Data mining dans les microréseaux
Identifier les appareils grâce à leur signature électrique
La multiplication des installations photovoltaïques dans les écoquartiers complique la prédiction des profils de consommation. Une solution consisterait à utiliser le machine learning pour reconnaître les appareils connectés au réseau basse tension par le biais de leurs harmoniques, et ce, sans avoir à installer de capteurs au sein des habitations.
Les réseaux de distribution d’énergie incluent de plus en plus d’intelligence embarquée et de mesures dites smart, et ce, tant au niveau de la haute tension qu’à celui des microréseaux basse tension des quartiers résidentiels. Dès lors, plusieurs solutions sont apparues pour la mesure intelligente des données de réseaux. Mises à la disposition de systèmes d’analyse et de prédiction, ces données permettent aux distributeurs d’énergie d’étudier les flux d’énergie et de mieux prévoir les profils de consommation.
L’introduction du principe de signature électrique permettrait d’approfondir le diagnostic réseau. Il s’agit là de mesurer de manière non invasive des profils de consommation et de production dans un écoquartier au sein duquel des consommateurs produisent leur propre énergie, notamment au moyen de panneaux photovoltaïques. Les appareils connectés au réseau, à savoir les convertisseurs de puissance, produisent en effet un certain nombre d’harmoniques qui sont contrôlables et mesurables par des appareils de détection. Ainsi, les différents flux énergétiques d’un réseau peuvent être mesurés à distance, sans avoir à déployer de nombreux capteurs.
Moins de capteurs, mais plus d’informations
Aujourd’hui, les informations sur l’état du réseau sont de qualité insuffisante pour permettre de telles démarches. D’un côté, les compteurs existants chez les clients ne fournissent pas d’information sur la manière de consommer, car seule la quantité d’énergie totale consommée est enregistrée. D’un autre côté, l’infrastructure de mesure de l’opérateur de distribution n’est pas assez étendue pour permettre de localiser précisément l’origine des besoins énergétiques et d’analyser en temps réel la production d’énergie distribuée.
De nombreuses démarches ont initié la mode du customer-side smart metering ou comptage intelligent du côté du client (Smart-e et Ecowizz en Suisse) reposant sur l’installation d’un réseau de capteurs au sein du domicile. Ces systèmes s’adressent en priorité aux passionnés de technologie en leur proposant, typiquement via une application smartphone, une analyse de leur consommation énergétique. Par ailleurs, plusieurs initiatives (Tiko de Swisscom Energy Solutions, VPP de Misurio et EnergyOn) intègrent des options de demand-side management, ou gestion de la demande, dans ces dispositifs. En prenant le contrôle du fonctionnement de certains consommateurs chez le client (chauffage, climatisation, réfrigération), ces systèmes offrent une certaine flexibilité à l’exploitant du réseau qui peut ainsi manipuler la demande.
Dans tous les cas, ces systèmes imposent l’utilisation de nombreux capteurs placés à chacun des points de mesure nécessaires. De plus, les intérêts du distributeur d’énergie ne sont pas pris en compte. En effet, aucun de ces systèmes ne lui fournit directement l’information sur la consommation. Pour pallier ce manque, des approches orientées smart metering classique dédiées aux distributeurs d’énergie se développent en Suisse (par exemple GridEye de Depsys). Focalisées sur des objectifs de détection et de localisation de surtensions et de sous-tensions, ces dernières ne permettent en revanche toujours pas de se passer de l’utilisation de nombreux capteurs.
À la différence de ces techniques, une évolution a été récemment réalisée dans le domaine du customer-side smart metering, visant à supprimer le réseau de capteurs installé au domicile des clients. L’identification des appareils connectés se fait dès lors par une méthode non invasive qui se base sur la reconnaissance de leur signature électrique.
Reconnaître les signatures électriques
Ce projet pilote propose de développer les outils nécessaires à la mise en place d’une infrastructure de mesure non invasive au sein du réseau basse tension. Sur la base des développements susmentionnés, il est envisageable d’équiper une partie du réseau de distribution, à savoir au point d’injection ou à quelques autres endroits judicieusement choisis, avec un nombre limité de capteurs. À l’aide de techniques de reconnaissance de profils harmoniques, il sera possible d’identifier séparément la consommation ou la production de chaque client, en termes quantitatifs et qualitatifs.
En généralisant le principe de mesure non invasive au niveau du domicile, il est possible d’identifier les signatures électriques de chaque consommateur relié au réseau basse tension, permettant ainsi de séparer leurs consommations et productions propres en analysant uniquement le contenu harmonique du signal électrique au niveau du transformateur MT/BT (figure 1).
Le processus d’analyse consiste en l’apprentissage d’une machine d’identification (machine learning) dont les données reçues correspondent aux mesures de courants et de tensions au point de couplage commun dudit miniréseau, en l’occurrence ici le réseau d’un écoquartier. La machine a accès à une série de données à haute résolution qui est transposée dans le domaine fréquentiel via une transformée de Fourier rapide (FFT). Ces données contiennent les mesures ainsi que les indicateurs de présence ou d’absence de convertisseurs liés à des panneaux photovoltaïques, ces derniers constituant l’objet de l’étude.
Plusieurs modèles utilisant des régressions logistiques sont entraînés avec des données labellisées de manière à ce qu’ils puissent reconnaître un ou plusieurs dispositifs connectés au réseau. Les modèles sont entraînés à reconnaître adéquatement certains indicateurs, par exemple la présence d’un convertisseur à partir des données temporelles. Les données dans le domaine fréquentiel fournissent de bons indicateurs pour l’apprentissage des machines parce que chaque dispositif contient un profil harmonique propre constituant une signature électrique unique. La haute résolution des échantillons, et ainsi la présence d’harmoniques haute fréquence, permet à la méthode d’effectuer une bonne distinction entre les différentes situations.
Une fois la machine entraînée, le modèle de reconnaissance peut être utilisé pour la détection de plusieurs dispositifs en temps réel sur le même réseau ou sur un réseau équivalent. Des modèles plus avancés utilisant une combinaison de méthodes de régressions peuvent être utilisés pour estimer quelle part d’activité du réseau peut être attribuée à quel dispositif, comme par exemple mesurer la production dans le temps d’un panneau solaire spécifique connecté au réseau d’un écoquartier.
Modélisation d’un microréseau
Pour l’étude des principes proposés, l’accès aux données réseau d’un écoquartier est essentiel. Comme celles-ci sont difficilement mesurables, la mise en place d’un environnement de simulation temps réel performant est devenue une évidence.
Afin que cet environnement de simulation soit le plus réaliste possible, il a fallu se tourner vers une solution temps réel pour la mise en place d’une situation se rapprochant au mieux d’un miniréseau avec des charges passives et des convertisseurs de puissance de type photovoltaïque. Le simulateur HIL602 de Typhoon-HIL propose un environnement permettant la mise en place de convertisseurs connectés à un réseau avec un échantillonnage de 1 μs au niveau des mesures. Couplé à ce simulateur, un contrôleur industriel de type Boombox de la société Imperix permet de contrôler les convertisseurs virtuels comme s’ils étaient réels. Fonctionnant de pair, ces deux appareils (figure 2) ont servi à créer un environnement permettant de générer des harmoniques spécifiques pouvant être reconnues comme des signatures électriques à analyser.
L’environnement implémenté dans le simulateur temps réel est constitué de deux convertisseurs actifs contrôlés par des signaux externes et d’une charge passive. Les lignes de distribution sont modélisées avec leurs valeurs résistives et inductives équivalentes. La capacité de court-circuit du réseau externe est modélisée via une inductance de ligne équivalente. Ainsi, les harmoniques générées par les convertisseurs sont atténuées au niveau du point de couplage commun (PCC) comme elles le seraient dans une installation réelle.
Avec ce simulateur, plusieurs situations sont recréées afin d’apprendre au système de reconnaissance à différencier les informations. Les données mesurées directement dans le réseau virtuel sont transformées dans le domaine fréquentiel afin d’étudier en plus particulier les harmoniques. Ces harmoniques sont dans un premier temps identifiées par une différence dans la fréquence de commutation entre deux convertisseurs; celles-ci pourront dans un deuxième temps être différenciées par un profil harmonique spécifique manipulé par le contrôleur afin d’y ajouter des informations.
Plus de données pour une meilleure fiabilité
Plusieurs mises en situation concrètes et distinctes ont été élaborées pour permettre dans un premier temps un apprentissage de la machine d’analyse pour la reconnaissance des convertisseurs connectés au réseau résidentiel simulé. Toutes les mises en situation sont constituées de deux situations distinctes avec une transition claire afin d’analyser les différences dans le domaine fréquentiel et temporel (figure 3).
Les données utilisées pour la reconnaissance (figure 4) sont les résultats dans le domaine fréquentiel des mises en situation exposées ci-dessus. Une fois la machine entraînée, les mêmes situations sont simulées à nouveau, puis analysées par la machine de reconnaissance pour apprécier si les situations initialement mises en place sont bel et bien identifiées. Cette façon de faire permet aussi de voir dans quelle mesure ces données peuvent être reproduites et si des différences apparaissent entre deux jeux de données issus de la simulation d’une situation identique. En l’occurrence, les jeux de données ne sont pas parfaitement identiques, ce qui montre que le simulateur est réaliste, car celui-ci inclut une certaine composante non déterministe qui correspondrait plus à la réalité du terrain.
Les erreurs d’identification viennent de plusieurs facteurs et montrent certains besoins de la machine de reconnaissance, notamment dans l’automatisation de l’acquisition des données, couplée avec la nécessité de l’utilisation de plus de jeux de données correspondant à des situations similaires. En l’occurence, chaque situation devrait faire l’objet de dizaines, voire de centaines de jeux de données pour permettre à la machine d’acquérir un haut degré de certitude, d’où un besoin d’automatisation dans l’acquisition et l’analyse en temps réel.
Marquer les signatures
Les résultats de ce projet ouvrent la porte à une nouvelle cohabitation potentielle entre les distributeurs d’énergie et les microproducteurs écoresponsables dans les réseaux de distribution. En effet, la mesure non invasive de profils de consommation/production via la reconnaissance de signatures électriques permet non seulement une meilleure vision de l’état du réseau, mais aussi de meilleures prévisions quant aux besoins énergétiques d’un écoquartier.
Pour faciliter la reconnaissance des profils de consommation/production, les onduleurs connectés au réseau peuvent être implémentés avec des profils harmoniques propres à chaque dispositif, générés par leur propres contrôleurs avec plusieurs canaux potentiellement activables par l’utilisateur ou le distributeur. Ainsi, l’analyse de tensions au point de couplage commun ne reposerait plus sur des différences harmoniques naturelles ou parasites, mais sur une signature électrique bien maîtrisée, générée de manière à transmettre une information de manière précise.
Les méthodes d’entraînement dites «machine learning» sont probablement les meilleures candidates à la reconnaissance de situations diverses dans un réseau. Avec une analyse continue des données en temps réel, la machine de reconnaissance peut se fier à une grande liste d’indicateurs issus de détections temporelles et/ou fréquentielles. Grâce à eux, dans les phénomènes transitoires, les déséquilibres, les battements ou les fonctionnements en régime établi permettent la lecture et la reconnaissance précise de situations différenciées de manière naturelle ou artificielle, cette dernière étant issue de la manipulation de profils harmoniques des dispositifs connectés au réseau analysé.
Remerciements
L’auteur remercie les membres du comité Cogener d’avoir permis, à travers le fond SIG-NER, la mise en place de ce projet.
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