Article Consommation , Mobilité

Déployer des infrastructures de recharge

Casse-tête économique

05.11.2018

L’essor de la mobilité électrique exige un développement rapide de réseaux d’infrastructures de recharge. La rentabilité des investissements dans ce domaine est toutefois freinée par l’offre de recharge gratuite disponible.

Le transport routier prend une part importante des émissions de CO2 dans notre pays. Peu d’initiatives sont lancées à ce jour pour la réduire de façon drastique: le développement de la mobilité électrique suscite à ce titre une attention particulière et subit d’ores et déjà une pression justifiée.

Même si, à ce jour, le degré d’adoption de véhicules électriques en Europe varie fortement d’un pays à l’autre, voire d’une ville à l’autre, la question n’est plus de spéculer sur les chances de succès des voitures, camions ou vélos électriques. L’emballement, lors de ces derniers mois, des acquisitions et restructurations industrielles autour de ces activités, témoignent de l’engagement certain de l’industrie et des investisseurs dans le développement de cette nouvelle forme de mobilité.

Aujourd’hui, la principale question est celle du «déployement rapide» qui est lié à des enjeux opérationnels mais également financiers. Ainsi, comment rentabiliser chaque investissement? Comment limiter l’engagement financier des acteurs publics, fortement exposés car de plus en plus engagés sur les questions environnementales?

Depuis quelques décennies déjà, en matière de mobilité électrique, c’est un peu l’histoire de la poule et de l’œuf entre véhicules et infrastructures de recharge: le développement de l’un étant la clé du développement de l’autre et vice-versa.

L’essor de certaines infrastructures de recharge recèle quelques embûches. Clairement, convaincre des acheteurs de véhicules électriques, revient bien souvent à les rassurer sur la capacité qu’ils auront à charger leur véhicule, où qu’ils se trouvent, au moment où ils en auront le besoin: chez eux, sur leur lieu de travail, là où ils font une halte habituelle ou le long des routes. En ce qui concerne les voitures, certains conducteurs veulent être rassurés sur la capacité à faire des trajets de proximité, d’autres sur la possibilité de couvrir des distances plus importantes.

Comportement en matière de recharge

Dans 80% des cas environ, le conducteur recharge son véhicule à son domicile. La plupart du temps, cela suffit car la distance moyenne journalière excède à peine 30 km dans certains pays d’Europe. Souvent, la voiture électrique est adoptée comme un moyen de transport de proximité, essentiellement urbain, avec le domicile conçu comme une base à partir de laquelle le conducteur rayonne. Cette première étape d’adoption convient à tous les usagers rassurés par la capacité à couvrir les distances parcourues au sein des villes, lieux de concentration extrême des enjeux de pollution.

Cette observation européenne définit un usage aujourd’hui assez contraint des véhicules électriques rayonnant autour d’un point de recharge situé au domicile. En Suisse, la superficie réduite du pays, alliée à une forte pénétration des Tesla, à l’autonomie bien supérieure à celle des autres modèles, donnent à ce modèle d’usage des contraintes plus légères.

La recharge à domicile est d’autant plus aisée que le conducteur en question habite une villa ou dispose d’un parking privé. Il lui suffit pour cela de faire installer une borne de recharge qu’il trouvera chez un revendeur spécialisé, chez son concessionnaire automobile ou auprès de certains fournisseurs d’énergie. Cet investissement, inférieur à 1000 CHF, fait partie de l’investissement initial consenti par l’acheteur d’un véhicule électrique.

En Europe, certains énergéticiens accompagnent le développement de la mobilité électrique en accordant des tarifs préférentiels à l’électricité ainsi consommée à domicile. La facilité d’installation de ces bornes de recharge privées a naturellement fait des usagers disposant d’un parking privatif les pionniers des voitures électriques. A contrario, ceux dont le véhicule passe la nuit dans la rue par exemple, ou un parking partagé, ont besoin d’une solution de recharge «publique», rarement disponible.

Et les 20% de recharges restantes?

Elles ont lieu tout d’abord sur le lieu de travail. Des entreprises de plus en plus nombreuses font installer des bornes de recharge dans le parking du personnel. Cet équipement est à la fois un service au salarié, une partie d’une politique d’entreprise en faveur de la protection de l’environnement ou encore une contribution à une politique locale, souvent communale, visant à modifier les habitudes en termes de mobilité.

Dans la plupart des cas, ces charges sont gratuites et permettent, couplées à des charges nocturnes à domicile, de couvrir en voiture électrique des trajets domicile-travail plus longs. En outre, elles ont, par leur gratuité, un attrait certain: des conducteurs optimisent leurs recharges de manière à bénéficier au maximum de ce type d’opportunités. Hors investissement, un tel engagement est, aujourd’hui, compte tenu du faible taux d’adoption des véhicules électriques, peu coûteux pour une entreprise: dix voitures entièrement chargées tous les jours représentent un coût inférieur à 4000 CHF par an.

Les centres commerciaux ont, eux aussi, rapidement offert à leur client la possibilité de recharger leur véhicule sur leur parking: une recharge lente garantit la présence du client pendant 40 à 60 minutes dans le centre commercial et augmente la probabilité d’achat par le client. Une borne de recharge est, dans cette situation, très vite rentabilisée par la marge additionnelle générée dans le centre commercial.

Il y a cinq ans, on pouvait en outre considérer qu’une borne de recharge était un élément différenciateur, susceptible d’attirer de nouveaux clients dans une zone commerciale, certes parmi un réservoir potentiel restreint. Aujourd’hui, de telles bornes sont plus un service aux clients qu’un moyen de capter de nouveaux clients. Elles garantissent toutefois un minimum de temps passé sur place et peuvent devenir des vecteurs de publicité et de promotion pour s’assurer quelques revenus supplémentaires.

Ces opportunités de recharge gratuites drainent aujourd’hui une proportion importante de véhicules. Il est probable, dans le cas des entreprises notamment, que cette gratuité ne survive pas à une explosion du nombre de véhicules électriques, mais elle soustrait aujourd’hui des clients potentiels aux solutions payantes déployées dans les villes. Les réseaux de recharge rapide déployés, par exemple, le long des axes routiers et autoroutiers sont, quant à eux, peu affectés.

Enfin, dans l’espace public, dans les parkings et dans la rue, existent des bornes de recharge appartenant à des opérateurs privés ou à des fournisseurs d’énergie. Dans leur cas, la recharge est payante et s’adresse aux conducteurs qui n’ont pu bénéficier d’une recharge gratuite ou d’une recharge à domicile. La rentabilité de l’infrastructure de recharge est alors très fortement dépendante du trafic à la borne. Ce trafic est encore limité, sauf en de rares exceptions en Norvège et aux Pays Bas par exemple, par une faible pénétration du véhicule électrique.

Bien que ces opérateurs opèrent sur un marché limité par la pénétration encore faible des véhicules électriques et, comme mentionné plus haut, par le développement des opportunités de recharge gratuite ou celles à coût «réduit», tout est bon pour maximiser le taux d’utilisation de chaque borne: choisir un emplacement propice, appartenir à un réseau dont l’application mobile permet de localiser les bornes du réseau et attirer vers elles les adhérents, simplifier le paiement, faire bénéficier à chaque conducteur à la borne les mêmes tarifs préférentiels que ceux appliqués à domicile.

Frein au développement

Malgré les efforts consentis, la rentabilité de ces infrastructures est, à ce jour, rarement garantie. Elle freine leur développement et, par conséquent, le développement du véhicule électrique. Les modèles conduisant à des recharges gratuites ou à domicile dans des conditions tarifaires favorables pénalisent et ralentissent le succès de ceux visant à développer une infrastructure largement déployée et visible.

Il est donc important, dans le cas des villes, de stimuler un trafic «supplémentaire» permettant une meilleure rentabilité aux propriétaires et opérateurs de réseaux de bornes de recharge publiques. Les véhicules professionnels sont un potentiel à considérer en priorité. Ces véhicules et leurs usages peuvent être très variés: flotte de véhicules s’arrêtant rarement et nécessitant des recharges très rapides, flotte de véhicules pouvant être rechargés à leur «port d’attache» rarement accessible par le public, véhicule lourd nécessitant des puissances de recharge importantes, véhicules pouvant utiliser les réseaux publics.

Chaque ville dispose d’un potentiel propre qu’il est nécessaire de caractériser. Mais la prise en compte de ce potentiel pouvant influencer à courte échéance la rentabilité des investissements de bornes de recharge a également une incidence sur la localisation des bornes. Il est donc vital de le prendre en considération avant toutes les décisions d’implantation au risque de ne pouvoir capter ce flux salvateur.

Les ambitions pour développer la mobilité électrique dans les toutes prochaines années, dans les villes, comme pour des trajets plus longs, supposeront que ce casse-tête économique soit en partie résolu.

Auteur
Éric Morel

est Consultant international en digitalisation et en transition énergétique.

  • Mach&Team,
    38700 Le Sappey-en-Chartreuse

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