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Atteindre 6 TWh de courant éolien d’ici 2030

Plan éolien 2030 de Suisse Eole

17.03.2023

Lorsqu’il s’agit d’intensifier le développement des énergies renouvelables, l’éolien fait office de grand oublié. Or, avec une production majoritairement hivernale, il est le complément idéal au photovoltaïque. Suisse Eole a donc mis au point un plan éolien en 3 volets qui permettrait d’atteindre dès 2030 une production éolienne annuelle de 6 TWh, dont 4 TWh en hiver.

Lorsqu’il s’agit de parler du développement prioritaire des énergies renouvelables, le solaire alpin fait les grands titres des journaux et des émissions de télévision. Et c’est bien ainsi. Mais comme le dit le professeur Christophe Ballif, directeur des laboratoires photovoltaïques du CSEM et de l’EPFL, dans son commentaire du 22.11.2022 dans le quotidien Le Temps: «Le grand oublié de l’éventail de solutions est souvent l’éolien. Contrairement au photovoltaïque de plaine, l’éolien produit beaucoup plus en hiver (65 à 70% de la production éolienne annuelle est générée au cours du semestre hivernal). Plusieurs études, dont une en cours dans notre laboratoire, montrent la complémentarité saisonnière idéale de l’éolien et du PV, gérable avec le pompage-turbinage et les batteries du futur parc de véhicules électriques.» Pourtant, alors que l’éolien constitue un élément essentiel de solution au manque de production hivernale, la lenteur des procédures et les oppositions à répétition freinent encore et toujours son développement.

Un potentiel annuel de près de 30 TWh

La Suisse pourrait produire 29,5 TWh d’électricité par an grâce à l’énergie éolienne, dont 19 TWh pendant le semestre d’hiver uniquement. C’est ce dont a fait part l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) fin août 2022 en se basant sur une nouvelle étude de Meteotest AG définissant le potentiel éolien du pays. Si seulement 30% de ce potentiel durablement disponible étaient exploités, ce qui représente quelque 1000 éoliennes, la Suisse pourrait produire 8,9 TWh d’électricité d’origine éolienne par an, dont 5,7 TWh en hiver, comme souligné dans le communiqué de presse de l’OFEN [1].

Lionel Perret, directeur de Suisse Eole, explique: «Le dernier calcul en date de la quantité d’électricité d’origine éolienne qui pourrait être produite en Suisse remontait à 2012. Depuis, les caractéristiques techniques des installations éoliennes et nos connaissances de cette ressource énergétique ont beaucoup évolué. Grâce à des pales plus longues, et à des mâts plus hauts, une éolienne produit aujourd’hui quatre fois plus, et moins cher, qu’il y a 10 ans! Ainsi, l’énergie éolienne est aussi compétitive sur l’ensemble du Plateau suisse.»

Un plan éolien à 3 volets

Mais à quelle vitesse est-il possible de développer l’éolien en Suisse? En guise de réponse à cette question, l’association Suisse Eole a publié en octobre 2022 son Plan d’action 2030 de l’énergie éolienne en Suisse (ou Plan éolien 2030, figure 1) [2].

«Atteindre une production annuelle de 6 TWh d’électricité éolienne d’ici à 2030 est parfaitement réaliste. C’est ce que démontre notre Plan d’action 2030 de l’éolien», ajoute Lionel Perret. «Le 1er volet de 2 TWh peut être atteint grâce à l’accélération des procédures, le 2e volet de 2 TWh grâce à des éoliennes uniques, et le 3e grâce aux nouveaux périmètres et aux surfaces qui n’étaient pas prises en compte jusqu’à présent. De plus, au moins les 2/3 de ces 6 TWh seront produits en hiver.»

Avec ces 4 TWh de courant hivernal, le Plan éolien 2030 répond au minimum requis et aux besoins urgents identifiés par la Commission fédérale de l’électricité (ElCom), l’autorité fédérale indépendante de régulation dans le domaine de l’électricité.

Accélérer les procédures déjà en cours

Le 1er volet du Plan éolien 2030 consiste à réaliser les projets qui sont déjà développés et qui souffrent de la lenteur de traitement des oppositions et des recours devant les tribunaux. Environ 300 éoliennes (ce qui correspond à une production d’environ 2 TWh/an) sont en voie de planification ou en attente d’une validation par un jugement. L’accélération et la simplification des procédures sont indispensables pour réaliser le potentiel éolien en Suisse.

En effet, dans notre pays, jusqu’à 20 ans et plus peuvent s’écouler entre la planification et la construction d’un parc éolien. L’Union européenne a en revanche émis de nouvelles directives qui limitent la procédure à deux ans pour les décisions d’autorités publiques liées à des projets dans le domaine des énergies renouvelables (figure 2).

Pour le 1er volet du Plan éolien, Suisse Eole s’inspire donc des directives européennes et allemandes: il faut renforcer la loi sur l’énergie en déclarant un intérêt prépondérant au développement de toutes les énergies renouvelables aussi longtemps que l’approvisionnement énergétique de la Suisse est menacé. Suisse Eole demande également que les lois cantonales soient modifiées en regroupant dans une procédure unique les procédures de plan d’affectation et les permis de construire et en la promulguant en tant que standard, comme c’est déjà le cas dans le canton de Neuchâtel et pour les nouveaux projets dans le canton de Vaud.

Depuis le printemps 2021, le Tribunal fédéral a donné le feu vert pour sept parcs éoliens, tandis que la Confédération construit la centrale à gaz de Birr tout en suspendant temporairement l’ordonnance sur la protection de l’air (OPair) ainsi que l’ordonnance sur la protection contre le bruit (OPB). Sur ces sept parcs éoliens, seul celui de Sainte-Croix est actuellement en construction. Les six autres, avec un total de 39 éoliennes pour une production annuelle d’environ 274 GWh, pourraient être construits rapidement, et ce, particulièrement si la Confédération accepte d’accélérer les processus de recours contre les permis de construire, alors que toutes les instances se sont déjà prononcées aujourd’hui. À cela s’ajoutent cinq parcs éoliens, avec 40 éoliennes et une production annuelle attendue de 219 GWh, qui se trouvent dans des procédures juridiques, dont trois devant le Tribunal fédéral. De plus, à l’été 2021, les communes de Corgémont et de Cortébert se sont prononcées à plus de 90% en faveur de trois éoliennes produisant annuellement 15 GWh. La production de tous ces projets éoliens couvrirait la consommation domestique de quelque 500'000 personnes!

Des éoliennes uniques initiées par des comités citoyens

Le 2e volet du Plan éolien 2030 consiste à générer 2 TWh par an en réalisant des projets d’éolienne unique initiés par les citoyennes et citoyens en misant sur une approche participative. D’un point de vue économique, la réalisation d’une seule éolienne est également intéressante pour les entreprises ou les communes qui souhaitent un approvisionnement en énergie sûre, locale et neutre en CO2. Une seule éolienne peut fournir suffisamment d’électricité pour couvrir la consommation privée de 10'000 personnes!

L’article 24 sur le changement d’affectation hors de la zone à bâtir de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT 24) permet de réaliser une éolienne par dérogation lors de la demande du permis de construire. Ce modèle incite à devenir «conso-acteur» ou «énergie-culteur» et permet de changer de paradigme du «tout importé» à un mode de production-consommation local. Ceci permet de garder le contrôle sur la production d’énergie électrique sur son territoire et de prendre son destin en main.

Pour le 2e volet du Plan éolien, Suisse Eole demande à mettre en place des directives claires pour permettre la réalisation d’éoliennes uniques citoyennes ou communales selon la procédure d’exception à la zone de l’art. 24 de la LAT: «Dans le cadre de la consommation propre, l’acte modificateur unique, dit ‹Mantelerlass› en allemand, doit offrir aux regroupements une option de quartier avec point de mesure virtuel ou timbre local pour le réseau moyenne tension. La population pourrait identifier sur sa facture l’importance réelle de son approvisionnement éolien et solaire local», explique Lionel Perret.

Les trois éoliennes des villages de Charrat, Martigny et Collonges dans le coude du Rhône, mais également celle de Haldenstein, tout près de Coire, ou encore les trois autres réparties sur le territoire de l’Entlebuch, labellisé «réserve de biosphère de l’Unesco», démontrent que l’éolienne unique fournit une production locale fiable, renouvelable et durable. Des installations uniques sont également judicieuses pour l’industrie, comme le montre l’entreprise SFS Group AG, située à Buchs, dans la vallée du Rhin. Cette dernière a entamé les mesures du vent. SFS a déjà installé des panneaux photovoltaïques sur tous ses toits et couvre ainsi environ 10% de ses besoins en électricité. Une éolienne d’une puissance de 4 à 5 MW augmenterait son autosuffisance, notamment en hiver. L’électricité serait injectée dans le réseau à moyenne tension et consommée directement dans l’entreprise à tout moment.

De nouveaux périmètres

Le 3e volet du Plan éolien 2030 consiste à générer 2 TWh par an sur des terrains accueillant de grandes infrastructures comme les abords ou les périmètres d’autoroutes, de gares ferroviaires de triage, de zones militaires, de carrières, de décharges ou de zones et friches industrielles. Impropres et inhospitalières, avec un paysage dégradé en raison de leur usage, elles sont souvent idéales, compte tenu de leur éloignement vis-à-vis des habitations.

Certaines zones figurant à l’Inventaire fédéral des paysages, sites et monuments naturels (IFP), des sites de l’Unesco et des zones en périphérie de ces sites sont également à prendre en considération pour la production de l’électricité éolienne – tout comme les parcs régionaux naturels et péri­urbains, et les forêts de production, surtout sur le Plateau suisse, les Alpes et les Préalpes.

Pour le 3e volet du Plan éolien, correspondant à 2 TWh issus de nouveaux projets d’envergure basés sur de nouveaux périmètres et des surfaces non prises en compte jusqu’à présent, Suisse Eole demande de réaliser un concept national de manière urgente, en utilisant le principe du silence positif dans les instances publiques afin de débloquer une partie des zones à forts potentiels éoliens aujourd’hui gelées sans réelle pesée des intérêts. Il faut, entre autres, des exceptions raisonnables aux périmètres et aux objectifs de l’IFP pour prendre en compte l’urgence climatique et limiter les restrictions paysagères aux zones de protection paysagère. L’éolien naturellement intégré avec les autres énergies renouvelables dans les parcs régionaux naturels sera la règle et non plus l’exception, que ce soit dans des régions péri­urbaines ou dans les Alpes et Préalpes: «Nous demandons la reconnaissance des paysages énergétiques renouvelables! Ce sont les paysages qui pourront nous assurer demain une résilience et une durabilité de nos activités humaines et économiques. Tout comme dans la forêt, où l’éolien ne doit plus être considéré comme un sujet tabou dans les planifications cantonales éoliennes», résume Lionel Perret, et il ajoute: «Il faut également rendre les superficies des grandes infrastructures conformes d’office afin de produire de l’énergie destinée à couvrir leurs besoins.»

En août 2022, le Conseil fédéral a modifié l’ordonnance sur les routes nationales (ORN), ce qui permet dorénavant à la Confédération de mettre à disposition, à titre gracieux, des surfaces le long des routes nationales destinées à la production d’énergies renouvelables, soit par le biais du photovoltaïque, de l’éolien et de la géothermie. Dans sa nouvelle étude de l’été 2022, l’OFEN établit un potentiel éolien de plus de 14 TWh/an dans des zones forestières et de 3 TWh/an dans des zones IFP. «La branche éolienne est prête à mettre en valeur ces potentiels», constate Lionel Perret.

Un effort abordable au regard des enjeux

Tout au long de l’année, chaque jour, le soleil brille et le vent souffle en Suisse: «En exploitant cette énergie inépuisable, nous renforçons notre sécurité d’approvisionnement, notre indépendance et nous protégeons notre climat», souligne Lionel Perret. «Grâce à la rétribution unique, à un prix de revient compris entre 7 et 10 ct./kWh, le nouvel éolien est parfaitement concurrentiel. Grâce à des procédures plus courtes, le prix de revient des éoliennes uniques n’est que de 6 à 8 ct./kWh.» D’ailleurs, depuis le dernier semestre 2021, en raison de l’augmentation des prix de l’électricité, les éoliennes n’ont reçu aucune subvention de la part de la Confédération. Bien au contraire, depuis l’automne 2021, elles participent toutes au fonds de financement des énergies renouvelables: «La branche éolienne subventionne donc les autres énergies renouvelables et l’efficacité énergétique», constate Lionel Perret.

On ne saurait mieux dire que le professeur Christophe Ballif dans son article du 22.11.2022: en effet, avec les exigences environnementales suisses et les études toujours nécessaires d’impact sur l’environnement, «ni l’éolien, ni le PV alpin d’ailleurs, ne présentent un risque pour la biodiversité, contrairement au réchauffement climatique. Le seul argument qu’on peut leur opposer est l’impact paysager. La Suisse a importé pour des centaines de milliards de francs d’énergie fossile et a externalisé la majorité de sa pollution et de ses émissions de CO2 (produits importés). La population, l’économie et la nature ont tout à gagner à soutenir une transition énergétique rapide, aux coûts contrôlés. Il s’agit donc d’apprendre à apprécier une énergie éolienne locale, même avec quelques modifications de notre paysage: c’est un effort abordable au regard des enjeux.»

Références

[1] Office fédéral de l’énergie, «D’après une étude récente, le potentiel de l’énergie éolienne en Suisse est bien plus important que prévu», communiqué de presse de l’OFEN, 30 août 2022.
[2] Suisse Eole, «Plan d’action 2030 de l’énergie éolienne en Suisse», 2022.

 

Auteure
Anita Niederhäusern

est chargée de la communication externe de Suisse Eole.

  • Suisse Eole
    1400 Yverdon-
    les-Bains

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