Application du retournement temporel
Localisation de décharges partielles dans les transformateurs
Le retournement temporel permet de situer efficacement des décharges partielles dans les transformateurs. Basé sur la mesure des ondes générées par les décharges, il n’utilise qu’un seul capteur et est capable de localiser plusieurs décharges, et ce, même en présence de bruit et d’éléments internes placés entre la décharge partielle et le capteur.
La localisation de décharges partielles (DP) est cruciale pour de nombreuses applications: surveillance de transformateurs électriques, de postes à isolation gazeuse, de moteurs électriques, de supercondensateurs, ou de tout autre dispositif ou système pouvant être affecté par ce type de décharge. La localisation de ces décharges partielles peut être réalisée efficacement en utilisant le retournement temporel, une méthode basée sur la mesure des ondes électromagnétiques ou acoustiques générées par les décharges électriques. La méthode de retournement temporel repose sur la propriété d’invariance du comportement d’un système lorsque le temps est inversé, une propriété qui s’applique à la grande majorité des lois de la nature, et en particulier aux ondes acoustiques et électromagnétiques. C’est cette propriété qui permet aux ondes de «remonter le temps» et de se focaliser à l’endroit précis où elles ont été émises.
En deux phases et six étapes
La mise en œuvre de la méthode de retournement temporel pour la localisation de décharges partielles implique six étapes (figure 1). Premièrement, l’installation d’un ou de plusieurs capteurs acoustiques, électromagnétiques (UHF) ou d’une combinaison des deux à l’intérieur de la cuve du transformateur, ou, en ce qui concerne les capteurs acoustiques, sur la paroi extérieure de la cuve. Deuxièmement, la mesure en continu et le traitement des signaux provenant d’une ou de plusieurs décharges partielles selon les besoins (filtrage, débruitage, amplification, etc.), y compris leur numérisation et leur transmission à un ordinateur industriel ou à une autre unité de traitement. Troisièmement, l’identification de l’apparition de signaux dus à des décharges partielles à l’aide d’un critère approprié tel que le franchissement d’une valeur seuil par les signaux acquis. Quatrièmement, le retournement temporel des signaux mesurés lors des étapes précédentes. Cinquièmement, la rétropropagation par simulation des signaux retournés dans le temps dans le modèle acoustique/électromagnétique de la cuve du transformateur. Et, sixièmement, la détermination de la position du maximum du champ électrique/acoustique dans la cuve du transformateur, qui correspond à l’emplacement des décharges partielles.
Si les trois premières étapes (phase de propagation) se déroulent dans l’environnement réel, les trois dernières (phase de rétropropagation) sont réalisées dans un environnement de simulation.
Localisation à l’intérieur d’un transformateur de puissance
La figure 2a montre un modèle de transformateur de puissance, simplifié intentionnellement afin d’illustrer le concept. Les emplacements de trois décharges partielles différentes (DP1, DP2 et DP3) et d’un capteur (S1) y sont indiqués. La figure 2b présente, quant à elle, la distribution normalisée dans le plan de coupe x-z du champ électrique maximal à l’intérieur du transformateur sur toute la durée de la simulation. Les emplacements réels des sources de décharge (DP1 et DP2) sont indiqués par des symboles «+». Dans ce cas de figure, un seul capteur (S1) est utilisé. Quant à la figure 2c, elle montre les mêmes résultats avec les décharges DP1 et DP3 activées. Les résultats présentés dans la figure 2 mettent bien en évidence que la méthode de retournement temporel électromagnétique peut localiser les décharges partielles à l’intérieur du transformateur, et ce, même lorsque les composants internes du réservoir bloquent le trajet direct entre les décharges et l’unique capteur utilisé.
Validation expérimentale
Une installation expérimentale a en outre été réalisée afin de tester les performances de la méthode du retournement temporel pour la localisation des décharges partielles dans le domaine acoustique (figure 3a).
L’installation est composée d’un réservoir en verre (120×60×35 cm3) doté de parois de 6 mm d’épaisseur. Celui-ci a été rempli d’eau jusqu’à une hauteur de 23 cm. Pour générer des signaux de décharges partielles à l’intérieur du réservoir, un émetteur acoustique piézoélectrique, dont la plage de fréquences s’étend de 100 kHz à 450 kHz, a été immergé dans l’eau (figures 3b et 3c). Un scanner bidimensionnel, contrôlé par deux moteurs linéaires et piloté par une carte Arduino, a été installé sur le dessus du réservoir pour ajuster la position de l’émetteur acoustique (figure 3a).
Un générateur de forme d’onde arbitraire (Arbitrary Waveform Generator, AWG) a ensuite été utilisé pour produire le signal de décharge partielle souhaité. Une impulsion gaussienne avec une fréquence centrale de 100 kHz et une largeur de bande de 50 kHz a ainsi été transmise par l’émetteur acoustique immergé. Les signaux reçus par les capteurs acoustiques installés sur la paroi du réservoir ont alors été enregistrés et retournés dans le temps. Grâce à la théorie de la réciprocité, le signal retourné dans le temps de l’un des deux capteurs a pu être réinjecté dans le milieu à l’aide de l’émetteur acoustique immergé. La réinjection a été effectuée avec l’émetteur placé à plusieurs points sur un plan sélectionné à une hauteur z =13 cm. Ensuite, l’amplitude maximale du signal reçu par le capteur unique utilisé dans l’étape précédente a été déterminée.
La figure 3d affiche la distribution normalisée de la pression maximale sur un plan horizontal du réservoir d’eau à z =13 cm. L’emplacement réel de la source est indiqué par un marqueur rouge «+». On peut observer que la méthode de retournement temporel acoustique a pu localiser avec précision les décharges partielles (avec une erreur de localisation nulle dans cet exemple).
Afin de pouvoir évaluer les performances de la méthode de retournement temporel acoustique lorsque la visibilité directe est obstruée, l’émetteur a été placé à l’intérieur d’une structure cylindrique multicouche en métal (similaire aux enroulements de transformateur) comme illustré dans les figures 3b et 3c. Celles-ci montrent respectivement une vue en perspective et une vue depuis le dessus de l’émetteur acoustique à l’intérieur du cylindre. La figure 3e présente, quant à elle, un balayage unidimensionnel le long de l’axe y. Dans cette expérience, l’emplacement réel de la décharge partielle se trouve à y =42 cm. Cette expérience démontre que même en présence d’un obstacle entre le capteur et la source, et avec une atténuation du signal due à celui-ci, la méthode de retournement temporel acoustique peut localiser la source de décharge partielle derrière l’objet.
Conclusion
Cette analyse montre que les méthodes de retournement temporel acoustique ou électromagnétique peuvent localiser les sources de décharge partielle avec une grande précision à l’intérieur d’un enroulement, ou entre deux enroulements. Contrairement aux techniques classiques (par exemple celles basées sur la différence des temps d’arrivée) qui nécessitent plusieurs capteurs, le retournement temporel peut fonctionner avec un seul capteur et ne nécessite pas de visibilité directe entre le capteur et la décharge. En outre, les performances de la méthode ne sont aucunement dégradées par la présence d’obstacles ou de réflexions multiples.
Littérature complémentaire
- F. Rachidi, M. Rubinstein, M. Paolone, «Electromagnetic Time Reversal: Application to EMC and Power Systems», John Wiley, 2017.
- H. Karami, M. Azadifar, A. Mostajabi, M. Rubinstein, H. Karami, G. B. Gharehpetian, F. Rachidi, «Partial Discharge Localization Using Time Reversal: Application to Power Transformers», Sensors, Vol. 20, no 5, 2020.
- H. Karami, F. Q. Aviolat, M. Azadifar, M. Rubinstein, F. Rachidi, «Partial discharge localization in power transformers using acoustic time reversal», Electr. Power Syst. Res., Vol. 206, p. 107801, mai 2022.
Remerciements
Les auteurs tiennent à remercier l’EPFL (programme Enable) et la HEIG-VD (Institut ICT, Département TIC) pour leur soutien.
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