Dangers liés aux glissements de terrain
Sécurité des barrages
Des travaux de recherche sont régulièrement dédiés à la sécurité des barrages. Une étude de l’ETHZ a récemment cherché à savoir si des glissements de terrain consécutifs à des tremblements de terre étaient à même d’entraîner le débordement des lacs de retenue et de mettre ainsi en danger les personnes vivant en aval. Les résultats de l’étude de cas réalisée sur un barrage tessinois sont réjouissants.
Quiconque sous-estime les dangers de la montagne peut en payer le prix fort. Il en va de même pour les constructeurs de barrages dans les Alpes. Lors de la construction du barrage de Mattmark, dans la vallée de Saas, en Valais, l’effondrement d’une partie du glacier de l’Allalin a coûté la vie à 88 ouvriers en août 1965. La catastrophe qui s’est produite le 9 octobre 1963 dans le nord-est de l’Italie, près du barrage de Vajont, s’est avérée encore plus dévastatrice: lors d’un glissement de terrain, 270 millions de mètres cubes de roches − soit pratiquement le double du volume du lac de retenue – sont tombés dans ce dernier alors qu’il était plein. Un énorme raz-de-marée a déferlé sur le barrage, provoquant la mort d’environ 2000 personnes en aval, dans la petite ville de Longarone et dans d’autres localités, sans que le barrage de 260 m de haut ne subisse de dommages considérables.
Risques potentiels liés aux tremblements de terre
Cette tragédie a définitivement mis en évidence les dangers que représentent les glissements de terrain près des lacs de barrage. Aujourd’hui, afin d’éviter de telles catastrophes, les zones dangereuses sont surveillées. Parmi celles-ci, les versants dits rampants: il s’agit de masses de terre constituées de roches meubles qui se déplacent vers l’aval de quelques centimètres à plusieurs mètres par an. La situation devient dangereuse lorsqu’un versant rampant se transforme en glissement de terrain et que les roches tombent brusquement dans le lac de retenue, provoquant ainsi un raz-de-marée. Selon les spécialistes de l’OFEN, il existe une douzaine de versants rampants de taille notable le long des quelque 200 lacs de retenue suisses. Ceux-ci sont actuellement surveillés par des systèmes de monitoring – ici-bas et via des satellites – afin de détecter à temps toute évolution dangereuse. De plus, le danger que représentent les versants rampants pour la sécurité des barrages est régulièrement évalué par des spécialistes. Pour ce faire, des calculs basés sur des modèles géotechniques et hydrauliques sont également utilisés.
Au cours des dernières années, les responsables de la sécurité ont accordé une attention croissante aux dangers potentiels que représentent les tremblements de terre pour les barrages. Il y a un peu plus de cinq ans, Markus Schwager, responsable du programme de recherche de l’OFEN sur la sécurité des barrages, a lancé une étude scientifique consacrée à ce sujet avec Alexander Puzrin, professeur à l’Institut de géotechnique de l’ETHZ. Depuis, l’ingénieur civil Marc Kohler s’est penché, dans le cadre de sa thèse de doctorat, sur la question de savoir si les tremblements de terre augmentent le potentiel de danger des versants rampants et représentent, le cas échéant, une source de risque de raz-de-marée jusqu’ici sous-estimée. Les résultats du projet de recherche soutenu par l’OFEN sont disponibles depuis le printemps 2023.
Les versants rampent vers la vallée
La principale conclusion de l’étude: rien n’indique que le risque de tremblement de terre ait été sous-estimé jusqu’à présent. Il s’agit plutôt du contraire: en ce qui concerne le versant rampant sur le flanc du lac de retenue du barrage tessinois de Luzzone – le sujet principal de l’étude –, le danger est même moins important qu’on ne le pensait. «En appliquant les méthodes de calcul conventionnelles aux versants rampants, les résultats indiqueraient que les raz-de-marée représentent déjà un grand danger en cas de séismes d’intensité moyenne. Nous avons toutefois pu montrer qu’un tel scénario est improbable, et ce, même en cas de séismes de forte magnitude», explique Marc Kohler en résumant le principal résultat de son étude.
L’évaluation du scientifique de l’ETHZ se base sur des simulations informatiques ainsi que sur des études réalisées sur le terrain et en laboratoire. Il a conçu un modèle qui représente le comportement des versants rampants en cas de séisme ainsi que les facteurs d’influence importants.
Si la méthode de Newmark, qui décrit la masse de terre d’un versant comme un bloc solide glissant progressivement sur un plan incliné, était utilisée auparavant pour modéliser les versants rampants, on applique aujourd’hui plutôt la «Material Point Method» (MPM), nettement plus précise. La masse glissante, le support stable ainsi que l’eau du lac de retenue sont alors décomposés en millions de petits éléments (appelés «points matériels»). Un comportement matériel spécifique est attribué à chacun de ces éléments, en fonction du matériau qu’il doit représenter: roche solide, roche meuble ou eau. Le modèle permet alors de simuler comment le versant rampant se déplace sous certaines influences extérieures telles que la pluie ou, justement, les tremblements de terre.
La zone dite de cisaillement est particulièrement intéressante: il s’agit de la surface inclinée sur laquelle le versant «rampe» lentement vers la vallée – et qui, dans le pire des cas, se transforme en plan glissant pour un glissement de terrain. Les zones de cisaillement présentent différentes compositions de matériaux, mais sont souvent caractérisées par la présence de fines fractions de roches meubles d’argile et de limon, qui favorisent un mouvement de glissement. Outre le matériau, la pression de l’eau dans la zone de cisaillement constitue le second facteur d’influence important: en période de pluie, les versants rampants se déplacent beaucoup plus rapidement.
Mouvements de cisaillement dans un appareil en laboratoire
Ce qui se passe à l’intérieur d’un versant rampant est difficile à observer dans la nature. Toutefois, les changements dans une zone de cisaillement peuvent être reproduits expérimentalement en laboratoire à l’aide d’un dispositif spécial: l’appareil de cisaillement annulaire. Celui-ci imite, par le biais d’un mouvement circulaire, le processus de cisaillement qui se déroule dans la nature sous la forme d’un mouvement linéaire. Pour ce faire, un volume annulaire est rempli avec l’échantillon de matériau, puis la moitié inférieure de l’échantillon est déplacée par rapport à la moitié supérieure via un mouvement de rotation.
Marc Kohler a développé, en collaboration avec une équipe de l’Institut de géotechnique de l’ETHZ, un appareil de cisaillement annulaire particulièrement performant. Celui-ci permet d’étudier des mouvements de cisaillement très rapides, tels que ceux qui se produisent en cas de tremblement de terre. Alors que les vitesses de cisaillement analysées à l’aide des dispositifs antérieurs étaient plutôt lentes (0,01 à 100 mm/min), le nouvel appareil permet quant à lui d’étudier des vitesses pouvant atteindre 1 m/s. Marc Kohler l’a utilisé pour examiner du matériel provenant de la zone de cisaillement d’un versant rampant sur le flanc du lac de retenue du barrage de Luzzone, à l’extrémité supérieure du Val Blenio, au Tessin. Le matériau à grain fin, principalement un mélange de limon et de sable, a été prélevé dans la zone de cisaillement à l’aide de carottages.
Pas de levée générale d’alerte
Les modélisations et l’étude réalisée en laboratoire avec les échantillons prélevés à Luzzone montrent qu’une vitesse de cisaillement plus élevée n’entraîne pas une diminution de la résistance, comme on le craint souvent, mais une nette augmentation. Ceci a pour conséquence qu’en cas de séisme important (et donc de vitesse de fluage plus élevée), une sorte de mécanisme de freinage automatique entre en action, qui ramène rapidement le glissement à son état initial de mouvement très lent. «Le danger que représentent les tremblements de terre a donc tendance à être moins important que ce que l’on pensait», explique Marc Kohler. Cette affirmation se réfère au versant rampant étudié à proximité du barrage de Luzzone, mais elle pourrait s’appliquer à de nombreux autres versants de structure similaire, ajoute le chercheur.
Alexander Puzrin, qui dirige la thèse de doctorat de Marc Kohler, souligne toutefois que les conclusions de cette nouvelle étude ne doivent pas être interprétées comme une levée générale d’alerte. «Les conclusions relatives aux glissements à Luzzone reflètent l’état actuel des connaissances. Les problèmes géotechniques, tels que les glissements de terrain alpins, sont extrêmement complexes. Le présent travail scientifique repose donc sur diverses simplifications et il en découle de grandes incertitudes», explique-t-il. Dans les futurs projets de recherche, il s’agira notamment d’étudier plus en détail les pentes douces présentant une zone de cisaillement composée de matériaux argileux fins, car ceux-ci ont tendance à perdre de leur résistance à des vitesses de cisaillement plus élevées.
Comparaison avec de forts tremblements de terre
Dans le cas du lac de barrage de Luzzone, les mesures effectuées ces dernières années montrent que les faibles séismes enregistrés n’ont pas accéléré le mouvement du versant rampant. Selon Marc Kohler, même un tremblement de terre d’une intensité inhabituelle pour la Suisse ne devrait pas, selon l’état actuel des connaissances, provoquer de catastrophe. C’est ce que montrent les modélisations réalisées en prenant l’hypothèse d’un séisme dans le Val Blenio d’une magnitude aussi élevée que celle du tremblement de terre de Norcia, en Italie, en 2016 (magnitude de 6,6), ou que celle enregistrée lors du tremblement de terre de Chichi, dans le centre de Taiwan, en 1999 (magnitude de 7,3). Dans les deux cas, selon la simulation informatique, le versant rampant n’aurait pas glissé de plus d’un mètre vers l’aval. Et les vagues, provoquées par le séisme ou le glissement de terrain meuble dans le lac de retenue, ne seraient pas suffisamment violentes pour provoquer des destructions notables.
Informations complémentaires
Des informations sur le projet peuvent être obtenues auprès du responsable de projet de l’OFEN Philipp Oberender ainsi qu’auprès de Markus Schwager, responsable du programme de recherche de l’OFEN sur la sécurité des barrages.
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