Article IT pour EAE , Réseaux énergétiques , Smart grid

Des algorithmes rendent le réseau transparent

Utilisation décentralisée des données des compteurs électriques

14.02.2024

Les compteurs électriques modernes déterminent la consom­mation d’électricité chez les clients finaux et l’envoient au gestionnaire de réseau de distribution. Ils pourraient toutefois aussi être utilisés pour surveiller et exploiter avec fiabilité les réseaux de distribution à l’avenir. Des essais sur le terrain montrent comment cela est possible.

Comme tous les autres gestionnaires de réseau de distribution (GRD) suisses, Romande Energie équipe ses 220'000 clients de compteurs électriques intel­ligents (smart meters) conformément aux directives de la loi sur l’appro­vision­nement en électricité. Ces appareils sont intelligents dans la mesure où ils transmettent automatiquement la consommation d’électricité des clients à l’exploitant du réseau, ce qui permet une facturation sans avoir à relever de compteur. Dans les foyers équipés d’une installation photovoltaïque, ces appareils indiquent aussi la quantité d’électricité injectée dans le réseau. Ils peuvent, de plus, être utilisés pour des applications dans le domaine de la domotique. 500 à 600 de ces appareils sont ainsi installés chaque semaine par les techniciens de Romande Energie, si bien que d’ici 2025, 80% des foyers alimentés par le GRD devraient être équipés de compteurs intelligents.

Dans la ville de Rolle, au bord du lac Léman, des compteurs intelligents sont déjà installés depuis un certain temps. En juin 2023, certains d’entre eux ont tou­te­fois été remplacés par une nouvelle génération de smart meters dans 30 foyers d’un quartier de la ville. Cet échange n’était pas dû à la présence de défauts, mais à un projet pilote grâce auquel Romande Energie voulait vérifier si les compteurs intelligents pouvaient être utilisés en tant que système de mesure permettant de déterminer les courants qui circulent dans le réseau électrique, et ce, presque en temps réel. Pour les lignes du réseau à haute tension, une telle surveillance est depuis longtemps pratique courante. Dans les ramifications fines des réseaux de distribution locaux (réseau basse tension) cependant, elle n’est pas encore possible. L’utilisation des compteurs intelligents devrait changer la donne.

Éviter les surcharges du réseau

Un test d’un mois réalisé en octobre 2023 auprès de ces 30 ménages de Rolle l’a désormais confirmé: les compteurs intelligents peuvent effectivement être uti­lisés pour surveiller le réseau de distribution d’électricité. «C’est une bonne nouvelle pour nous», déclare Arnoud Bifrare, responsable des projets stra­té­gi­ques chez Romande Energie. «Les stations de recharge pour voitures électriques, les pompes à chaleur et les installations photovoltaïques solliciteront davantage les réseaux de distribution d’électricité à l’avenir. Les résultats de ce projet fournissent des bases permettant d’accroître la visibilité et la prévisibilité des éventuelles congestions du réseau. Ces connaissances permettent aux GRD d’assurer la stabilité du réseau en activant localement et à certains moments la flexibilité nécessaire (par exemple auprès des consommateurs finaux ou des fournisseurs de service de flexibilité).»

Les essais sur le terrain avaient été préparés de longue date. Cela devait garantir qu’aucun dysfonctionnement ne se produise lors de la mise en œuvre dans des foyers réels. Avant d’être installés dans les ménages, les compteurs intelligents ont été testés au siège de Romande Energie, à Morges, tout comme les modems qui ont assuré les échanges de données pendant les essais sur le terrain. Ce n’est que lorsque tout a fonctionné correctement que l’infrastructure de test a été installée dans les foyers et que les essais sur le terrain ont été réalisés.

Traitement décentralisé des données

La campagne d’essais sur le terrain effectuée à Rolle s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche de la Haute école de Lucerne (HSLU). Une équipe dirigée par le professeur Antonios Papaemmanouil, directeur de l’Institut d’électro­techni­que, y a développé une solution technique permettant d’utiliser les données des compteurs intelligents pour la surveillance des réseaux de distribution. Les compteurs intelligents enregistrent non seulement la consommation d’élec­tri­cité, mais aussi les valeurs de tension et de courant dans chaque foyer. Le traitement de ces valeurs de mesure dans une base de données centrale ou décentralisée, à l’endroit même où elles sont générées, permet d’obtenir un bon aperçu de l’état du réseau de distribution d’un quartier ou d’une partie de la ville.

Or, une utilisation centralisée des données des compteurs intelligents à des fins de surveillance du réseau consomme beaucoup de ressources et enfreint la loi sur la protection des données. Conformément aux dispositions légales, les données des compteurs intelligents ne peuvent être exploitées en premier lieu que pour la facturation. Si elles doivent être utilisées pour une exploitation optimisée du réseau de distribution, elles doivent être au préalable pseudonymisées ou anonymisées. C’est précisément ce que fait la solution technique développée par l’équipe de chercheurs de la HSLU: «Nous collectons et traitons les données de manière décentralisée, les compteurs intelligents voisins communiquant entre eux via des modems de téléphonie mobile; ce n’est qu’une fois les données agrégées et traitées de manière appropriée que nous transmettons à la centrale les valeurs importantes pour la description de l’état du réseau», explique Antonios Papaemmanouil. Le point fort de cette solution: les données qui parviennent à la centrale ne contiennent plus de données privées et ne posent donc aucun problème en matière de protection des données.

Implication de l’industrie

Pour que le traitement des données puisse être décentralisé, chaque compteur intelligent doit être équipé d’un logiciel d’exploitation spécial (firmware) sur lequel tourne un algorithme développé à la HSLU. Pour les essais sur le terrain, il a donc fallu installer à Rolle des compteurs intelligents modernes suffisamment performants pour exécuter ces algorithmes. Les appareils correspondants ont été développés en collaboration avec Landis+Gyr. Cette coopération coulait de source, l’entreprise zougoise fournissant déjà des appareils à Romande Energie pour son déploiement de compteurs intelligents.

Outre la mise à disposition du matériel et des logiciels adéquats, la réalisation des essais sur le terrain a nécessité la clarification de nombreux détails, comme l’explique le responsable du projet, Severin Nowak, chargé de cours à la HSLU: «Le logiciel pour les essais sur le terrain devait être implémenté sur le hardware existant des compteurs intelligents, les différents composants informatiques devaient être adaptés les uns aux autres, les normes de sécurité élevées du gestionnaire de réseau devaient être respectées, et la protection des données devait être prise en compte de manière conséquente. Toutes ces tâches ont représenté autant de défis à relever, ce qui n’est pas étonnant dans la mesure où il s’agit d’une grande première!»

Prévisions de l’état du réseau sur une période de 24 h

L’analyse des données des compteurs intelligents permet d’obtenir une image du réseau de distribution toutes les 15 min. Les compteurs intelligents enregistrent en effet les valeurs de tension et de courant à cet intervalle de temps (alors que l’infrastructure existante permettrait même de lire des valeurs à granularité plus fine). Sur cette base, il est possible de bien évaluer l’état actuel du réseau élec­tri­que. Pour un GRD, il est toutefois important de prévoir à temps les éven­tuel­les congestions du réseau afin de pouvoir prendre des mesures préventives. Le projet de la Haute école de Lucerne vise donc à prédire le profil de charge probable du réseau de distribution 24 h à l’avance. Ce pronostic est calculé à l’aide de méthodes d’apprentissage automatique, en utilisant les données actuelles des compteurs intelligents et les données de l’année précédente.

«Les essais sur le terrain ont montré qu’il était possible d’utiliser des modèles de prévision automatique sur le hardware existant des compteurs intelligents afin de pouvoir prédire de manière décentralisée la charge dans les profils des clients finaux», explique Severin Nowak. «Dans un deuxième temps, ces prévisions de charge ont été utilisées dans une analyse décentralisée des flux de charge afin de pouvoir prédire la charge à différents endroits critiques du réseau. Cette analyse des flux de charge a pu être réalisée de manière entièrement décentralisée grâce à la communication entre les compteurs intelligents voisins, sans devoir centraliser la moindre donnée ou étape de calcul. Nous avons pu valider avec une bonne précision les résultats des essais sur le terrain avec les résultats obtenus par la simulation», ajoute-t-il.

Préparation des réseaux pour de nouvelles charges

Les essais sur le terrain, à Rolle, constituent un pas vers une plus grande transparence des réseaux de distribution d’électricité: une nécessité pour que les réseaux puissent répondre aux exigences futures, explique Antonios Papaemmanouil. «Le réseau électrique suisse est conçu de manière très robuste. Mais l’électrification du secteur des transports, avec le développement des stations de recharge pour véhicules électriques, et l’intégration d’un plus grand nombre d’installations photovoltaïques décentralisées entraînent de nouvelles contraintes et des changements en temps réel considérables au sein des réseaux de distribution, pour lesquels ces derniers n’ont pas été conçus. Nous nous attendons à ce que les réseaux suisses atteignent leur limite dans cinq ans, dix au plus tard. L’approche décentralisée que nous avons développée aidera les gestionnaires de réseau à planifier leurs réseaux de distribution en fonction des besoins, et à les exploiter de manière optimale, en toute sécurité et dans le respect de la protection des données. L’utilisation décentralisée des données des compteurs intelligents permet de surveiller les réseaux de distribution presque en temps réel, et ce, sans investissement supplémentaire dans l’infrastructure de surveillance. En outre, il est possible de prévoir la charge et la sollicitation du réseau, d’assister la planification opérationnelle en vue de maîtriser les changements rapides et fréquents de la charge et de la production, ainsi que de garantir la fiabilité du réseau.»

Littérature complémentaire

  • Vous trouverez plus d’articles spécialisés concernant les projets pilotes, de démonstration et les projets phares dans le domaine de l’électricité sur:
    www.bfe.admin.ch/ec-electricite

Note

Des informations complémentaires peuvent être obtenues auprès de Michael Moser. responsable du programme de recherche «Réseaux» de l’OFEN.

 

Auteur
Dr. Benedikt Vogel

est journaliste scientifique.

  • Dr. Vogel Kommunikation
    DE-10437 Berlin

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