Des lotissements autonomes
Combiner smart home et énergies renouvelables
La construction de bâtiments résidentiels pratiquement autonomes en énergie, et ce, tout au long de l’année, est de plus en plus fréquente. Deux lotissements montrent comment de telles visions peuvent être réalisées.
Un lotissement à Männedorf, au bord du lac de Zurich, et un autre à Buochs, près du lac des Quatre-Cantons, ont pour objectif d’atteindre une autonomie énergétique de 100%. Tous deux ont de nombreux points communs: ils misent sur l’énergie photovoltaïque, utilisent une source d’énergie renouvelable supplémentaire et sont raccordés au réseau électrique afin de pouvoir injecter leur production excédentaire d’électricité dans le réseau.
Ces lotissements ont également en commun l’utilisation de technologies «smart home». D’une part, afin d’obtenir des informations sur la consommation d’énergie et d’eau en temps réel via un téléphone mobile ou une tablette, et de les optimiser si nécessaire. D’autre part, pour augmenter le confort, par exemple en permettant aux habitants d’activer des scénarios d’éclairage ou d’actionner les stores à distance via une appli.
Il existe également des parallèles en ce qui concerne la mobilité, puisque des stations de recharge pour voitures électriques sont installées dans les garages souterrains et que des conduits vides sont disponibles afin de pouvoir intégrer des stations de recharge supplémentaires au fur et à mesure que la demande augmente. De plus, à Männedorf, le lotissement dispose également d’une station-service de biogaz.
Enfin, les loyers incluent un budget énergie spécifique en fonction de la taille de l’appartement. Cela donne aux locataires un objectif de consommation, et des coûts supplémentaires sont générés en cas de dépassement.
Au bord du lac de Zurich
Le lotissement de Männedorf, qui s’est vu décerner le Watt d’Or 2021 dans la catégorie «Bâtiments et espace» le 7 janvier dernier, propose seize appartements de 3,5 à 4,5 pièces. Réalisé par le cabinet d’architectes René Schmid Architekten AG, il repose sur un concept développé par l’Umwelt Arena lors de la construction, à Brütten, d’un immeuble résidentiel entièrement autonome sur le plan énergétique. Alimenté par le biais de l’énergie solaire, ce dernier ne dispose d’aucune connexion à un réseau énergétique externe. Tous les moyens techniques ont dû y être utilisés pour qu’il n’y fasse pas froid en hiver. L’expérience acquise doit maintenant être exploitée autant que possible dans des lotissements raccordés au réseau. Selon René Schmid, l’objectif consiste à créer un standard qui soit également rentable financièrement.
À Männedorf, il a été prévu d’utiliser non seulement l’énergie solaire, mais aussi l’énergie éolienne. L’installation photovoltaïque devrait produire 90 MWh par an; les deux petites éoliennes à axe vertical, 1,2 MWh par an.
Le stockage saisonnier du lotissement est externalisé: les éventuels surplus d’électricité sont injectés dans le réseau de distribution et l’équivalent énergétique est transformé en hydrogène, puis en méthane, à la Haute école spécialisée de la Suisse orientale, à Rapperswil, grâce à la technologie power-to-gas. En hiver, ce dernier peut être reconverti en électricité et en chaleur via le réseau de gaz naturel. La nuit, une batterie fournit la production photovoltaïque stockée pendant la journée.
Le cœur du lotissement: un système de gestion et de traitement de l’énergie appelé Hybridbox. Il permet de réaliser le concept à différents endroits. Il est composé d’une pompe à chaleur, d’une installation de couplage chaleur-force au gaz et de l’«intelligence» qui combine la production photovoltaïque avec le stockage sous forme de glace, la sonde géothermique, les données météorologiques et d’autres composants. La situation énergétique est en outre favorisée par le stockage passif de chaleur de la construction massive.
Mais l’Hybridbox ne convient pas qu’aux nouveaux bâtiments. Dans les rénovations, elle peut générer des températures de départ élevées grâce à l’unité de cogénération. Sans rénovation des façades, il est possible d’économiser ainsi environ la moitié de l’énergie primaire qui serait autrement nécessaire. Si l’on installe également du photovoltaïque, la consommation d’énergie devient nettement inférieure à celle d’aujourd’hui. René Schmid souligne: «C’est également intéressant sur le plan économique et cela permet de stabiliser le réseau.»
Le photovoltaïque en tant qu’élément de construction
René Schmid décrit son concept comme suit: «Il ne s’agit pas d’équiper les immeubles avec des systèmes photovoltaïques, mais de les construire avec des éléments de construction actifs.» Lors de la construction de l’immeuble de Brütten, les entrepreneurs ont réalisé que la façade pouvait également être utilisée. L’histoire a commencé au CSEM à Neuchâtel où, en collaboration avec des chercheurs, le panneau photovoltaïque mat pour façades a été inventé. Aujourd’hui, les propriétaires de bâtiments peuvent choisir leur niveau de brillance, la structure de leur surface et leur couleur. Le photovoltaïque en façade devient donc intéressant pour beaucoup.
Toutes les surfaces extérieures des deux immeubles de Männedorf sont recouvertes de tels panneaux photovoltaïques: la plupart de couleur terracotta, certains blancs pour des raisons de design. Le film blanc de Solaxes ne réfléchit que la gamme de longueurs d’onde visibles. Le rendement des panneaux solaires blancs s’élève ainsi à environ 60% de celui des panneaux colorés.
La façade solaire en verre présente un autre avantage: elle est très durable. Ceci comparé à l’isolation thermique extérieure compacte avec du polystyrène, problématique en raison des fongicides et des algicides nécessaires, sauf en cas d’utilisation de crépis minéral. Ceux-ci doivent être réappliqués tous les 10 ans et s’infiltrent dans le sol au fil du temps. «Il faudrait choisir la solution la plus durable à long terme et qui produit de l’électricité par la même occasion», plaide René Schmid.
La bonne isolation thermique du lotissement de Männedorf présente également des avantages en été, car la quantité de chaleur s’infiltrant lors de températures extérieures élevées est alors nettement inférieure à celle des bâtiments traditionnels. Seule la chaleur provenant des résidents ou du rayonnement solaire direct non ombragé doit être extraite par free cooling. Dans ce processus, l’eau du chauffage au sol circule à travers un réservoir de stockage sous forme de glace. La chaleur stockée dans ce dernier peut être réutilisée pour le chauffage en hiver.
Du point de vue des locataires
Xiaolin Heim, originaire du nord de la Chine, explique comment le fait d’habiter dans le lotissement de Männedorf a influencé sa vie. Alors qu’elle était, avec son mari, à la recherche d’un nouvel appartement près du lac de Zurich, ils sont passés par hasard devant ces immeubles et ont visité un appartement à louer. Le loyer acceptable, la qualité de l’aménagement et la bonne situation les ont convaincus. Au début, elle n’avait pas réalisé que ces immeubles étaient particuliers, mais ensuite, avant d’emménager, elle a examiné de plus près le concept énergétique.
L’appartement lui a fait prendre conscience des nombreuses façons dont elle pouvait réduire sa consommation d’énergie. Par exemple, elle avait l’habitude de prendre de longues douches relaxantes. Un écran affichant un ours polaire, fixé directement sur l’armature de la douche, la confronte désormais à sa consommation d’eau – une motivation pour se doucher moins longtemps. L’évacuation de la douche est en outre équipée d’un écoulement de douche Joulia qui transfère la chaleur de l’eau évacuée à l’eau froide, ce qui permet des économies d’énergie de plus de 30%. Le robinet du lavabo est également particulier: la position centrale fournit de l’eau froide au lieu de tiède, ce qui permet de consommer automatiquement moins d’eau chaude.
Au moins une fois par semaine, le couple utilise la «Mieter Energy App» mise à la disposition des locataires pour vérifier sa consommation d’énergie. La consommation d’électricité du four a convaincu Xiaolin Heim d’acquérir un autocuiseur asiatique, qui permet de cuire les repas plus rapidement et en consommant moins d’énergie. Elle a également acheté une mini machine à laver, qu’elle peut utiliser entre deux pour laver de petites quantités de linge avec peu d’eau. Globalement, le couple fait désormais beaucoup plus attention à l’énergie. Et comme ils habitent dorénavant près de la gare, ils utilisent plus souvent les transports publics et ont réduit leur «parc automobile» de trois – pour le mari, les voitures étaient une passion – à un seul véhicule.
René Schmid résume: «Pour nous, les architectes, il est important que la technologie environnementale et l’architecture fusionnent pour aboutir à un résultat convaincant. Nous voulons utiliser les possibilités techniques d’aujourd’hui pour créer une valeur ajoutée conceptuelle et durable pour demain.» Utilisée correctement, la technologie offre une valeur ajoutée aux résidents, tout en réduisant leur impact environnemental. «L’exemple de Madame Heim nous motive», conclut-il.
Le lotissement «Am Aawasser»
Alors que les échafaudages étaient encore en place sur le lotissement de Buochs il y a un an, sa construction est désormais terminée. Un total de 3330 m2 d’espace locatif est proposé, dont 600 m2 à usage commercial. À l’origine du projet, le promoteur et propriétaire Sämi Zgraggen: il souhaitait tirer le meilleur parti possible, en termes d’énergie renouvelable, de l’emplacement situé sur la rivière Aawasser. Il s’est engagé pour préserver la centrale hydroélectrique autrefois utilisée à des fins industrielles, et a développé le concept énergétique global qui, outre les installations photovoltaïques, les systèmes de stockage d’énergie et la production de chaleur et d’eau chaude sanitaire, comprend aussi des stations de recharge pour voitures électriques, qui seront utilisées de manière bidirectionnelle à l’avenir.
Pour la réalisation, il a engagé l’architecte Martin Mathis du cabinet Architektur3 AG, qui était, à l’origine, plutôt sceptique quant à l’autonomie énergétique du projet. Au cours de la planification, celui-ci a pu s’y identifier de plus en plus et a même désormais son bureau dans l’un des immeubles.
À Buochs, la turbine à vis d’Archimède fournit de l’électricité depuis un certain temps déjà.[1] En comptant également sa production photovoltaïque, le lotissement produit par an environ 70% d’énergie de plus qu’il ne consomme. Il n’atteint pas tout à fait une autonomie complète, car en hiver, il arrive qu’environ un dixième de l’électricité nécessaire doive être «importé». Cette lacune doit être comblée à l’avenir par un système de stockage saisonnier. Et l’installation d’un nouveau générateur dans la centrale hydroélectrique permettra de produire encore 40% d’électricité supplémentaire. Le lotissement produira alors environ trois fois plus d’énergie qu’il n’en consomme.
Trois racks de batteries lithium-ion (260 kWh) sont installés pour le stockage d’énergie à court terme. Le propriétaire souhaitait initialement réaliser un stockage saisonnier en produisant du méthanol neutre en CO2. Celui-ci aurait été stocké dans un réservoir de 10 m3 sous le parking et utilisé en fonction des besoins pour produire de l’électricité en hiver via une pile à combustible. Ceci n’a toutefois pas encore été réalisé, pour des raisons de coût. L’utilisation d’un réservoir de méthanol est également problématique d’un point de vue juridique, car l’ordonnance sur les accidents majeurs ne tient pas compte de ces approches innovantes. Au départ, les exigences semblaient correspondre à celles soumises à une centrale nucléaire.
Transparence financière
Pour Sämi Zgraggen, il est important de ne pas séparer les coûts énergétiques des systèmes énergétiques. Aujourd’hui, les coûts d’acquisition du système énergétique se trouvent au centre des préoccupations des propriétaires, et les prix de l’énergie sont rarement pris en compte dans les décisions, car ils sont payés par les locataires. Toutefois, si l’on choisit un système énergétique plus durable et plus onéreux, la facture totale peut éventuellement être moins élevée. L’énergie est alors consommée et payée par les locataires pour ainsi dire en tant que service, au lieu de facturer les coûts d’investissement du système via le loyer et la consommation d’énergie via les charges.
Le système de contrôle de l’énergie utilisé pour le décompte permet en principe de facturer immédiatement l’énergie et l’eau, par exemple en cas de déménagement. Le gérant ne doit dès lors plus attendre la facture semestrielle de l’entreprise d’approvisionnement en électricité, mais peut envoyer la facture directement après le déménagement.
Le moins de technologie possible dans les appartements
Pour Sämi Zgraggen, il était important que les appartements soient aussi dépourvus de technique que possible. L’espace doit être là pour y vivre. C’est pourquoi les machines à laver et les sèche-linge ont été placés dans de petits locaux techniques entre les appartements et non dans ces derniers. Les résidents n’ont ainsi pas à descendre au sous-sol pour faire leur lessive, mais disposent de machines juste à côté de leur appartement, ce dernier étant par la même occasion libéré de leur bruit de fond.
Pour des raisons énergétiques, les lave-linge et les lave-vaisselle sont reliés non seulement à l’eau froide, mais aussi à l’eau chaude. Ils ne doivent ainsi pas chauffer l’eau eux-mêmes, mais juste effectuer le mélange pour atteindre la température souhaitée. Les utilisateurs bénéficient du fait que l’eau chaude fournie au moyen d’une pompe à chaleur eau-eau nécessite beaucoup moins d’énergie que celle préparée par les appareils électroménagers du marché.
Selon Sämi Zgraggen, l’étape suivante consisterait à contrôler les heures auxquelles les machines tourneraient via le réseau local – c’est-à-dire à mettre en place une gestion de la charge –, afin de pouvoir mieux prendre en compte les fluctuations de la production d’électricité. Malheureusement, les fabricants de ces appareils électroménagers n’offrent pas encore cette possibilité. Son second souhait, à savoir pouvoir lire directement la consommation d’électricité et d’eau des machines à laver, n’est pas non plus considéré aujourd’hui. Afin de pouvoir attribuer la consommation d’électricité (enregistrée en externe) des machines aux différents locataires, ceux-ci commutent les compteurs des machines avant le cycle de lavage à l’aide d’une application – l’application d’Ecocoach, également utilisée pour le contrôle des consommateurs dans l’appartement ainsi que pour la gestion de l’énergie et des charges du lotissement.
Encourager un changement d’avis
Pour faciliter un changement de point de vue des résidents également dans le domaine de la mobilité, le lotissement met à disposition une offre de «car sharing». Un véhicule électrique loué fait partie du pack de location: la Renault Zoé peut être réservée via une appli et attend les utilisateurs dans le parking souterrain. Huit heures par mois, pouvant être réparties sur plusieurs jours, sont gratuites. Ensuite, l’heure est facturée 6 CHF, quelle que soit la distance parcourue. Un locataire arrivé du canton de Vaud, Paul Andres, confirme que cette possibilité les a convaincus, sa femme et lui, de renoncer à l’un de leurs deux véhicules.
Né aux États-Unis, Paul Andres a visité, avec sa femme, une bonne douzaine d’appartements différents dans la région. Certains d’entre eux répondaient à leurs critères, mais cet appartement confortable n’était pas seulement bien situé: son autonomie énergétique était également attractive. Pour Sämi Zgraggen, c’est clair: «Pour la majorité des résidents, le concept en matière d’habitat et d’énergie a été un argument décisif lors de leur choix. Ces dernières années, le nombre de constructions a été supérieur à la moyenne, ce qui a entraîné une offre excédentaire sur le marché. Il ne suffit plus de construire de beaux appartements, il faut une caractéristique distinctive.»
Pour Paul Andres, il est également important qu’il soit très facile de régler la température des pièces individuellement. Sur l’application, il peut voir à la fois les valeurs de consigne et réelles. S’il ne se sent pas à l’aise dans une pièce, il n’a pas besoin d’adapter la température de tout l’appartement. Le système de ventilation assure également constamment de l’air frais sans avoir à ouvrir régulièrement les fenêtres. Il apprécie également l’écoulement de douche Joulia, qui récupère une partie de l’énergie contenue dans l’eau évacuée.
Le propriétaire voulait toutefois réaliser quelque chose de particulier non seulement d’un point de vue énergétique, mais aussi social: par le biais des mesures prises lors de sa construction, le lotissement devait permettre de rassembler les gens. Il dispose d’une salle commune, qui n’a certes guère été utilisée ces derniers mois en raison de la pandémie, mais qui est mise gratuitement à la disposition de chaque locataire un jour par an pour des fêtes d’anniversaire ou autres. Celle-ci peut servir de lieu de rencontre entre temps. Dans la cour, une aire de jeux avec des structures à escalader en châtaignier du Tessin ainsi qu’un terrain de pétanque œuvrent à la rencontre des petits et des grands. Le choix des locataires est également effectué de sorte qu’outre des retraités de 80 ans et des familles avec de jeunes enfants, des colocations d’étudiants soient par exemple également prises en considération. Les espaces commerciaux du rez-de-chaussée, utilisés par un vétérinaire, un dermatologue et quelques cabinets consacrés au bien-être, permettent également de rendre le lotissement plus vivant.
Le concept énergétique est désormais là
Les concepts énergétiques mis en œuvre à Männedorf et à Buochs montrent que les solutions techniques existent pour permettre d’utiliser les bâtiments non seulement comme fournisseurs d’électricité, mais aussi comme moyen d’adopter un comportement économe en énergie. Ce qui, il y a peu encore, n’était présenté qu’en tant que vision de quelques passionnés et était considéré avec scepticisme peut désormais être visité et examiné. Les réactions positives des habitants montrent qu’il est même éventuellement possible d’avoir le «beurre et l’argent du beurre»: un meilleur confort avec moins d’émissions de gaz à effet de serre.
Diverses solutions techniques contribuent à une efficacité énergétique élevée dans les deux lotissements. On ne s’est pas contenté de simplement intégrer ce qui est habituel: beaucoup de points ont déjà été remis en question dès la phase de planification afin d’arriver à de meilleures solutions. En fixant la direction à suivre avant la réalisation, les propriétaires et les locataires bénéficient d’une plus grande durabilité pendant des décennies.
Naturellement, ce type d’habitat intelligent économe en énergie est encore en cours d’élaboration. Certaines questions – notamment en ce qui concerne le stockage saisonnier d’énergie, mais aussi, par exemple, l’utilisation optimale des pompes à chaleur et de la gestion de la charge – doivent toujours être clarifiées. En outre, les applications doivent encore être optimisées, car la fiabilité des interrupteurs classiques telle que nous la connaissons fait ici office de référence. La convivialité et l’affichage des valeurs de consommation d’énergie et d’eau peuvent également être améliorés ici et là, par exemple en affichant les valeurs sous forme de graphes. Mais malgré ce potentiel d’optimisation, les résultats déjà obtenus en termes d’énergie et de confort confirment que la direction suivie est bien la bonne.
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