Crowd Energy
Le concept de coopération énergétique du futur pour les habitats intelligents
Le concept Crowd Energy vise à améliorer l’efficacité énergétique grâce à une utilisation optimale des technologies de l’information et de la communication (TIC) et à la mise en commun des ressources en se basant sur un principe de production-consommation locale et une approche centrée sur l’humain.
La charte d’un environnement et d’habitats intelligents est influencée par la vision d’un bien-être durable, basé sur l’utilisation omniprésente de senseurs et des technologies de l’information et de la communication. L’énergie est le point central et le succès, comme par exemple celui des Smart Cities, est mesuré à travers la réponse aux questions énergétiques. Le facteur décisif est l’utilisation optimale des technologies afin de produire, de stocker et d’utiliser de l’énergie locale. Les clients finaux deviennent des prosommateurs (des consommateurs producteurs). Cela change radicalement le marché de l’énergie, avec la nécessité de créer de nouveaux concepts, comme le concept Crowd Energy (CE) en tant qu’approche ascendante : grâce à un effort collectif, il est possible d’obtenir une plus grande efficacité énergétique.
Compréhension socio-technique de l’énergie
L’énergie est la base de vie de la société actuelle, un approvisionnement en énergie fiable est une condition préalable au bien-être durable ; mais l’énergie est également un produit de consommation (Commodity). Le développement technologique favorise un changement de rôle du consommateur actuel à celui du prosommateur et conduit à un changement de paradigme dans l’approvisionnement en énergie, d’un « TO YOU » à un « WITH YOU » [1], en garantissant un bien-être et un confort durables. Une interdépendance entre la société et l’approvisionnement en énergie existe ; ensemble ils créent des conditions-cadres, offrent des possibilités de déploiement et décrivent des restrictions. Par conséquent, le développement de l’approvisionnement en énergie est lié au développement de la société et vice versa. La planification de l’énergie, c’est-à-dire la production, le stockage et l’utilisation, est un point central dans la conception de l’énergie pour les habitats intelligents.
Une nouvelle approche de concept, Crowd Energy (CE), décrit un Smart Grid au niveau de la basse tension [1] et la disponibilité de l’électricité, indépendamment de la forme d’énergie dont l’électricité est obtenue. La principale différence par rapport à d’autres concepts réside dans l’approche ascendante qui prévoit une coopération des prosommateurs et la mise en commun de leurs ressources avec l’aide des technologies de l’information et de la communication (TIC). Les prosommateurs sont l’élément central d’une Crowd et, par leur autonomie, ils permettent de produire, de stocker et de partager de l’électricité avec d’autres membres de la Crowd et d’augmenter l’efficacité en se basant sur un principe de production-consommation locale. Ce faisant, des thématiques telles que la coopération, le partage des ressources et la contribution pour la société sont abordées et vont bien au-delà des considérations purement techniques et économiques. Des concepts similaires peuvent également être trouvés dans d’autres domaines, comme par exemple le covoiturage, le partage de livres ou, l’une des plus anciennes approches, la coopérative d’utilisation de matériel agricole. Le concept CE ne doit pas être envisagé isolé de l’ensemble du réseau d’électricité. Il comprend entre autres des facteurs infrastructurels de base comme les structures Micro-Grid, des nouveaux standards de constructions, des solutions techniques pour l’intégration des consommateurs dans le réseau à travers des solutions Smart Home ou des traitements avancés de données pour faire face à l’effort accru de coordination.
Actuellement, les aspects techniques et économiques sont au centre des préoccupations dans les discussions sur l’énergie. Le concept CE permet une compréhension plus complète de l’énergie et intègre, en plus du produit économique propre, d’autres aspects comme les ressources écologiques, les moyens stratégiques et les besoins sociaux [2], tout comme un prolongement de la construction interpersonnelle (figure 1). Le changement de paradigme nécessite et exige une compréhension claire de ce que comprend une société par énergie. Pour les futurs décideurs dans le secteur de l’énergie, les cinq points de vue différents sur l’énergie décrivent la compréhension sociotechnique dans le contexte social :
- L’énergie comme marchandise intègre l’énergie dans une compréhension économique et commerciale.
- L’énergie comme ressource écologique met l’accent sur l’influence de la production d’énergie et de la consommation des personnes, de l’environnement et des générations futures.
- L’énergie comme outil stratégique met l’accent sur le rôle extraordinaire de l’énergie pour obtenir la sécurité nationale, la vitalité économique, la cohésion sociale et la force militaire.
- L’énergie comme nécessité sociale met l’accent sur la nécessité d’un accès équitable à l’électricité, ainsi que sur la protection équitable contre les conséquences de la production et de la consommation d’énergie.
- L’énergie comme construction interpersonnelle, en tant que conséquence de l’évolution technologique, met l’accent sur la conception élargie de l’énergie jusqu’à des entités sociales et collectives plus fortes.
Le concept Crowd Energy
Crowd Energy se base sur des systèmes de consommation, de production et de stockage autonomes et intelligents (figure 2). Une cellule iGSL (intelligent Generation, Storage, Load) est la plus petite entité et peut, par exemple, représenter une habitation. Crowd Energy signifie que ces cellules individuelles coopèrent les unes avec les autres, en échangeant informations et électricité. Le principe production-consommation local généré définit la distribution entre les cellules avec un surplus ou un déficit.
Les prosommateurs et les simples consommateurs forment le noyau d’une Crowd qui se composent d’au moins deux cellules. La taille des Crowds est variable et dépend avant tout des facteurs des profils de production et de consommation. Une Crowd a essentiellement deux caractéristiques : force et potentiel. La force décrit la collaboration et la coopération entre les membres, tandis que le potentiel désigne la possibilité technique de produire suffisamment d’électricité pour l’échange.
La structure cellulaire suit une approche ascendante et une attitude coopérative. La volonté de partager l’électricité nécessite la participation de toutes les parties prenantes, cependant des motivations intrinsèques et extrinsèques sont nécessaires. Par conséquent, Crowd Energy définit un effort collectif d’individus et d’organisations à but lucratif et non lucratif qui combinent leurs ressources à l’aide d’outils TIC afin de faire avancer la transition énergétique [1]. Le concept CE poursuit une approche centrée sur l’humain visant à relever des défis liés à l’énergie du futur.
La gestion d’un réseau CE se base sur un processus intégré, des valeurs et des objectifs communs, ainsi que sur une responsabilité partagée à l’égard des risques, mais également sur la répartition des avantages [3]. La réciprocité impose de nouvelles exigences relatives à la gestion du réseau et élargit les tâches existantes. Un cadre de gestion (Management Framework) du Crowd Energy comprend l’infrastructure (construction et entretien), ainsi que l’administration des technologies, de la charge classique et spécifique à la Crowd et la gestion sociale de l’électricité. Cette dernière prend en compte les capacités, les compétences et les aspects sociaux des acteurs concernés et les intègre dans un réseau de valeur. Cela signifie que les informations que produit une Crowd, respectivement ses membres, sont à incorporer de manière utile dans le processus global afin de générer une valeur ajoutée durable. La décentralisation de la production et du stockage est de ce fait implicite tout comme le changement substantiel dans la société, l’économie et la politique à travers la reprise des différents points de vue de l’énergie.
Le concept offre aux membres de la Crowd des avantages financiers qui résultent directement de la propre production d’électricité et de l’échange local : une réduction des coûts, des opportunités de revenu supplémentaire, une position de négociation plus forte, des éventails d’action élargis et des contributions de solidarité et de développement de réseau plus basses. En plus des avantages financiers qui vont de pair avec CE, le principe de production-consommation local réduit l’impact des principes de production actuels au bénéfice de la qualité de l’environnement, de l’air, de l’eau et du sol. D’un point de vue stratégique, le concept Crowd Energy permet une certaine indépendance vis-à-vis de l’ensemble du réseau.
Avec ce concept, les membres altruistes ont la possibilité de fournir à des voisins de l’électricité spécifique. D’autre part, les membres égoïstes profitent également de la structure, puisqu’ils ne doivent pas, ou peu, payer de contributions de solidarité pour l’expansion du réseau. Il est également probable que la fusion des cellules iGSL dans une Crowd permette d’autres avantages sociaux, non liés à l’énergie, qui résultent de la structure de l’approvisionnement coopératif en électricité : si le Crowd Energy est basé sur des relations interpersonnelles, alors les expériences avec le concept permettent l’encouragement des échanges sociaux entre les membres, réduisent les fossés socio-économiques, encouragent l’échange d’autres biens produits localement, augmentent probablement le bénévolat et permettent l’application d’autres modèles « Sharing Economy » au sein du groupe.
Réseau de valeur ajoutée
Le changement de paradigme, privilégié par le développement technologique, nécessite des changements dans toute la chaîne, de la production à la consommation d’énergie. Le système technique décrit le contexte dans lequel les acteurs d’un Smart Grid appliquent, changent et mettent à nouveau à disposition des artefacts. La dynamique dans ce système sociotechnique change les caractéristiques du marché sous-jacent : d’un marché quasi monopolistique à un marché compétitif. Un tel changement a eu lieu récemment dans le secteur des télécommunications. Les principales caractéristiques d’un marché compétitif incluent, entre autres, un assortiment de produits et de services ambitieux, d’un « Business of Excellence », de revenus par client, ainsi qu’une valeur ajoutée intégrée.
Dans ce processus à valeur ajoutée modifié, toutes les parties prenantes doivent être envisagées (perspective holistique). Valeurs et objectifs communs, ainsi que responsabilité commune en ce qui concerne les risques mais aussi la répartition des avantages sont dans ce cas caractéristiques. La confiance durable et l’engagement de toutes les parties est substantiel car cela constitue la base d’un partenariat à long terme et donc la stabilité de la valeur ajoutée.
En ce qui concerne Crowd Energy, en plus des acteurs traditionnels, tels que les producteurs, les distributeurs et les consommateurs d’électricité, il faut également prendre en considération les nouveaux acteurs, tels que les prosommateurs, les fournisseurs de services, les fabricants d’équipement et les sociétés TIC. Au centre se trouve le prosommateur d’une cellule iGSL. À travers une coopération avec les autres cellules, la communauté génère des valeurs pour elle-même et peut, d’un point de vue de la gestion de la charge, idéalement se découpler temporairement de tout le réseau d’électricité. Par conséquent, Crowd est un réseau indépendant dans un réseau de niveau supérieur.
Comportement du prosommateur
Les possibilités de participation et d’implication du consommateur final sont, dans un environnement de Crowd Energy, diamétralement opposées à celles qui sont empreintes d’un cadre traditionnel, d’une production centralisée et sous l’influence du gouvernement. Cela soulève la question de savoir comment un prosommateur se comporte et s’organise dans un groupe, au vu des nouvelles possibilités technologiques et de la compréhension de l’énergie individualisée. La recherche comportementale dans le secteur de l’énergie s’étant consacrée, au cours des dernières décennies, à la consommation d’énergie dans un système de production d’énergie centralisé, la recherche devra à l’avenir se pencher sur les aspects des normes sociales, les comportements de contribution et de coopération des membres, l’auto-organisation des Crowds, la prise de décision et le comportement des prosommateurs. Le comportement du prosommateur, qui s’occupe des nouvelles possibilités individuelles de production, stockage, consommation, vente et partage d’électricité des prosommateurs [4], jouera un rôle important dans le cadre de la décentralisation pour toutes les parties prenantes dans le réseau de valeur ajoutée.
Le concept CE offre à chaque membre un certain nombre d’avantages ; cependant, la plupart de ces derniers nécessite également la participation obligatoire des autres membres de la communauté. L’acquisition d’énergie moins chère, la production d’énergie respectueuse de l’environnement, l’amélioration de la qualité de l’air ou le développement économique dans les zones rurales exigent, de manière analogue au système centralisé, un certain degré de coopération collective.
Contrairement au système central, la coopération collective dans une Crowd ne se limite pas uniquement à la consommation d’électricité, mais élargit également la conception de coopération collective dans les domaines de la production, du stockage et de l’échange d’électricité au sein d’une Crowd. Ainsi, la force de Crowd Energy dépend non seulement des éléments techniques, mais également, et en particulier, du comportement coopératif de chaque membre afin d’atteindre des objectifs aussi bien individuels que collectifs.
La théorie de l’action collective du groupe stipule qu’un objectif collectif et les avantages qui en résultent pour les membres du groupe ne suffisent pas à motiver les individus à une part équitable d’un objectif collectif [5]. Une raison possible souvent citée est le problème du profiteur. Les individus ne sont pas obligés de contribuer à un objectif collectif si d’autres membres ne contribuent pas eux-mêmes, mais ils bénéficient tout de même de celui-ci, respectivement des biens et des avantages, puisqu’ils ne peuvent pas être exclus de la communauté (problème des biens publics). Ce problème amène au fait que le bien n’est pas idéalement fourni. Pour le Crowd Energy, cela signifie également une mise à disposition non optimale par les membres individuels : chaque membre peut ainsi profiter des efforts des autres, comme par exemple constituer une communauté autosuffisante en énergie, sans devoir y contribuer. La force de Crowd Energy prend toute sa forme à partir du moment où la communauté surmonte le problème des biens publics et que le taux de coopération peut augmenter entre les participants individuels.
La théorie d’Olson est inspirée par l’image traditionnelle de l’homo economicus, laquelle dépeint un homme rationnel et égoïste. Des recherches comportementales récentes en économie et en psychologie révisent cette image : les individus prennent consciemment en considération les coûts individuels afin d’aider d’autres personnes.
Les découvertes de l’économie comportementale moderne offrent un fondement théorique et pratique précieux sur la façon dont les personnes coopèrent et en particulier sur la façon dont les personnes peuvent, avec les bons paramètres, obtenir des avantages de Crowd Energy. La nécessité d’une coopération entre les prosommateurs (force de Crowd) est également, du point de vue de l’utilisation optimale des ressources (potentiel de Crowd), d’une importance fondamentale. La coopération entre les personnes et l’électricité a un caractère novateur et « l’énergie comme construction interpersonnelle » donne un nouveau regard à l’électricité.
Références
[1] S. Teufel, B. Teufel: The Crowd Energy Concept. Journal of Electronic Science and Technology, Vol.12, No. 3, pp. 263–269, 2014.
[2] P. Stern, E. Aronson: Energy Use. National Academies Press, Washington, D.C., 1984.
[3] M. Gstrein, S. Teufel: Crowd Energy Management: New Paradigm for the Electricity Market. Journal of Electronic Science and Technology, Vol. 13, No. 3, pp. 165–205, 2015.
[4] Y. Hertig, S. Teufel: Prosumer Involvement in Smart Grids. Proc. 35th International Conference on Organizational Science Development, 2016.
[5] M. Olson: The Logic of Collective Action: Harvard economic studies. Harvard University Press, Cambridge, Mass., 1971.
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