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Gestion des actifs hydroélectriques

ISO  55 000 au profit de la maintenance par la performance

04.01.2017

Dans le contexte actuel où la force hydraulique doit faire face à une baisse importante de sa compétitivité, il est essentiel de renforcer ses moyens de gestion afin d’assurer que les actifs de production restent une source sûre de création de valeur pour leurs actionnaires. La mise en place du modèle de gestion d’actifs selon la norme ISO 55 000 accompagné du modèle de la maintenance par la performance permet d’optimiser le cycle de vie des aménagements hydroélectriques tout en garantissant la sécurité des personnes et des biens.

Le marché de l’électricité est caractérisé aujourd’hui par un niveau de prix bas, qui le restera probablement d’ici à la fin de la décennie. Un tel niveau de prix et les conditions-cadres actuelles mettent sous pression la rentabilité des aménagements hydroélectriques. D’ici à 2020, les leviers de création de valeur ne viendront ni du marché, ni du monde politique, mais plutôt des gestionnaires d’actifs représentant des propriétaires des aménagements hydroélectriques. Leurs principaux leviers consistent essentiellement à modifier les plans d’investissements et les dépenses d’exploitation pour garantir une performance donnée par les propriétaires; par exemple en sécurisant l’atteinte d’un objectif de disponibilité ou en prolongeant la durée de vie de certains actifs ou encore en réalisant des investissements sur des actifs critiques dont la défaillance détruirait significativement la valeur produite.

Dans ce contexte, Alpiq, aidée par les sociétés Oxand, spécialisée dans la création de valeur au moyen d’actifs, et Hydro Exploitation SA, en charge de l’exploitation et de la maintenance d’une partie des aménagements hydroélectriques gérés par Alpiq, s’est dotée de deux nouveaux outils :

  • Un système de gestion d’actifs certifié selon la norme « ISO 55 001 Gestion d’actifs » et enrichi des meilleures pratiques internationales encadrées par cette norme (notamment : clarification des rôles et responsabilités, amélioration des processus, suivi des indicateurs de performances, amélioration continue, établissement d’une fonction de valeur de la société).
  • Une méthode avancée de gestion de la maintenance par la performance (appelée également maintenance par les risques). Elle permet d’optimiser les dépenses à engager pour gérer le cycle de vie des aménagements afin de créer un maximum de valeur sans prétériter le retour des concessions.


La démarche d’Alpiq vise à optimiser la performance économique et technique de ses actifs sous gestion, tout en garantissant la sécurité des biens et des personnes et en respectant les contraintes de tolérances aux risques et les limites décisionnelles qui sont fixées par les conseils d’administration des sociétés sous mandat de gestion.

Cet article a pour but de présenter cette démarche visant à intégrer les bonnes pratiques de la norme ISO 55 000 dans le système de gestion de l’entreprise, ainsi que la méthodologie d’analyse de la maintenance par la performance.

Pourquoi une démarche ISO 55 000 ?

Confronté à des programmes de réduction des coûts toujours plus importants, un gestionnaire d’actifs doit aujourd’hui être en mesure de « prendre plus de risques » en accord avec les conseils d’administration des sociétés sous gestion. De concert avec son exploitant, il doit renforcer ses outils de prédiction pour mieux maîtriser les incertitudes liées au vieillissement de ses actifs. Il doit également pouvoir proposer des scénarii alternatifs de dépenses dont le niveau de risques résiduels doit être quantifié afin de permettre aux propriétaires des actifs et à ses partenaires (autres actionnaires, gestionnaires énergétiques, etc.) de faire des choix à bon escient et d’en accepter les conséquences.

Les buts recherchés par Alpiq dans le cadre de sa certification ISO 55 001 sont de :

  • Parler le même langage et notamment avoir en tête la fonction de la valeur de l’aménagement définie et partagée
  • Définir le cadre pour mettre en place l’analyse de la maintenance par la performance (maintenance par les risques)
  • Être sûr que les gestionnaires d’actifs accèdent aux meilleures pratiques de la branche pour optimiser la combinaison « performance/risque/coût »
  • Renforcer un cadre commun de gestion d’actifs afin de favoriser le partage d’expériences et de bonnes pratiques
    Gérer des objectifs a priori contradictoires : minimiser le coût total du cycle de vie des actifs et minimiser le coût marginal à court terme (prix de revient sans amortissement).


En 2014, forte de son organisation basée selon les principes de la recommandation anglaise PAS 55 [4], la Business Unit Production Hydraulique du Groupe Alpiq a décidé de certifier sa gestion d’actifs selon la norme ISO  55 001 [2]. Les sociétés Oxand et Hydro Exploitation SA ont activement participé à la mise en place des nouveaux outils de gestion. Bureau Veritas, organisme reconnu internationalement, a procédé le 30 mars 2015 à la certification ISO 55 001. Cette certification atteste des compétences, de l’expertise et du savoir-faire de la société dans le domaine de la force hydraulique. Alpiq est la première entreprise électrique en Europe et la première entreprise en Suisse à obtenir la certification ISO 55 001.

Le périmètre de certification d’Alpiq couvre son activité de gestionnaire d’actifs pour les sociétés : Grande Dixence SA, Cleuson-Dixence, Électricité d’Émosson SA, Electra-Massa SA, Énergie Électrique du Simplon SA, Salanfe SA, les Forces Motrices de Gougra SA, de Hongrin-Léman SA et de Martigny-Bourg SA, ainsi que les aménagements d’Alpiq Suisse SA.

Avec l’aide d’Oxand et des CFF, Alpiq met en place la gestion d’actifs selon ISO 55 001 pour l’aménagement de pompage/turbinage de Nant de Drance, pour le compte des partenaires de la société Nant de Drance SA (Alpiq, CFF, IWB et FMV).

Norme ISO 55 000

La norme ISO 55 000 a été introduite en 2014 [1], [2], [3] avec pour objectif de fournir un cadre international rassemblant les meilleures pratiques du domaine de la gestion d’actifs industriels. Les principes fondateurs de la norme ISo 55 000, fortement inspirés de ceux de la recommandation anglaise PAS 55 [4], sont les suivants :

  • Les actifs sont une ressource pour créer de la valeur pour l’organisation.
  • Chaque acteur de l’organisation contribue à la création de valeur grâce à un alignement des décisions (line of sight).
  • Les gestionnaires d’actifs assurent un leadership fort pour que les pratiques de gestion d’actifs soient appliquées par tous.
  • L’organisation dispose d’une assurance raisonnable de créer la valeur qu’elle prétend pouvoir créer au moment de la prise de décision.


Un survol des exigences ISO 55 001 est présenté à la figure 1.

Système de gestion d’actifs Alpiq

Le Système de gestion d’actifs mis en place au sein d’Alpiq pour gérer les différents actifs sous mandat est décrit à la figure 2. Il est constitué de trois processus métier : le Business Management (BM), l’Asset Management des actifs existants (AM1) et l’Asset Management des projets (AM2).

Les trois processus supports de gestion ont pour objectifs de soutenir le gestionnaire d’actifs et les prestataires de services dans les différents niveaux de gestion ; ils disposent ainsi d’une démarche qualité orientée vers l’amélioration continue et la maîtrise des risques, éléments clés d’aide à la décision (S1). Ils permettent aussi de disposer de l’ensemble des ressources humaines en adéquation avec les tâches de gestion d’actifs à réaliser (S2) et de gérer efficacement les prestataires externes (S3).

Le Système de gestion d’actifs couvre trois niveaux de gestion :

  • La gestion stratégique a pour objectifs de diriger la société de partenaires et de définir la stratégie de gestion d’actifs, et plus précisément les cibles de valeur à atteindre (performance financière et technique) et de tolérances au risque. Le conseil d’administration de la société est le responsable de cette gestion sur recommandation du gestionnaire d’actifs.
  • La gestion tactique a pour objectifs de gérer la société, d’optimiser la gestion des actifs, d’établir le plan de gestion d’actifs, c’est-à-dire de définir les moyens à mettre en œuvre pour atteindre les cibles de performance et de valeur souhaitées, ainsi que pour maîtriser la criticité des risques. Le gestionnaire d’actifs est le responsable de cette gestion sur propositions de l’exploitant (collaborateurs d’Alpiq dans Électricité d’Émosson SA et Alpiq Hydro Aare AG ou par les collaborateurs de la Société Hydro Exploitation SA pour les sociétés telles que Cleuson-Dixence, Grande Dixence SA, Electra-Massa SA, Énergie Électrique du Simplon SA, Salanfe SA, ainsi que les Forces Motrices de Gougra SA, de Hongrin-Léman SA et de Martigny-Bourg SA). Il gère les plans de maintenance et il prépare les prévisions des travaux d’entretien et de maintenance sur 10 ans, ainsi qu’un plan stratégique de maintenance et des projets comprenant les gros investissements jusqu’à la fin des concessions.
  • La gestion opérationnelle (maintenance courante, modifications, nouvelles constructions) a pour objectifs d’exploiter et de maintenir les actifs sur la base du plan de gestion des actifs de la société de partenaires, des cibles de performance et de valeurs (performance financière et opérationnelle) et de tolérances aux risques.


Le système de gestion d’actifs d’Alpiq a fait l’objet d’une documentation structurée selon les principes de la figure 3.

Plan de Gestion d’actifs

Établi pour chaque société de partenaires, le plan de Gestion d’actifs, défini dans le cadre de la certification ISO 55 001, fournit l’ensemble des éléments de cadrage dont les acteurs opérationnels ont besoin pour construire un plan d’actions créateur de valeur pour les actionnaires. Ce plan de Gestion d’actifs a pour principaux objectifs de :

  • présenter la société, son aménagement hydroélectrique, la liste des actifs concernés par le système de gestion d’actifs et la liste des projets en cours sur l’aménagement
  • déterminer la valeur et la performance actuelle de la société
  • définir les rôles et responsabilités des différents acteurs (le propriétaire, le gestionnaire d’actifs, l’exploitant et le gestionnaire énergétique)
  • présenter les cibles de valeur (économique à court et à long terme) et de performance (disponibilités, captages des eaux) attendues dans le cadre du budget proposé en tenant compte des principaux risques et des opportunités liés à l’exploitation de l’aménagement.


Objectifs de performance pour les budgets futurs

Le projet d’analyse de la maintenance par la performance a permis de développer une méthodologie d’arbitrage entre rentabilité économique, disponibilité et risques. Cet outil permet une optimisation sous contraintes. Alpiq peut ainsi maximiser la valeur produite par les actifs pour le compte de la société en faisant varier les dépenses de maintenance et d’investissement, tout en connaissant l’impact de ces variations sur la disponibilité et les risques de l’aménagement, le tout en garantissant la sécurité des biens et des personnes. La méthodologie s’articule autour des éléments suivants :

  • une fonction « de valeur » : maximiser la rentabilité de l’ouvrage (par exemple la valeur actuelle nette (VAN) de l’ouvrage)
  • des contraintes : les risques inacceptables sécuritaires et économiques, les prix du marché, le droit acquis des fins de concessions hydrauliques
  • des variables : les dépenses de maintenance et l’indisponibilité planifiée associée, les coûts directs et indirects en cas de réalisation fortuite d’un risque.


Afin d’être en mesure d’appliquer ce modèle, le gestionnaire d’actifs doit avoir défini les éléments principaux suivants : budget de l’année n, plan stratégique de maintenance et d’investissement si possible jusqu’à la fin des concessions, analyse de risques et des indicateurs de performance techniques et financiers. Par ailleurs, le conseil d’administration est chargé de fixer les objectifs à court et à long terme de rentabilité et de disponibilité.

Le gestionnaire d’actifs et son exploitant quantifient l’état de chaque composant de son aménagement en lui attribuant une note selon plusieurs critères (méthode normée selon l’analyse d’état). Cette évaluation sert à quantifier une probabilité de défaillance qui permet d’ajuster d’une courbe de vieillissement propre à chaque composant. Elle intègre ensuite l’effet sur la fonction de valeur des opérations d’inspection, de maintenance ou de réhabilitation. Cette méthodologie permet d’optimiser la politique de maintenance en fonction de la performance attendue et de la criticité des risques de défaillances associés à chaque composant. Plusieurs scénarii de maintenance sont alors simulés et comparés, le scénario optimal découlant d’une optimisation technico-économique.

Cette méthode objective et normée fournit une base solide aux gestionnaires d’actifs pour l’aide à la décision sur différents scénarii de maintenance ou de renouvellement des équipements. Elle est cadrée par la mise en place d’indicateurs de performance.

À partir de ces outils et avec les objectifs de disponibilité et de rentabilité à court et long terme définis par le conseil d’administration, le gestionnaire d’actifs détient les éléments utiles pour établir un plan de gestion sur les dix prochaines années, respectivement jusqu’à la fin des concessions.

Le caractère innovant de la méthodologie développée repose sur deux aspects importants :

  • la fourniture d’indicateurs prédictifs permettant de savoir quels peuvent être les bons et les mauvais événements qui auront dans le futur une influence sur la valeur produite par un aménagement
  • la capacité à quantifier les risques des différents scénarii produits. Le dialogue entre un gestionnaire d’actifs et son conseil d’administration s’en trouve fortement enrichi. En effet, il devient possible de savoir où se situent les cibles de performance financière et technique, admises au budget, par rapport au degré de tolérance aux risques de la société. Un gestionnaire d’actifs est en mesure d’informer son conseil d’administration sur les « chances » d’atteindre une cible de disponibilité en fonction des ressources financières qui lui sont allouées pour réaliser ou non des interventions sur les actifs.


Conclusions

Le système de gestion d’actifs d’Alpiq, certifié ISO 55 001, est la première pierre indispensable pour gérer des aménagements hydroélectriques dans cette situation où la rentabilité est fortement mise sous pression par les conditions actuelles de marché. Ce système permet de disposer de processus optimisés et appliqués par des acteurs dont les rôles et les responsabilités sont clairs.

La méthodologie de planification de la maintenance par la performance vient ajouter un outil technologique valorisant l’expertise technique et les données sur le vieillissement des installations pour produire des indicateurs prédictifs sur la performance et les risques des actifs. Les gestionnaires d’actifs d’Alpiq, respectivement les propriétaires des aménagements hydroélectriques sous mandat de gestion, disposent ainsi d’une meilleure connaissance sur les bons et les mauvais événements qui pourront dans le futur influer sur la valeur produite par leurs aménagements.

La mise en œuvre progressive de ces outils modernes de gestion d’actifs sur l’ensemble des aménagements hydroélectriques sous gestion d’Alpiq a déjà permis de réaliser des réductions ciblées des dépenses dans les cinq prochaines années tout en augmentant la valeur produite par les aménagements à fin de concession. Le ratio entre les économies réalisées et les coûts engagés pour se doter de ces outils avancés est de plus de dix pour un. Pour certains aménagements, Alpiq a pu proposer de nouveaux scénarii de maintenance et d’entretien qui respectent les contraintes à court terme et permettent une augmentation de la valeur actuelle nette à fin de concession de plus de 15%.

Références

[1] ISO 55 000:2014, Gestion d’actifs – Aperçu général, principes et terminologie
[2] ISO 55 001:2014, Gestion d’actifs – Systèmes de management – Exigences
[3] ISO 55 002:2014, Gestion d’actifs – Systèmes de management – Lignes directrices relatives à l’application de l’ISO 55 001
[4] PAS 55, Asset Management – Part 1: Specification for the optimized management of physical assets

Auteur
Nicolas Rouge

est asset manager à Alpiq Suisse SA.

  • Alpiq Suisse SA, 1001 Lausanne
Auteur
Dr Olivier Bernard

est asset manager à Altis Groupe SA.

  • Altis Groupe SA, 1934 Le Châble

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