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Automatisation de véhicules téléopérés

Le projet AutoVeTe

15.05.2024

Une initiative novatrice, menée par les ingénieurs de la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg, a établi les bases du premier concept suisse de véhicule automatisé et sans chauffeur entièrement surveillé à distance, marquant ainsi une avancée significative dans le domaine de la mobilité automatisée en Suisse.

Depuis l’an 2000, le nombre de véhicules routiers à moteur (hors cyclomoteurs) immatriculés en Suisse a progressé de 41%, pour atteindre le chiffre de 6,4 millions en 2023. Les individus exigent en effet toujours plus de flexibilité en matière de mobilité, raison pour laquelle le véhicule personnel est encore utilisé pour la grande majorité des déplacements. Parallèlement, dans les villes et leurs agglomérations, les modes de transport se sont multipliés et s’orientent vers une approche multimodale.

Dans le contexte de densification des milieux urbains, accroître encore le nombre de véhicules n’est pas une solution viable. Or, pour réduire la dépen­dance aux véhicules privés, il convient d’améliorer les services de mobilité. L’offre de transports doit être réinventée et optimisée pour être adaptée à la population, à son évolution constante, ainsi qu’à ses nouveaux besoins, que ce soit en termes de mobilité de personnes ou de transport de biens et de mar­chan­dises.

Vers une mobilité automatisée

Les transports autonomes peuvent apporter une solution. Ils permettent en effet de proposer des services de mobilité adaptés pour, par exemple, couvrir les derniers kilomètres entre la gare et le domicile, desservir de nouvelles zones aujourd’hui non rentables, ou encore offrir des services de transport de personnes ou de marchandises à la demande 24 h/24. Au vu des besoins grandissants de la population en matière de mobilité et de la nécessité de réduire le taux de possession de véhicule par habitant, il paraît de plus en plus nécessaire de repenser la mobilité urbaine et de se diriger vers une mobilité automatisée.

C’est pour cette raison que le projet AutoVeTe (Automatisation de Véhicules Téléopérés) a été mis sur pied. Celui-ci met en avant, d’une part, l’inter­con­ne­xion indispensable entre la téléopération et l’automatisation et, d’autre part, l’importance du savoir-faire en automatisation, avec un accent sur la perception, la localisation et la planification de trajectoire.

Le projet AutoVeTe

En 2021, la Haute école d’ingénierie et d’architecture de Fribourg (HEIA-FR) a développé et mis en place un système de téléopération centralisée permettant de piloter à distance des véhicules automatisés et connectés respectant les exi­gen­ces nécessaires en termes de sûreté et de cyber­sécurité [1]. La télé­opération n’a en effet de sens que si le véhicule est automatisé: il ne peut y avoir de télé­opération sans automatisation pour une question de viabilité économique (ratio de un télé­opérateur pour un véhicule), tout comme il ne peut y avoir d’auto­matisation sans supervision du véhicule (en raison de facteurs légaux, techniques et sociaux).

C’est pour répondre à cette problématique que la HEIA-FR a débloqué un fonds de recherche permettant de développer les compétences des ingénieurs du centre de compétence Rosas (Robust and Safe Systems) et des instituts iCoSys (Institute of Complex Systems), iTEC (Institut des Technologies de l’Environnement Construit) et SeSi (Sustainable Engineering Systems Institute), et ce, afin de construire rapidement un savoir-faire en automatisation [2].

L’objectif principal du projet AutoVeTe consistait, d’une part, à développer des algorithmes d’automatisation et, d’autre part, à acquérir le matériel nécessaire pour équiper un véhicule autonome de façon à ce qu’il puisse circuler sur le site de Bluefactory, à Fribourg [3]. Pour ce faire, l’entreprise Loxo a mis à disposition l’un de ses véhicules (figure de titre), afin que le groupe de travail puisse y inté­grer les différents capteurs, y déployer les algorithmes développés dans le cadre du projet et, enfin, valider leur efficacité.

L’automatisation

Le plus grand défi de ce projet a été le développement des algorithmes suivant les trois blocs principaux Localisation, Perception et Planification de trajectoire. Ce développement logiciel a été étroitement lié à une partie hardware nécessitant l’intégration de capteurs indispensables au bon fonctionnement de ces différents blocs.

Pour la localisation du véhicule automatisé, la précision est essentielle. Celle-ci est obtenue grâce à une approche combinant le système de positionnement par satellites (global navigation satellite system, GNSS) différentiel et une unité de mesure inertielle (inertial measurement unit, IMU). Le récepteur GNSS sélectionné pour ce projet est équipé de deux antennes positionnées conformément au manuel. Le GNSS différentiel utilise le service Swipos de Swisstopo (Office fédéral de topographie) pour obtenir des corrections en temps réel, qui sont intégrées à l’ordinateur principal du véhicule. Puis, une fusion des données est réalisée avec un filtre de Kalman étendu intégré au récepteur GNSS pour combiner les positions GNSS et IMU.

La partie perception du projet a été caractérisée par l’utilisation de divers capteurs, comprenant cinq radars, trois lidars, 24 sonars et cinq caméras. Grâce à ceux-ci, les systèmes de freinage automatiques, tels que l’AEB (Automatic Emergency Braking) et l’AAB (Automatic Adaptive Brake), ont pu être intégrés avec succès, en exploitant les données des radars et sonars pour assurer une conduite sécurisée. La combinaison astucieuse des données provenant des lidars et des caméras, avec une calibration précise, a permis la détection fiable des objets. De plus, une carte de polygones définissant des zones à risque géolocalisées, telles que les passages piétons ou les endroits où la circulation est à double sens, a été élaborée pour renforcer la perception du véhicule dans son environnement.

Enfin, le bloc planification de trajectoire utilise ROS (Robot Operating System), un ensemble d’outils logiciels open source souvent employé dans le domaine de la robotique. ROS permet de faciliter la communication avec le véhicule et les algorithmes de génération de trajectoires. Celui-ci possède deux types de générations de trajectoires – une statique et une dynamique – reposant toutes deux sur des cartes HD créées manuellement à partir de photographies aériennes. La bibliothèque Lanelet2 est utilisée pour la planification de trajectoire, avec une division du travail en trois étapes pour l’évaluation de l’efficacité des cartes HD.

En résumé, le projet progresse de la localisation précise et de la perception de l’environnement à la planification complexe de trajectoire, en utilisant des cartes HD et des techniques avancées pour garantir une conduite autonome sûre et respectueuse des règles de la circulation.

La modélisation

Diverses autres activités ont été réalisées au cours de ce projet. La modélisation, par exemple, consiste à créer une représentation visuelle et structurée de l’architecture du système afin d’identifier les divers blocs d’automatisation et leurs interactions. Les blocs permettant la téléopération du véhicule sont également inclus, ce qui permet d’avoir une vision complète du véhicule automatisé et téléopéré. Différents types de modèles, tels que des diagrammes de paquet, diagrammes de classe et modèles fonctionnels, ont été réalisés.

Ces différents diagrammes servent de référence pour le développement, la validation et la compréhension du fonctionnement du véhicule ainsi que pour les interactions entre les différents blocs.

L’Operational Design Domain

Le terme Operational Design Domain (ODD) désigne la spécification de l’environnement dans lequel le véhicule autonome est autorisé à circuler. L’ODD comprend une carte délimitant la zone et les conditions de conduite, ainsi que les circonstances menant au passage en mode sécurisé ou à l’appel du véhicule à un téléopérateur. Deux ODD ont été définis dans le projet AutoVeTe, l’un à Ebikon, dans le canton de Lucerne, et l’autre sur le site de Bluefactory, à Fribourg.

Les ODD sont essentiels pour la création des exigences et la validation des algorithmes de perception, de localisation et de planification de trajectoire.

La sûreté fonctionnelle et la cybersécurité

Un autre aspect abordé lors de ce projet a été la définition des exigences liées à la sûreté fonctionnelle d’un véhicule automatisé. Le but de la rédaction de ce type d’exigences consiste à pouvoir les vérifier et les valider à travers des scénarios et des bancs de test, et ce, afin de s’assurer que le véhicule circule de manière sûre sur l’ODD et puisse réagir de manière appropriée en cas de défaillance.

En plus des aspects de sûreté fonctionnelle, des objectifs de cybersécurité ont été définis et une analyse a été effectuée sur la base de la norme ISO 21434 afin de protéger le véhicule contre des menaces potentielles de types «spoofing» (attaque par usurpation d’identité) ou «Denial of Service» (DoS, attaque par déni de service). Cette norme ISO sert de guide pour intégrer la cybersécurité dans le processus de développement des véhicules routiers et aborde les risques liés aux vulnérabilités des systèmes électroniques embarqués tels qu’utilisés dans les véhicules autonomes.

Au total, plus d’une centaine d’exigences ont été définies pour ce projet.

La méthodologie de test

L’intégration et la validation des systèmes de véhicules autonomes nécessitent une méthodologie de test approfondie englobant des évaluations sous forme de simulations dans un premier temps, ainsi qu’en conditions réelles dans un second temps. La simulation vise à reproduire les complexités du site où circule le véhicule, offrant ainsi un environnement de test contrôlé.

Le processus de simulation (figure 1) pour véhicule autonome comprend la modélisation minutieuse de l’ODD considéré à travers des logiciels de modélisation 3D tels que Blender, la définition des routes empruntables par le véhicule, ainsi que l’exécution de la simulation dans le logiciel Carla, une plateforme open source de simulation dédiée à la recherche sur la conduite autonome.

Les tests réussis en simulation ont ouvert la voie au déploiement en conditions réelles sur deux sites, l’un à Ebikon et l’autre à Bluefactory. À Ebikon, le véhicule Loxo Alpha a passé par des phases de téléopération et d’autonomie, atteignant plus de 95% d’autonomie sans intervention du téléopérateur.

Compétences appliquées à d’autres projets

Les retombées du projet AutoVeTe se manifestent à travers plusieurs initiatives de recherche et de développement (figure 2), qui ont commencé pendant ou suite au projet:

  • Le projet AutoSnow, financé par Innosuisse, s’attaque à l’automatisation et à la téléopération de robots pour le damage de pistes de ski et d’autres environnements enneigés.
  • Le projet AutoDepot, soutenu par l’OFT (Office fédéral des transports), explore la faisabilité d’un dépôt de bus autonome, avec un accent sur l’automatisation par le biais de l’infrastructure.
  • Le projet MB4_20_02E_01, financé par l’Ofrou (Office fédéral des routes), établit des exigences minimales pour l’opération à distance des véhicules automatisés en Suisse.
  • Quant au projet européen EU Ultimo, il vise à déployer des services de transports publics automatisés à grande échelle.


En établissant les bases d’un concept de véhicule autonome et téléopéré, le projet AutoVeTe a souligné l’importance de l’interconnexion entre la téléopération et l’automatisation pour repenser la mobilité urbaine. Grâce à une approche innovante combinant développement logiciel et intégration de capteurs avancés, il a réussi à surmonter des défis techniques majeurs, allant de la localisation précise à la planification complexe de trajectoires. Les retombées de ce projet ne se limitent pas à la réalisation d’un véhicule autonome, mais s’étendent à d’autres initiatives de recherche et développement, témoignant ainsi des avancées significatives réalisées et des opportunités futures dans le domaine de la mobilité automatisée en Suisse et au-delà.

Références

[1] Projet NPR Téléopération: vidéo.
[2] Partenaires du projet AutoVeTe.
[3] Vidéo illustrant les résultats du projet.

Note

Les auteurs remercient la HEIA-FR pour le financement, les partenaires du projet [2] – et en particulier Oliver Nahon, directeur des opérations de la Swiss Association for Autonomous Mobility (SAAM), et Philippe Jemmely, directeur de Bluefactory Fribourg SA – pour leur collaboration et leurs contributions, ainsi que Loxo pour la mise à disposition du véhicule.

 

Auteur
Gabriel Python

est adjoint scientifique et responsable du département Intelligent Systems du centre de compétence Rosas de la HEIA-FR.

  • HEIA-FR
    1700 Fribourg
Auteure
Gabrielle Thurnherr

est collaboratrice technique au sein du centre de compétences Rosas de la HEIA-FR.

  • HEIA-FR
    1700 Fribourg
Auteur
Eric Silva

est directeur adjoint du centre de compétences Rosas de la HEIA-FR.

  • HEIA-FR
    1700 Fribourg

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