Bien plus que de simples tarifs
Promouvoir le photovoltaïque tout en minimalisant son impact
Les tarifs électriques constituent l’un des éléments clés qui définissent la rentabilité d’une installation photovoltaïque. Ils exercent un effet non seulement sur le dimensionnement, mais aussi sur l’exploitation de ces installations. Ils peuvent aussi être mis à profit pour réduire l’impact de la production photovoltaïque sur le réseau électrique.
La volonté d’atteindre, en Suisse, la neutralité carbone en 2050 [1] va nécessiter un recours très important aux énergies renouvelables, et à l’énergie photovoltaïque (PV) en particulier. Les besoins sont estimés entre 35 et plus de 50 GW de puissance installée. Si à long terme, le déploiement du photovoltaïque en Suisse sera dicté par la rentabilité financière de ces installations, à plus court terme, les instruments d’encouragement comme la rétribution unique contribueront à accélérer ce déploiement.
Le bénéfice de la baisse des coûts des installations PV et des systèmes de stockage pourrait toutefois être contrarié par l’augmentation massive de la production PV à des moments où la demande ne sera plus suffisante pour l’absorber, et donc par une diminution de la valeur de cette énergie sur le marché. On peut de ce fait s’attendre à une baisse à long terme de la rentabilité des systèmes PV, qui pourrait aboutir à l’arrêt de leur déploiement. Dans ce contexte, la tarification de l’électricité peut jouer un rôle très important.
Les tarifs appliqués, l’un des éléments clés de la rentabilité
La rentabilité d’un système photovoltaïque dépend des coûts d’installation, mais aussi en grande partie des coûts d’opération du fait des économies qui peuvent être réalisées en autoconsommant l’énergie produite. Cette rentabilité varie donc principalement en fonction du tarif d’achat de l’électricité à partir du réseau, de la part de la production photovoltaïque qui peut être autoconsommée et du tarif de reprise de l’excédent de production PV par le gestionnaire de réseau de distribution (GRD).
Afin d’augmenter l’autoconsommation, le producteur-consommateur (prosommateur) peut soit stocker le surplus d’énergie sous forme électrique ou thermique, soit modifier sa demande (gestion de la demande). L’opération optimale d’un système énergétique intégrant une production PV, des charges contrôlables et des éléments de stockage dépend alors encore des tarifs d’achat et de reprise de l’électricité. Les réseaux électriques basse tension étant dimensionnés pour la consommation, les excès de production qui y sont injectés peuvent occasionner des problèmes de surcharge des lignes et au niveau des transformateurs, ou encore des surtensions. Une tarification appropriée peut éviter ou du moins limiter ces problèmes, permettre de s’affranchir de coûteux renforcements du réseau et contribuer au déploiemement du PV.
Afin d’assurer une transition énergétique avec une part importante de PV, il est primordial de choisir une tarification appropriée de l’électricité. Cet article a pour objectif d’illustrer les effets de divers modèles de tarification sur le dimensionnement et l’opération de systèmes énergétiques tels que ceux qui peuvent être installés dans des bâtiments raccordés à un réseau basse tension.
Cinq modèles de tarifs
Pour la réalisation de ce projet, divers modèles de tarification – volumétrique, lié à la capacité, mixte, fixe ou variable – ont été définis et étudiés:
- Un tarif de référence («reference») de 21,02 cts/kWh à la vente et de 8,16 cts/kWh pour la reprise des excédents de production PV.
- Un tarif solaire («solar») double de 23,17 cts/kWh à la vente et de 11,12 cts/kWh à la reprise, mais réduit tous les jours entre 11 h et 15 h à 14,68 cts/kWh, resp. à 7,07 cts/kWh afin de promouvoir la consommation pendant les heures de production PV.
- Un tarif «spot market» reproduisant la variabilité du marché Epex Spot, soit le prix Epex de 2018 multiplié par 3,9468 à l’achat et par 1,604 à la reprise.
- Un tarif «capacity» de 15,91 cts/kWh à la vente et 12,09 cts/kWh à la reprise, auquel s’ajoute une composante de pénalisation équivalant au pic de puissance maximal échangé avec le réseau au cours du mois multiplié par 5,02 CHF/kW.
- Un tarif bloc («block rate») où – un peu comme le fait le taux d’imposition en fonction de nos revenus – le prix d’achat marginal par kWh augmente en fonction de la puissance à l’achat et diminue pour la reprise (variant pour une puissance ≤ 1 kW de 13,72 cts/kWh à l’achat, respectivement 13,07 cts/kWh à la reprise, à 25,83 cts/kWh, respectivement 0,96 cts/kWh, pour une puissance de 10 kW). Ce tarif incite à limiter la puissance des échanges avec le réseau.
Tous ces tarifs ont été calibrés de façon à assurer au GRD un revenu identique sur une année (défini par la vente et la reprise d’électricité) à celui obtenu avec le tarif de référence. Ces tarifs sont décrits plus en détail dans la référence [2].
Un réseau basse tension comme cas d’étude
Les effets de ces tarifs ont été étudiés sur un réseau basse tension de la région de Rolle comprenant 41 bâtiments (figure 1), en considérant la courbe de charge annuelle (simulée à partir de courbes de charge mesurées sur des bâtiments similaires) ainsi que la courbe de production PV en fonction de la surface de toit disponible (déterminée à partir de toitsolaire.ch [3]). Pour chaque bâtiment, une optimisation de la somme des coûts d’investissement et d’opération permet de définir, pour chaque modèle de tarif, la taille du système PV et de la batterie ainsi que le détail de son opération.
Les coûts d’investissement ont été considérés pour l’année de référence 2025 et l’exploitation a été optimisée sur une année complète, avec une résolution au quart d’heure. À partir du profil des échanges avec le réseau résultant de l’opération optimisée, la simulation du réseau permet de déterminer en tout temps la tension à chaque nœud, le courant dans chaque ligne ainsi que la puissance apparente au niveau du transformateur. Ces indicateurs permettent ainsi de mesurer l’impact des systèmes sur le réseau et de mettre en évidence les éventuels problèmes.
Les effets des modèles de tarification
La figure 2 présente les effets des différents tarifs («scenario») sur le dimensionnement des systèmes. Ils peuvent exercer une influence sur le taux de couverture PV du toit («PV host»), la part de la consommation journalière moyenne du bâtiment qui peut être couverte par la batterie («BAT auto»), l’utilisation du réseau («grid use, GU») pour l’achat («import») et la reprise («export») et le retour sur investissement actualisé («discounted payback period, DPP», en années). À noter encore que la composante «GU import» correspond au rapport de la puissance maximale résiduelle à l’achat (soit la charge du bâtiment à laquelle sont soustraites la production PV et la décharge de la batterie) et de la puissance maximale de la charge du bâtiment (avant installation de la batterie ou du système PV). La composante «GU export» correspond, quant à elle, au rapport de la puissance maximale résiduelle à la vente (soit la production PV à laquelle sont soustraites la charge du bâtiment et la charge de la batterie) et de la puissance maximale de la charge du bâtiment.
D’une part, la figure 2 montre que la plupart des tarifs poussent à une utilisation maximale de la surface du toit («PV host») pour le PV. La seule exception: le tarif bloc qui pénalise l’injection d’énergie dans le réseau à des puissances élevées, et donc les grosses installations PV. Les tarifs variables favorisent l’utilisation de batteries de plus grande capacité (autonomie «BAT auto» plus élevée) pour bénéficier des variations de prix. Les tarifs blocs ou avec une composante de capacité (puissance) permettent de réduire la puissance maximale des échanges avec le réseau. Finalement, les tarifs n’ont que peu d’effets sur la rentabilité, avec un retour sur investissement qui change peu (DPP d’environ 20 ans).
D’autre part, les tarifs ont un impact important sur l’opération des systèmes, comme on peut l’observer pour les puissances maximales échangées (figure 3). Le tarif «spot market», qui présente la plus grande variabilité temporelle, incite, à l’aide d’une plus grosse batterie, à échanger avec le réseau à plus haute puissance et augmente les contraintes sur l’opération du réseau. Les tarifs «block rate» ou «capacity» tendent, quant à eux, à minimaliser ces échanges et à maintenir ceux-ci en dessous de la puissance maximale de la charge (GU < 1).
Les tarifs promeuvent différents comportements des systèmes que l’on peut ainsi classifier entre les catégories «utilisateurs légers» qui vont maximaliser leur autoconsommation, «exportateurs» qui vont vendre leurs excédents PV, et «négociants en énergie» qui vont multiplier les échanges. Il est à noter que la figure 3 ne reflète que les maximums de puissance et non les échanges d’énergie. Toutefois, ces effets des différents modèles de tarification sont aussi observés sur les courbes de durée de charge présentées dans [2], qui valident cette classification des systèmes. On retrouve aussi les mêmes tendances si l’on s’intéresse aux surtensions induites dans le réseau.[2] Ici aussi, les tarifs «capacity» ou «block rate» réduisent l’apparition de surtensions.
La tarification devra être mûrement réfléchie
La tarification de l’électricité exerce un effet de levier important sur le dimensionnement des systèmes énergétiques des bâtiments, et en particulier sur la taille de l’installation PV et de la batterie. Elle a aussi une influence sur l’opération de ces systèmes.
Une variabilité temporelle des tarifs pousse un système intelligent à exploiter ces variations et ainsi à accroître les impacts négatifs d’une forte pénétration du PV dans les réseaux électriques. Une composante de tarif basée sur la puissance permet, quant à elle, de minimiser ces impacts. Des tarifs blocs pourraient également offrir d’intéressantes perspectives dans ce but. Ils doivent toutefois être définis avec soin pour éviter de pénaliser les installations PV de grande taille et provoquer ainsi la réalisation d’installations n’exploitant que partiellement le potentiel des toits considérés. Ceci devrait être évité, car un toit partiellement couvert a peu de chance de le devenir totalement avant le remplacement complet de l’installation, soit 25 à 40 ans plus tard.
Références
[1] «Le Conseil fédéral vise la neutralité climatique en Suisse d’ici à 2050», communiqué du Conseil fédéral, Berne, 28 août 2019.
[2] J. Holweger, L. Bloch, C. Ballif, N. Wyrsch, «Mitigating the impact of distributed PV in a low-voltage grid using electricity tariffs», Electric Power Systems Research, Vol. 189, Dec. 2020.
[3] www.toitsolaire.ch
Remerciements
Les auteurs remercient Innosuisse pour son soutien financier dans le cadre du projet SCCER Furies.
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