De la combustion du diesel à celle de l’H2
Étude de faisabilité
L’abandon des énergies fossiles est une nécessité évidente. Or, dans le secteur des transports publics, il n’est pas aisé de trouver une alternative neutre en CO2 aux bus diesel utilisés pour les trajets extra-urbains. Une étude réalisée par la HEIA-FR montre que le moteur à combustion à hydrogène pourrait représenter une solution très compétitive et rapide à mettre en œuvre.
En Suisse, le renouvellement futur des flottes de bus des entreprises de transports publics concessionnaires sera considérablement affecté par la Stratégie énergétique 2050. La source d’énergie, l’exploitation, la maintenance ainsi que le coût total de possession (TCO, total cost of ownership) des bus utilisés pour les trajets extra-urbains seront en effet complètement différents à l’avenir et rendront donc plus complexe le remplacement d’une flotte existante.
Si la motorisation électrique à batterie constitue une alternative intéressante aux bus diesel, l’autonomie des batteries et leur recharge restent problématiques pour certaines applications. La motorisation électrique à pile à combustible représente aussi une solution prometteuse, quoique très coûteuse, dont la fiabilité dans le domaine de la mobilité reste encore à démontrer. Mais il existe également une alternative encore peu connue, neutre en CO2, très compétitive et rapide à mettre en œuvre: le moteur à combustion à hydrogène.
Le développement d’un tel moteur a fait l’objet d’une étude [1] à la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR). Financée par l’Office fédéral des transports (OFT) et réalisée en collaboration avec les Transports publics fribourgeois (TPF), elle a pour objectif d’évaluer la faisabilité technique et économique du remplacement des bus diesel de la flotte des TPF par des bus équipés d’un moteur H2ICE (Hydrogen Internal Combustion Engine) – c’est-à-dire un moteur à combustion interne fonctionnant à l’hydrogène –, et de comparer cette alternative aux technologies potentiellement neutres en CO2 disponibles sur le marché.
Le projet en quelques mots
Chaque année, les TPF consomment 4,8 mio. de litres de diesel, en majorité sur les lignes extra-urbaines. Ils recherchent donc activement des solutions pour réduire fortement leur dépendance aux énergies fossiles, et ce, autant pour diminuer leurs émissions que pour des considérations financières.
Au cours de l’étude susmentionnée, des simulations basées sur des mesures effectives des bus de la flotte existante des TPF ont été réalisées afin de définir le coût total de possession d’un futur bus à hydrogène avec moteur à combustion interne (H2BICE) ainsi que les contraintes techniques associées. En parallèle, une base moteur a été identifiée dans la gamme de Fiat Powertrain Technologies (FPT) pour être adaptée à la combustion d’hydrogène. Une fois converti, ce moteur devrait être intégré dans un véhicule répondant aux exigences des trajets extra-urbains des TPF, et ce prototype de bus devrait ensuite être testé dans des conditions réelles d’utilisation.
Combustion ou pile à combustible?
Les bus à hydrogène peuvent être classés dans deux catégories (figure 1): les bus thermiques équipés d’un moteur à combustion à hydrogène, encore inexistants sur le marché, et les bus électriques équipés d’une pile à combustible (PAC).

Ces derniers sont très similaires à un véhicule 100% électrique: la différence réside essentiellement dans une batterie plus compacte, à laquelle est ajoutée une PAC qui produit de l’électricité à partir de l’hydrogène stocké à bord afin de prolonger l’autonomie. La plupart des bus à PAC nécessitent donc une double infrastructure pour le ravitaillement. En effet, en plus du réapprovisionnement en hydrogène, leurs batteries doivent également être rechargées pendant la nuit.
Pourquoi utiliser un moteur à combustion à hydrogène?
Les technologies de propulsion actuellement développées pour l’utilisation des énergies renouvelables en remplacement des combustibles fossiles – qu’il s’agisse d’une motorisation électrique alimentée par une PAC et/ou par des batteries – présentent un certain nombre d’inconvénients.
Premièrement, ces systèmes restent très coûteux, même avec une industrialisation à grande échelle. Ensuite, leur masse est également plus élevée. Enfin, l’autonomie des véhicules à batterie est actuellement insuffisante pour de nombreuses applications dans le secteur de la mobilité lourde. À titre d’exemple, l’autonomie actuelle des bus à batterie «18 m équivalents» est d’environ 180 à 200 km en hiver, soit près de la moitié de l’autonomie quotidienne requise pour les trajets extraurbains des TPF. De nombreux chargeurs rapides devraient donc être installés, et ceux-ci pourraient avoir un impact sur le réseau électrique.
L’utilisation de l’hydrogène dans un moteur à combustion constitue une alternative intéressante. Elle présente en effet de nombreux avantages:
- Elle permet d’atteindre jusqu’à zéro émission de CO2 «Well-to-Wheel» (du puits à la roue), selon la source d’énergie utilisée pour la production d’hydrogène.
- Elle repose sur une technologie de base – le moteur à combustion – qui a déjà fait ses preuves, et qui est peu onéreuse du fait de sa connaissance approfondie et de l’optimisation des méthodologies de production.
- Elle pourrait permettre de convertir une énorme flotte de véhicules en très peu de temps et avec peu d’investissements.
- Le moteur à hydrogène peut atteindre un meilleur rendement à charge élevée que la technologie de la PAC. Or, les mesures effectuées ont montré que sur les trajets extra-urbains des bus des TPF, le temps de pleine charge représentait plus de 50% du temps de fonctionnement. Sur les trajets en pente ou dans les zones montagneuses, celui-ci est encore plus conséquent.
Et ce n’est pas tout: en effet, un groupe motopropulseur basé sur un moteur à combustion à hydrogène plutôt que sur une PAC laisse, par exemple, envisager des programmes de «rétrofit» de véhicules existants. Deux grandes options peuvent alors être considérées: le remplacement de l’ensemble moteur/transmission par de nouveaux composants incluant un moteur à hydrogène, ou l’utilisation d’un kit de conversion du moteur existant pour passer du diesel à l’hydrogène. Dans les deux cas, il sera nécessaire d’intégrer les réservoirs d’hydrogène sur le toit du véhicule, ce qui ne pose en principe pas de problème, étant donné que les véhicules diesel sont souvent déployés en une version au gaz naturel déjà équipée de réservoirs sur le toit.
Définir les besoins concrets
Afin de comprendre comment les véhicules sont utilisés sur les différents trajets des TPF et de disposer de valeurs précises en ce qui concerne leur consommation, des mesures ont été effectuées sur plusieurs lignes représentatives de l’ensemble des cas d’utilisation, urbains et extra-urbains (figure 2).
Il faut considérer qu’à ce jour, tous les véhicules électriques ou à PAC déjà sur le marché ou annoncés par les grands constructeurs sont des véhicules urbains et sont pour la plupart non articulés. Les transports extra-urbains, qui représentent la majorité de la consommation de carburant de la flotte des TPF, sont contraignants par leurs besoins en termes d’autonomie, de puissance et de capacité passagers. C’est surtout pour ces cas d’applications concrets que la solution H2BICE proposée semble la plus intéressante dans un premier temps, même si les transports urbains ne seraient pas pour autant incompatibles avec ce type de véhicule.
Choix du moteur de base et cartographie de consommation
Le développement du moteur à combustion à hydrogène est basé sur le moteur FPT Cursor 13 NG, un moteur à gaz naturel produit en série (figure 3). Le choix d’un moteur à gaz naturel plutôt que diesel repose sur certains critères techniques liés au développement. Ce moteur Euro VI, conçu pour des applications routières et non routières, permettra d’atteindre un niveau de performance équivalent à celui que l’on trouve actuellement dans les véhicules diesel de la flotte des TPF.

En considérant les valeurs réelles de rendement thermique du moteur existant qui peuvent être atteintes, une première cartographie prédictive de consommation de carburant du moteur à hydrogène a pu être réalisée (figure 4). Grâce à celle-ci, des simulations ont pu être effectuées pour les trajets de référence afin de calculer la consommation moyenne en kilos d’hydrogène par 100 km et de pouvoir ainsi dimensionner les réservoirs de carburant. Ces simulations ont également permis de calculer le TCO du véhicule, dans le but de comparer cette technologie avec ses concurrents en tenant compte des aspects non seulement techniques mais également économiques.

Respect des normes en matière d’émissions
Le moteur à hydrogène n’émet que de la vapeur d’eau et des oxydes d’azote (NOx), dans des proportions toutefois beaucoup plus faibles que celles d’un moteur à carburant fossile – jusqu’à 100 fois inférieures pour un moteur optimisé.
L’objectif, basé sur des résultats obtenus à la HEIA-FR sur un autre moteur à hydrogène au banc d’essai, est d’atteindre la limite d’émission Euro VI [2] sans post-traitement des gaz d’échappement. Ce défi sera bien plus exigeant pour la future norme Euro VII (voir [3] pour l’adoption de la dernière proposition de la Commission européenne). En cas de besoin, un système de post-traitement nettement plus simple et moins coûteux que celui d’un moteur diesel pourrait être utilisé.
Une intégration sans grandes modifications
L’intégration d’un moteur à hydrogène dans un bus ne nécessite pas de changements drastiques dans le concept du véhicule, et c’est là l’un des arguments principaux qui justifie sa rapidité de mise en œuvre potentielle. En effet, l’architecture requise est très similaire à celle d’un véhicule diesel, et encore plus à celle d’un bus au gaz naturel comprimé (GNC), qui dispose d’un stockage de carburant dans des réservoirs pressurisés sur le toit du véhicule. Les différentes configurations possibles envisagées pour le stockage d’hydrogène sur le toit – juste devant le soufflet du bus articulé ou répartition des réservoirs juste devant et derrière celui-ci – sont toutes intégrables et ne présentent pas de limitations au niveau de la structure.
Analyse du coût total de possession
L’analyse du coût total de possession présentée dans ces lignes se concentre sur les véhicules extra-urbains, car ils seraient les premiers à être mis en service en raison du besoin d’alternatives aux bus à batterie. Les résultats des véhicules urbains se trouvent, quant à eux, dans le rapport de l’étude de faisabilité [1].
Afin d’obtenir un chiffre représentatif d’une flotte, le TCO a été calculé pour 80 véhicules. Pour la comparaison, les consommations ont été choisies comme suit:
- Pour les bus H2BICE, la consommation de 14 kgH2/100 km correspond à l’objectif de rendement optimisé du moteur à hydrogène sans injection directe (43%) qui devrait être atteint à la fin de la phase de développement du moteur.
- La consommation d’énergie calculée des technologies concurrentes est de 12 kgH2/100 km pour le bus à PAC et de 340 kWh/100 km pour le bus à batterie [1].
Enfin, la baisse potentielle du prix des bus à batterie et des bus à PAC au fil des ans provient d’une étude récente financée par l’Office fédéral de l’énergie [4]. Ainsi, même avec un scénario de forte baisse des prix des batteries et des piles à combustible au fil des ans, le bus H2BICE reste très compétitif sur le long terme, comme le montre la figure 5. À noter toutefois que l’option batterie ne peut pas vraiment être comparée en raison de l’autonomie actuelle insuffisante, et que dans cette comparaison, le prix de l’électricité est maintenu constant tandis que le prix calculé de l’hydrogène renouvelable est de 10,60 CHF/kg en 2022 et de 5 CHF/kg en 2050 [1].

Une solution avec un vaste éventail de perspectives
Le concept H2BICE présente non seulement un potentiel pour la conception de nouveaux véhicules, mais est également une solution permettant le «rétrofit» de véhicules existants pour pouvoir les exploiter avec le nouveau carburant. Cette opération permettrait de conserver la quasi-totalité du véhicule: il suffirait d’ajouter un système de stockage d’hydrogène et de remplacer le moteur diesel ou de le convertir à l’hydrogène.
Les résultats de cette étude confirment que la solution H2BICE est intéressante de par sa compétitivité économique, sa faisabilité technique et le maintien des performances actuelles, et ce, tout en garantissant les aspects sécuritaires. Suite à ces résultats positifs, le développement du moteur FPT à hydrogène a commencé à la HEIA-FR. L’intégration du moteur dans un bus prototype sera ensuite étudiée dans le but de tester le véhicule en conditions réelles.
Enfin, il est important de noter que le moteur de bus développé aura des applications potentielles qui ne se limitent pas aux bus des transports publics. En effet, sa cylindrée et sa classe de puissance le rendent éligible à d’autres applications routières (camions, autocars), ferroviaires, agricoles ou même stationnaires.
Références
[1] N. Monney, L. Andres, C. Nellen, «Motorisation à l’hydrogène des bus de transport public», Projet OFT n° 155, février 2022.
[2] Office fédéral de l’environnement, «Évolution de la législation suisse relative aux gaz d’échappement des véhicules à moteur et des machines», 31 mars 2019.
[3] «Normes européennes en matière d’émissions des véhicules – Euro 7 pour les voitures, les camionnettes, les camions et les autobus», Have your say, consulté le 28 janvier 2023.
[4] M. Lebküchner, H.-J. Althaus, A. Greinus, C. Graf, B. Cox, S. Köppel, «Exploitation des bus équipés de systèmes de propulsion à énergies non fossiles: estimation du potentiel de réduction des émissions de CO2 et possibilités d’encouragement», Étude de base, rapport final, octobre 2020.
Remerciements
Les auteurs remercient l’Office Fédéral des transports (OFT) pour le financement de l’étude de faisabilité ainsi que les partenaires du projet pour leurs contributions.
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