Ingénieurs dans le domaine des aménagements hydroélectriques
Quel rôle dans le contexte actuel ?
La maîtrise du processus de production d’électricité à base de la force hydraulique demande des compétences très étendues allant de l’hydrologie à l’électricité en passant par de nombreuses spécialités. Le manque d’ingénieurs spécialisés dans le domaine des équipements d’aménagements hydroélectriques amène les entreprises à chercher des solutions et à mettre en place des formations pour intégrer ces compétences. Description de quelques pistes.
Voici peu, les ingénieurs spécialisés dans le domaine des équipements d’aménagements hydroélectriques faisaient figure d’oiseaux rares. Alors que les investissements dans le domaine se multipliaient, la problématique principale résidait dans la recherche de compétences fiables et expérimentées, capables de traiter les nombreux problèmes liés à la mise en place des équipements d’un aménagement hydroélectrique. Ce manque se faisait cruellement sentir aussi bien chez les propriétaires d’ouvrages que chez les fournisseurs ou encore les bureaux d’ingénieurs.
À noter que pour la réalisation d’un aménagement hydroélectrique, l’équipe d’ingénieurs électromécaniciens se compose généralement des spécialistes suivants :
- un ingénieur hydromécanicien spécialiste en équipements de barrage, conduites forcées, équipements auxiliaires mécaniques ;
- un ingénieur électromécanicien spécialiste en turbines, machines hydrauliques et mécanique des alternateurs ;
- un ingénieur électricien spécialiste en alternateurs, transformateurs, équipements de moyenne et haute tension ;
- un ingénieur électricien spécialiste des équipements de contrôle-commande, services auxiliaires, systèmes de supervision, protections, conduite à distance et télétransmission.
Les mêmes compétences sont nécessaires pour l’exploitation d’une centrale, mais de nombreuses entreprises possédant peu d’ouvrages ne disposent pas de ces qualifications en interne.
La baisse drastique et soudaine des prix du marché de l’électricité a conduit les propriétaires d’aménagements de production d’électricité à reporter les travaux de révision ou de réhabilitation d’équipements et à ajourner, voire abandonner la réalisation de nouveaux projets. Comme dans toute situation économique difficile, il paraît évident de limiter les investissements et de ne procéder qu’aux opérations de maintenance strictement nécessaires. L’application de ce principe implique d’avoir une connaissance approfondie des installations, de leur état de fonctionnement et du danger qu’elles pourraient représenter en cas de défaillances ou de ruptures.
Dans ce contexte, les points de vue du propriétaire des installations et de l’exploitant de celles-ci peuvent diverger fondamentalement : la tentation de trop serrer les budgets peut être grande chez les propriétaires. Avec le temps, ces restrictions budgétaires peuvent, dans le meilleur des cas, entraîner une augmentation des pannes et donc des indisponibilités d’équipements et, dans le pire des cas, un accroissement des défaillances majeures avec des ruptures, des accidents, voire des pertes humaines. A contrario, l’exploitant, pour des raisons de confort par exemple, peut avoir tendance à engager des travaux pas forcément justifiés en période de vaches maigres, c’est-à-dire à faire du surinvestissement.
Cette divergence de vue doit faire l’objet d’une conciliation et qui mieux qu’un expert électromécanicien peut faire office d’arbitre entre le propriétaire qui souhaite dépenser le moins possible pour l’exploitation et l’entretien de son aménagement et l’exploitant qui, lui, souhaite entretenir le mieux possible ces mêmes installations ?
Cet expert doit disposer d’une solide expérience dans les domaines des équipements d’aménagements hydroélectriques, comme :
- la conception, fabrication et mise en service d’équipements, avec une expérience de plusieurs années auprès d’un constructeur ;
- l’exploitation et la maintenance, avec une expérience de plusieurs années auprès d’un exploitant ;
- l’ingénierie de projet, avec une expérience de plusieurs années dans un bureau d’ingénieurs spécialisé.
Groupe E, qui dispose depuis de nombreuses années d’ingénieurs expérimentés en équipements hydro et électromécaniques, a identifié deux pistes pour aider les propriétaires d’aménagements hydroélectriques à exploiter et maintenir leurs installations au juste coût. Ces deux pistes sont explicitées dans les chapitres suivants.
Le support à l’exploitation
À une période où chaque franc investi compte et où la rentabilité des ouvrages est fortement remise en cause, il y a lieu d’exploiter les machines de la façon la plus efficiente possible. L’analyse du bureau d’ingénieurs de Groupe E se base sur le dicton populaire « Autant que nécessaire mais aussi peu que possible ». Alors que le principe semble évident, sa mise en application nécessite un important niveau d’expertise. Afin de trouver l’équilibre optimal entre le trop et le trop peu d’entretien, Groupe E propose un concept basé sur trois niveaux :
Niveau 1 – Suivi régulier par l’exploitant
Les prestations d’exploitation et de maintenance courante sont réalisées par le personnel d’exploitation du propriétaire ou d’une société mandataire qui s’occupe du suivi régulier (tâches journalières ou quasi journalières) des équipements et installations, des relevés d’exploitation, des analyses préliminaires en cas de panne et/ou d’événements particuliers.
Niveau 2 – Suivi ponctuel par des ingénieurs expérimentés
Une équipe de trois ou quatre ingénieurs expérimentés effectue une inspection régulière (par exemple une fois par an) avec les responsables de la maintenance et du suivi de niveau 1. Durant cette inspection, ils peuvent effectuer certains essais selon les disponibilités des équipements (vannes d’évacuation de crue, groupes de production, dégrilleurs, etc.). Le fonctionnement général des équipements fait l’objet d’une évaluation attentive. Les ingénieurs relèvent les informations d’exploitation importantes, telles que les températures, niveaux vibratoires, puissances, etc. Ils discutent, notifient et analysent avec l’exploitant les aspects de maintenance particulière et les dépannages effectués durant la période écoulée. Le rapport établi à la suite de cette inspection reprend :
- l’appréciation générale de l’état des équipements et de leur fonctionnement (bruit, vibrations, échauffements, qualité des huiles de lubrification, etc.) ;
- les travaux de maintenance courante effectués sur chaque équipement ou type d’équipement ;
- les pannes survenues avec les actions correctives entreprises ;
- les travaux de maintenance particulière effectués ;
- les travaux de maintenance particulière à prévoir, y compris le budget y relatif.
Ce rapport donne une vue d’ensemble de l’efficience avec laquelle le personnel exploite les installations et effectue les opérations de maintenance courante sur les équipements de l’aménagement. Il est le document de référence pour les responsables de l’exploitation, ainsi que pour le propriétaire et permet de valider le mode d’exploitation en place ou de l’adapter si nécessaire. En outre, il lui donne un budget pour les travaux de maintenance particulière à prévoir pour l’année à venir.
Niveau 3 – Expertise ponctuelle par des ingénieurs expérimentés
Une équipe d’ingénieurs expérimentés, dont le nombre dépend de l’étendue de l’expertise, effectue une expertise à des intervalles réguliers 1) ou sur demande du propriétaire suite à un événement particulier comme une fuite, l’augmentation d’un niveau vibratoire ou encore un problème de température sur les équipements. Celle-ci nécessite généralement l’arrêt d’un groupe de production ou la consignation d’une vanne avec pose de batardeaux dans le cas d’une vanne d’évacuation de crue. En principe, les ingénieurs utilisent des outils d’acquisition de données et/ou des appareils de mesure particuliers pour vérifier le fonctionnement ou l’état d’un équipement.
Par exemple, l’expertise d’un groupe de production englobe les opérations suivantes :
- analyse de l’historique des valeurs enregistrées telles que les températures, vibrations et pressions ;
- inspection visuelle des parties mouillées (roue, distributeur, bâche spirale, aspirateur) ;
- inspection visuelle de la vanne de groupe (étanchéité principale et étanchéité des tourillons) ;
- vérification des temps de manœuvre de la vanne et du dispositif de vannage à sec et en eau ;
- analyse du fonctionnement des organes de vannage à sec et en eau (mesure des travaux de réglage au moyen d’une chaîne d’acquisition de données) ;
- vérification de la capacité sans recharge des accumulateurs ;
- vérification de la qualité des huiles de lubrification et de commande ;
- vérification du fonctionnement des auxiliaires de groupe ;
- vérification des caractéristiques pertinentes du générateur (inspection visuelle et endoscopique, mesure de la résistance d’isolation et éventuellement des décharges partielles) ;
- vérifications en fonctionnement, comme les arrêts rapides et d’urgence, le démarrage et la variation instantanée de charge ;
- vérification du niveau vibratoire du groupe ;
- vérification de l’automatisme ;
- autre selon les spécificités du groupe.
Cette expertise donne lieu à un rapport sur l’état des installations, l’aptitude au service et le nombre approximatif d’années restantes avant de prévoir une révision générale ou une réhabilitation ainsi que les travaux prioritaires à prévoir avec un degré d’urgence (Figure 1).
Formation
La maîtrise du processus de production d’électricité à base de la force hydraulique demande des compétences très étendues allant de l’hydrologie à l’électricité en passant par de nombreuses spécialités. Il n’existe pas de formation académique classique résumant de manière pragmatique les différentes problématiques de ce type de production. Un employé débutant dans le domaine devra attendre de très nombreuses années avant d’acquérir une vue d’ensemble des problèmes.
Le bureau d’ingénieurs de Groupe E a mis en place un programme de formation en quatre modules permettant de répondre aussi bien aux attentes des nouveaux arrivants dans la branche qu’à celles du personnel confirmé.
Module 1 – Description générale
L’intention du module 1, qui se déroule généralement sur cinq jours, est d’initier les participants aux différents équipements et structures d’un aménagement hydroélectrique, leurs fonctions, le langage technique et quelques critères simples de dimensionnement. Il s’adresse à toutes les personnes actives dans une société d’exploitation d’aménagements hydroélectriques (Figure 2).
Module 2 – Technique des équipements
Le module 2 se compose de trois sous-modules. En quatre jours, les participants découvrent les descriptions, les fonctions et les spécificités des différents équipements des aménagements hydroélectriques, ainsi que leurs règles de construction, de fabrication, d’essais et d’entretien. Chacun des modules se concentre sur un autre type d’équipement et un public cible différent :
- Le sous-module 2-M présente les différents équipements mécaniques des groupes de production. Il s’adresse principalement aux mécaniciens et aux ingénieurs d’exploitation en mécanique.
- Le sous-module 2-E s’adresse en premier lieu aux électriciens et aux ingénieurs d’exploitation en électricité et leur permet de connaître les différents équipements électriques des groupes de production.
- Le sous-module 2-H se concentre sur les équipements hydromécaniques des aménagements de production hydroélectriques. Il s’adresse aux mécaniciens et aux ingénieurs d’exploitation en mécanique.
Module 3 – Maintenance des équipements de production
Le module 3 représente également quatre jours de formation. Au terme de ce module, les participants (mécaniciens, électriciens et ingénieurs d’exploitation et de maintenance) connaissent les types, les règles, les périodicités des principaux travaux de maintenance, les principes de base et l’aide au dépannage.
Module 4 – Sujets spécifiques
La formation est complétée par un module complémentaire, le module 4, qui traite de sujets spécifiques comme les assemblages vissés, les matériaux et techniques de soudage, la protection anticorrosion, les mises à terre ou encore les transformateurs de mesure. Traité en parallèle des modules 2 et 3, il s’adresse à toutes les personnes qui pourraient être concernées par les sujets mentionnés.
Bénéfices tirés
La mise en place de ces deux mesures (support à l’exploitation et formation) permet de rapidement augmenter l’efficience de l’exploitation des installations pour des coûts qui restent marginaux par rapport aux bénéfices retirés.
L’exemple simple d’une centrale hydroélectrique équipée de cinq groupes de production et produisant 200 GWh par année illustre bien ce ratio coût-bénéfices (Tableau). Les prestations englobent le coût de la maintenance de niveau 2, la formation de deux opérateurs par année pour un module (de façon à répartir l’ensemble des formations sur plusieurs années) et de la maintenance de niveau 3 d’un groupe de production tous les deux ans.
Du côté du propriétaire de l’ouvrage, l’investissement nécessaire à l’augmentation de l’efficience d’une centrale hydroélectrique s’avère très rapidement rentable dans la plupart des cas. En même temps, l’exploitant peut profiter de cet œil externe pour progresser dans son métier et également se rassurer quant au bien-fondé de ses actions. Parallèlement, la formation lui permettra d’approfondir ses connaissances de tous les aspects de son métier et de les partager avec des spécialistes d’autres compagnies.
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