Article Réseaux énergétiques

Convergence des réseaux dans les milieux urbains

Un outil permettra d’évaluer les synergies possibles entre les différents réseaux énergétiques

12.12.2018

La convergence des réseaux énergétiques permet d’apporter des solutions aux défis qui vont se poser au niveau territorial, notamment à cause de la pénétration massive de sources intermittentes et décentralisées. Dans le cadre d’un projet européen, un nouvel outil est développé afin de concrétiser ce concept dans les villes.

Le concept de convergence des réseaux énergétiques constitue un sujet important dans l’évolution des énergies, tant au niveau international que local. Originellement, cette approche a été introduite dans le monde des télécommunications: elle indique notamment la co-existence et l’interaction entre les réseaux téléphoniques cablés et hertziens, le réseau internet (qu’il soit mis à disposition par cable ou fibre optique) et le réseau d’accès aux services de télévision. Ainsi, dans ce domaine, le consommateur ne fait plus appel à un seul service, mais a accès à des «paquets» de services qui combinent les différents supports de communication.

Dans le domaine des énergies, la convergence se réfère aux réseaux qui co-existent et interagissent sur le territoire, tout en pouvant être gérés par des entreprises distinctes, à savoir le réseau électrique, celui transportant le gaz naturel et les réseaux de chaleur et/ou de froid à distance. La convergence indique une interaction volontaire et contrôlée entre les réseaux, afin de répondre à leurs besoins spécifiques. Elle s’adresse tant aux réseaux de distribution que de transport, même si les contextes sont différents, et se réalise par le biais de technologies en grande partie existantes (e.g., par le biais de la co-génération). De plus, les réseaux énergétiques dits «intelligents» du futur seront en interaction avec leurs «contreparties» du secteur des télécommunications, dans une dynamique de convergence ultérieure.

La convergence des réseaux énergétiques peut être divisée en deux catégories. D’une part, la convergence indirecte, qui est déjà largement implémentée, met en relation deux réseaux d’une manière unidirectionnelle, comme dans le cas d’une centrale électrique à gaz naturel qui est utilisée de manière flexible afin de stabiliser le réseau électrique. D’autre part, la convergence directe, quant à elle, est de nature intrinsèquement bi-directionnelle, comme dans le cas des systèmes power-to-X, dans lesquels différentes interactions entre les réseaux mis en jeu sont possibles, par l’action réciproque des électrolyseurs, des méthaniseurs, des installations de co-génération et des pompes à chaleur. Ce dernier type de convergence n’est encore que peu implémenté à large échelle mais constitue l’une des grandes «promesses» du futur énergétique.

Réseaux et énergies dans les villes

D’une manière générale, la convergence, aussi appelée «interopérabilité» ou approche multi-énergies, peut apporter des réponses concrètes aux défis qui se dessinent pour chaque type de réseau énergétique:

  • Réseau électrique: pénétration massive des sources intermittentes, variation de la charge, bidirectionnalité
  • Réseau de gaz naturel: diminution des volumes par effet de mesures d’efficacité énergétique et choix politiques
  • Réseau CAD/froid: diminution des densités de demande, mais expansion par le biais du soutien politique aux énergies renouvelables, sources de valeur énergétique variable (e.g., bois)

 

De plus, ces réseaux co-existent déjà souvent sur les territoires urbains, mais sont planifiés, déployés et utilisés «en silos», i.e. sans prévoir des interactions mutuelles visant à augmenter leur résilience, ainsi que leur flexibilité face à de nouvelles sources de génération décentralisées (notamment PV résidentiel) et à une demande énergétique en mutation (i.e. pénétration accrue des véhicules bas carbone). Cette absence de vision synergétique comporte clairement des risques de surinvestissements financiers, d’utilisation non-rationnelle du sous-sol, de blocages techniques et institutionnels. La convergence des réseaux dans les villes permet une valorisation ultérieure des infrastructures existantes, ainsi que l’orientation vers des objectifs énergétiques et environnementaux ambitieux, notamment une intégration plus rationnelle des ressources dans le mix énergétique. Dans ce cadre, le réseau de gaz naturel sera probablement appelé à jouer le rôle d’«interface flexible» pour une «interopérabilité» accrue et à favoriser le déploiement des énergies renouvelables intermittentes.

Par ailleurs, la complexité de la demande et des dynamiques d’approvisionnement énergétiques au sein des villes requiert des nouveaux instruments de planification basés sur les nouvelles technologies de simulation numérique et de géo-référencement de l’information [1]. Ces outils doivent permettre, d’une part, d’obtenir une vision globale du territoire en fonction d’indicateurs pertinents et suivis dans le temps et, sur cette base, de faire dialoguer les acteurs de ce même territoire autour de différents choix technologiques.

Le projet IntegrCity

Dans le cadre dessiné ci-dessus, le projet IntegrCity, coordonné par la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD), a été lancé afin de répondre aux besoins accrus des autorités locales et des entreprises énergétiques en matière de planification énergétique des territoires. Le développement de cet environnement informatique d’aide à la décision est réalisé en étroite collaboration avec des partenaires industriels et institutionnels qui sont présentés en détail sur le site web du projet, dans une approche bottom-up.

La plateforme IntegrCity a été construite de manière intrinsèquement modulaire. Elle est articulée autour de quatre éléments fondamentaux qui ont été entièrement développés dans le cadre du projet:

  • Une base de données basée sur le format CityGML étendue avec des modules spécifiques pour les réseaux énergétiques [2]
  • Une architecture complète de co-simulation permettant de simuler plusieurs réseaux énergétiques de manière simultanée [3]
  • Une librairie de modèles de calcul pour une large sélection de technologies de conversion énergétiques, ainsi que les interfaces qui permettent de les utiliser au sein de l’environnement de co-simulation [4]
  • Trois interfaces spécifiques pour les utilisateurs permettant d’interagir avec l’outil à chaque étape de réalisation d’un projet de planification énergétique

 

Ces quatre blocs sont liés entre eux par une structure de gestion et d’échanges de messages robuste qui permet de les utiliser de manière intégrée.

En plus de l’extension du format CityGML aux réseaux énergétiques qui dépasse largement le projet IntegrCity lui-même, un autre élément particulièrement innovant est représenté par l’architecture de co-simulation qui permet d’aller au-delà des simulations classiques. Une simulation «classique» multi-réseaux avec une haute résolution demanderait beaucoup de ressources informatiques. Par conséquent, dans une co-simulation, un système complexe est d’abord divisé en sous-systèmes, qui sont modélisés et calculés séparément; le comportement global du système entier est recréé en mettant en œuvre l’échange des données entre les modèles au cours même des simulations. Ainsi, les simulations et les modélisations sont entièrement distribuées, comme le montre la figure 1.

Le futur outil permettra donc de:

  • Considérer des scénarios énergétiques au niveau de quartiers ou de territoires urbains complets, qui incluent des choix tant au niveau de la dynamique de la demande (e.g., au niveau des bâtiments à usage résidentiel) que de l’approvisionnement énergétique (e.g., la distribution spatiale des réseaux et leurs puissances), avec une première estimation des indicateurs-clé (KPI) liés à l’énergie primaire et aux émissions GHG, sur la base d’une interface dédiée, présentée à la figure 2.
  • Sélectionner et intégrer les modèles technologiques adaptés aux choix effectués dans les scénarios.
    Réaliser la co-simulation permettant de valider de manière robuste les choix technologiques effectués du point de vue de la faisabilité technique.
  • Calculer une série d’indicateurs technico-économiques qui compare les scénarios et, le cas échéant, de les affiner de manière itérative.
  • Visualiser les résultats sous forme de tableaux et de cartes interactives, également en 3D au travers d’une plateforme basée sur Cesium.

 

Le processus de travail imaginé est donc constitué de plusieurs étapes fondamentales: Définir des objectifs dans une zone urbaine considérée avec participation des acteurs pertinents du territoire, notamment les entreprises énergétiques qui y sont actives et les autorités locales. Sur la base des objectifs, définir un nombre limité de concepts énergétiques sous forme de scénarios et en effectuer une première évaluation au niveau des KPI afin de vérifier leur conformité avec les objectifs établis. Sur la base des scénarios, définir les designs des réseaux correspondants de manière détaillée. Utiliser la co-simulation comme validation technique des designs choisis ou, le cas échéant, les modifier. La dernière étape consiste à comparer les scénarios et les affiner sur la base des KPI détaillés calculés par l’outil IntegrCity.

Ainsi, la plateforme IntegrCity, de par son approche en étapes, assure non seulement d’obtenir des résultats avancés en termes d’utilisation intégrée des réseaux énergétiques, mais également un environnement qui permet la collaboration des acteurs impliqués dans la planification énergétique territoriale, autour de données structurées et pérennisées et de méthodes de calcul transparentes.

État actuel des travaux et perspectives

Le projet IntegrCity a démarré en 2017 et se terminera à l’automne 2019. Tant l’environnement de co-simulation que l’infrastructure de base de données basée sur le format CityGML ont été finalisés et testés. La réalisation des modules d’interface entre les différents éléments de la plateforme est en grande partie complétée.

Le projet prévoit la réalisation de trois cas-tests, à savoir dans les villes de Vevey et de Stockholm (Suède), ainsi que sur le Canton de Genève, en collaboration étroite avec les partenaires d’implémentation du projet. Cette partie du projet permettra, d’une part, de tester la plateforme IntegrCity sur des cas concrets de planification énergétique faisant intervenir plusieurs vecteurs énergétiques simultanément, mais également de fournir des résultats utiles pour les partenaires sur des réflexions en cours dans les territoires choisis. La réalisation des cas-tests souligne l’intention du consortium de projet de réaliser un outil qui soit implémentable et réplicable dans d’autres villes, ainsi que de viser une possible commercialisation future.

Une série de modèles technologiques, dont plusieurs développés spécifiquement dans le cadre du projet IntegrCity, sont présentement testés dans les trois cas-tests. À cette occasion, le consortium a notamment créé ses propres outils de simulation des réseaux de distribution d’électricité et de gaz naturel afin, d’une part, d’être en mesure de maîtriser complètement les calculs effectués et les résultats qui en découlent et, d’autre part, de favoriser l’intégration future de la plateforme IntegrCity auprès d’autres partenaires au niveau des licences informatiques. Les modèles permettront ensuite d’évaluer de manière quantitative les scénarios qui ont été choisis avec les partenaires sur les trois territoires. Des modèles permettant d’intégrer des technologies plus avancées comme le power-to-gas ont également été développés.

Le projet se situe donc dans une phase-clé d’implémentation sur des cas concrets. Dans le cas de la Ville de Vevey, le projet se concentrera autour de l’intégration optimale de réseaux CAD à basse ou à haute température, en termes d’impact sur les réseaux électriques et de gaz naturel, en étudiant notamment le rôle que ce dernier pourra jouer, par exemple par le biais de l’installation d’unités de co-génération distribuées. Sur le Canton de Genève, IntegrCity est utilisé dans le cadre des réflexions autour du futur déploiement du réseau d’énergie GéniLac (voir figure 3), en particulier au regard des réseaux existants dans la zone de l’aéroport international et de la possible intégration de ressources géothermiques en exploration.

Le projet IntegrCity bénéficie du soutien financier de l’Office Fédéral de l’Énergie, de Romande Energie SA, de Holdigaz SA, du Canton de Genève et de Hoval SA, dans le cadre du programme ERA-NET ENSCC et du JPI Urban Europe.

Cours ponctuel – Mutations énergétiques

Les 7, 8, 14 et 15 février 2019 à Yverdon

Le Pôle Énergies de la Haute École d’Ingénierie et de Gestion du Canton de Vaud (HEIG-VD) propose une formation continue ponctuelle sur les mutations énergétiques. Cette formation met en évidence les grands défis énergétiques aux niveaux mondial et européen, propose des solutions systémiques pour les relever et les illustre par des mises en œuvre et des solutions concrètes.

Les présentations sont orientées vers l’élaboration et le déploiement de stratégies énergétiques autour de technologies émergentes, avec des applications durables en milieu urbain et en matière de mobilité. Les dimensions sociétales, économiques, politiques et de régulation sont intégrées tout au long des discussions. Cette formation s’adresse notamment aux cadres responsables de la stratégie énergétique et de sa mise en place au sein d’entreprises énergétiques, de bureaux d’ingénieurs, d’entreprises d’équipement, de centres de recherche, d’administrations publiques ou encore d’établissements financiers.

Pour plus d’informations :
www.mutations-energetiques.ch

Références

[1] Voir par exemple, Marie-Hélène de Sède-Marceau et al, Revue internationale de géomatique, n° 1/2018, 95-124.
[2] Giorgio Agugiaro et al, Open Geospatial Data, Software and Standards 2018 3, 2-30.
[3] Edmund Widl et al, ISPRS Annals of the Photogrammetry, Remote Sensing and Spatial Information, Volume IV-4, 2018, 227-234.
[4] Monica Arnaudo et al, Energy Procedia 149 (2018), 286–296.

Auteur
Massimiliano Capezzali

est professeur à l’Institut d’énergie et systèmes électriques (IESE) ainsi que responsable du Pôle Énergies de la Haute école d’ingénierie et de gestion du canton de Vaud.

  • HEIG-VD
    1401 Yverdon-les-Bains
Auteure
Dr Diane von Gunten

est ingénieure de recherche auprès du Centre de Recherches Énergétiques et Municipales (CREM).

  • CREM
    1920 Martigny
Auteur
Pablo Puerto

est doctorant auprès du Centre de Recherches Énergétiques et Municipales, de la Haute École d’Ingénierie du Canton du Valais et de l’École des Mines d’Albi-Carmaux (France).

  • CREM
    1920 Martigny
Auteur
Dr Jakob Rager

est directeur du Centre de Recherches Énergétiques et Municipales (CREM).

  • CREM
    1920 Martigny
Auteur
Dr Jessen Page

est professeur auprès de la Haute École d’Ingénierie du Canton du Valais.

  • HES-SO Valais
    1950 Sion

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