre auquel ceux-ci ne sont toutefois pas encore ou pas suffisamment préparés. Par conséquent, si un prosommateur exploitant une installation photovoltaïque sur son toit et produisant lui-même son énergie le jour n’en a pas besoin à ce moment-là, ou seulement en partie, le réseau doit être en mesure d’absorber cette énergie excédentaire. Pour certaines installations photovoltaïques, cela ne pose aucun problème. Mais si un grand nombre de ces dispositifs sont présents dans un quartier ou une zone de desserte, cela peut devenir gênant. Ces installations injectent toutes en même temps de l’électricité dans le réseau, ce qui entraîne des pics importants pour lesquels ce dernier n’est pas dimensionné.
Swissolar estime que quelque 70 000 installations photovoltaïques (hors systèmes de très petite taille) étaient en service en Suisse fin 2016.[4] Ce type de cluster décrit ci-dessus n’est donc pas du tout absurde. Le dimensionnement du réseau doit par conséquent se baser sur la puissance d’injection décentralisée maximale, bien que celle-ci ne soit que rarement atteinte en réalité.
La densification est elle aussi à l’origine d’une transformation du réseau étant donné qu’à l’heure actuelle, les maisons plurifamiliales supplantent peu à peu les logements individuels. En outre, le comportement des consommateurs finaux évolue également : alors que dans les années 60, un ménage était par exemple équipé d’un téléviseur, de quatre plaques de cuisson et de quelques ampoules, les pompes à chaleur, les installations multimédias, les ustensiles de cuisine énergivores et, de plus en plus, les bornes de recharge pour véhicules électriques entraînent aujourd’hui un besoin d’énergie en constante augmentation.
Des réseaux intelligents
Les smart grids sont un instrument permettant de maîtriser ces structures de réseau et flux d’électricité de plus en plus complexes, en premier lieu lors de la régulation de la charge et, d’une manière générale, pour maintenir la stabilité du réseau. Ces réseaux électriques intelligents peuvent en théorie consulter et traiter en temps réel des informations d’état et des données relatives au flux de charge provenant de tous les éléments de réseau, ce qui permettrait de contrôler automatiquement et d’optimiser la charge dans le réseau. Les smart meters, ou compteurs intelligents, représentent une composante essentielle de ces réseaux intelligents. Ils remplacent progressivement les compteurs mécaniques classiques et offrent de nombreux avantages. Ainsi, ils ne doivent plus être relevés sur place, mais sont intégrés à un réseau de communication et envoient les données du consommateur directement à l’entreprise d’approvisionnement en énergie.
En fonction de la vitesse et de la fréquence de transmission, le transfert de données par les smart meters permet également au fournisseur d’énergie de gérer son réseau de manière optimale. Les consommateurs, eux, peuvent profiter de systèmes tarifaires variables qui leur donnent la possibilité d’optimiser leur consommation d’électricité et, partant, leurs coûts énergétiques.
En dépit de tous les atouts que présente cette digitalisation des réseaux, des voix critiques ne cessent de s’élever. Les nombreux problèmes de sécurité constituent la première source de préoccupations. Ainsi, des attaques malveillantes permettraient en théorie d’interrompre l’approvisionnement de larges couches de la population en les déconnectant du réseau. Mais comme l’activation à distance d’un raccordement comporte toujours un potentiel de risque – elle pourrait entraîner des dommages corporels –, rares sont les smart meters offrant cette possibilité de commande à distance. En matière de compteurs intelligents, il convient également d’accorder une attention accrue à la protection des données. Parfois aussi la fiabilité des appareils est contestée.
Une interaction des réseaux
Au regard des évolutions politiques, écologiques et économiques, le rôle des réseaux énergétiques hétérogènes gagne en importance, car il faudra élaborer à l’avenir une nouvelle conception de l’approvisionnement en énergie. Même si (ou justement parce que) cette dernière est produite de manière toujours plus décentralisée, il est nécessaire de considérer l’approvisionnement dans une perspective globale. Il peut s’avérer utile maintenant de coordonner les réseaux d’électricité, de gaz et de chaleur – autrefois conçus et exploités indépendamment les uns des autres. Si ces réseaux sont désormais considérés comme un système global et adaptés en conséquence, cela apportera une contribution notable à une politique énergétique tenant dûment compte de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables – deux éléments essentiels de la « restructuration du système énergétique » entamée en 2011. Cette convergence des réseaux est une réalité de plus en plus tangible. Il y a quelques semaines seulement, Alpiq a par exemple mis en service une installation power-to-heat à Niedergösgen.
Le changement de paradigme s’est amorcé
Il apparaît donc clairement que le changement de paradigme a commencé depuis longtemps. Des mesures d’envergure sont nécessaires pour atteindre les objectifs de politique énergétique de la Suisse, pour accélérer et mener à bien la restructuration du système énergétique et pour garantir une grande sécurité d’approvisionnement à l’avenir. À cet effet, il faut mettre en œuvre à la fois des approches pragmatiques et des solutions innovantes et visionnaires. Nous attendons d’ores et déjà avec impatience d’en connaître les résultats.
Commentaire