Comment les ménages perçoivent-ils la valeur des services énergétiques ?
Une étude de cas dans un quartier durable suisse
Un quartier durable est défini comme une zone urbaine incluant des concepts modernes et écologiques. L’impact de tels concepts sur les habitants de ces quartiers n’est cependant pas toujours clair. Dans l’étude de cas présentée dans cet article, l’équipe de la HES-SO Valais Wallis s’est concentrée sur l’influence de la perception des services énergétiques sur la satisfaction générale d’habiter dans un tel quartier.
En Suisse, les ménages consomment 26,5% de la consommation d’énergie totale, à titre de comparaison les transports en consomment 37,7% (OFEN, 2015). Les bâtiments sont également un pilier important de la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral. D’ailleurs, des bâtiments avec une certification Minergie et des quartiers durables voient de plus en plus le jour. Certains cantons exigent aussi d’intégrer des mesures d’efficacité énergétique ou de productions d’énergies renouvelables dans la construction de bâtiments. Comment ces éléments sont-ils perçus ? Est-ce que cela influence la satisfaction globale des personnes habitant dans ces quartiers ?
Pour y répondre, l’équipe a interrogé les ménages d’un quartier durable. 164 ont répondu à un sondage pendant l’été 2015, puis 30 ont été questionnés lors d’entretiens qualitatifs semi-directifs à l’automne 2015. Par la suite, les différentes variables liées à l’efficacité énergétique et à la satisfaction globale ont été mises en corrélation afin de déterminer les liens entre ces variables. Cette étude de cas se déroule dans un quartier durable certifié Minergie et composé de 450 appartements.
La logique du service dominant
La logique du service dominant de Vargo & Lush a été appliquée à l’ensemble des prestations du quartier et particulièrement dans cet article au label Minergie et aux outils d’informations. D’après leur postulat, ce qui crée de la valeur est le service et non le produit. Le produit est un vecteur du service et ce dernier est toujours créé avec le consommateur lors de son utilisation. C’est pour cela que nous parlons du chauffage, de la mobilité ou de l’éclairage comme étant des services énergétiques.
McDougall & Levesque proposent le modèle théorique qui décrit le lien entre notamment la valeur perçue et la satisfaction du client (figure 1).
Premièrement, ils définissent la satisfaction du client comme l’évaluation globale du prestataire de service par rapport aux intentions futures du client de retourner auprès du même prestataire de service. Dans notre cas, on peut aussi définir la satisfaction comme l’expérience plaisante ou gratifiante de vivre dans un lieu spécifique (dans Cho et Lee, 2001). La qualité relationnelle est définie par la manière dont le service est délivré par McDougall & Levesque (2000). La valeur perçue quant à elle est décrite comme le compromis entre ce que le client reçoit et ce qu’il a sacrifié pour l’acquérir (Tam, 2004). Ces coûts peuvent être d’ordre financier, mais aussi du temps ou des efforts physiques et psychiques (Lovelock 2011, Tam 2004).
Rendre l’invisible tangible
Comment percevoir la valeur de service énergétique ? Pour ce faire, il est nécessaire de les rendre tangibles. Malheureusement, dans l’énergie, il faut souvent passer par une phase de perception négative pour que les services énergétiques deviennent tangibles. Dans le quartier étudié, la valeur perçue du chauffage est, par exemple, apparue lorsque ce dernier dysfonctionnait sur une période prolongée. Un autre exemple pour illustrer ces propos est la catastrophe nucléaire de Fukushima et la réaction rapide de la Suisse pour sortir du nucléaire. À l’heure actuelle, il existe aussi la possibilité de donner des feedbacks directs et indirects aux habitants avec notamment des smart meters (compteurs intelligents) pour rendre la consommation d’énergie tangible. L’Agence européenne de l’environnement (EEA) propose de combiner les deux types de feedbacks afin d’obtenir une meilleure économie d’énergie (2000). Le tableau 1 indique le type d’interventions et les économies d’énergie possibles.
Relation entre le label, les outils et la satisfaction
Afin de connaître les relations entre les différentes variables, on utilise une méthodologie qui consiste à se baser sur les statistiques inférentielles. Le but étant de tester l’hypothèse principale : la valeur du service énergétique n’est pas perçue si la qualité du service est bonne. Par contre, lorsque la qualité fait défaut, la valeur de la prestation apparaît.
Les variables étant de nature qualitative, les hypothèses bivariées sont définies sur une échelle nominale ou ordinale. De ce fait, des tests statistiques non paramétriques (Tau de Kendall, le rho de Spearman et la corrélation de Pearson) ont été utilisés. Comme mentionné précédemment, des entretiens semi-directifs ont également été effectués avec 30 habitants du quartier. La moitié d’entre eux était satisfaite et l’autre ne l’était pas. Par ailleurs, la moitié des ménages interrogés avaient un smart meter installé dans leur appartement et l’autre pas.
Label Minergie
La certification Minergie exige le respect d’un certain nombre de critères. Le bâtiment doit notamment consommer moins d’énergie qu’une construction standard (Minergie, 2016). Les deux hypothèses suivantes ont été formulées et les relations entre les deux variables ont été testées à l’aide des tests statistiques non paramétriques.
H0 : il n’existe aucune relation entre le label Minergie et la satisfaction globale des habitants.
H1 : il existe une relation entre le label Minergie et la satisfaction globale des habitants.
Les résultats apparaissant dans le tableau 2 ont été obtenus :
Pour chaque test, la p-valeur est proche de zéro. Ainsi, on peut rejeter statistiquement de manière significative l’hypothèse nulle. Une corrélation de rang faible existe entre les deux variables, c’est-à-dire que si l’habitant est satisfait du quartier, il attache de l’importance au label et vice versa.
Le label Minergie a des influences sur le chauffage. La température de consigne de chauffage est réglée à 21 °C à l’intérieur des appartements. Ceci est ressenti comme froid par la plupart des habitants – «Le problème avec Minergie est que la température est relativement basse (pas plus de 21/22 degrés) et beaucoup de personnes ont ajouté un chauffage électrique dans leur logement.». Par ailleurs, un problème de communication est également survenu. En effet, tant les vannes thermostatiques que les écrans du smart meter sont gradués jusqu’à 24 °C, cependant la température est bloquée à 21 °C. Certains ménages ont donc essayé d’augmenter le chauffage tout l’hiver sans succès : «Je peux augmenter le chauffage tant que je veux, la température n’excède pas les 20 °C !». Ces éléments ont donc engendré une influence négative sur la valeur perçue du label Minergie et sur la satisfaction générale du quartier.
Outils d’informations
Il a été mentionné au début de cet article qu’il était important de rendre l’énergie tangible. Dans le quartier analysé, cela a été fait de trois manières différentes : (1) un classeur contenant des informations sur le quartier disponible dans chaque appartement, (2) des visites thématiques en lien avec le développement durable organisées régulièrement, et (3) un compteur intelligent connecté à une tablette installé dans la moitié des appartements.
Lors de l’enquête, il est apparu que seuls sept personnes n’avaient employé aucun des outils disponibles. De ce fait, les habitants du quartier sont majoritairement informés des services énergétiques proposés. Par contre, notamment, les tablettes sont perçues comme un gadget, quelque chose d’accessoire. L’information n’a donc pas une grande valeur ajoutée tant que tout fonctionne correctement. Une seule personne a indiqué que, lors des problèmes de chauffage, la tablette a permis de diagnostiquer certains mauvais réglages de l’installation.
La complexité de percevoir la valeur
L’étude de cas présentée comporte d’autres secteurs analysés comme la mobilité des habitants du quartier. Pour chacun de ces secteurs, un manque de perception de valeur des services énergétiques est apparu. La valeur du service n’est pas perçue quand tout fonctionne correctement. Par contre, lorsqu’un dysfonctionnement survient, la valeur négative du service ressort très clairement.
Afin de mieux comprendre la valeur perçue et dans la continuité de l’étude de cas, le modèle intégré des relations de Tam sera appliqué. En effet, dans ce modèle, la valeur perçue est définie comme la qualité perçue du service, les coûts financiers perçus et les coûts perçus en termes de temps (2004).
Malgré le fait qu’il s’agit d’une étude de cas et que les résultats obtenus ne peuvent pas être généralisés, il apparaît que la tangibilisation des services énergétiques est une notion fondamentale sur laquelle il faut encore travailler pour faire en sorte que l’énergie soit tangible et perçue de manière positive.
Liens
- www.hevs.ch
- La présentation de l’étude de cas est disponible à l’adresse suivante: energycenter.epfl.ch/saee-sccer-crest2016-en
Références
[1] Cho, S. H., & Lee, T. K. (2011). A study on building sustainable communities in high-rise and high-density apartments–Focused on living program. Building and environment, 46(7), 1428-1435.
[2] European Environment Agency, (2013), Achieving energy efficiency through behavior change: what does it take ?, Technical report No 5/2013, available online: www.eea.europa.eu/publications/achieving-energy-efficiency-through-behaviour, consulted on Dec. 18, 2015.
[3] Lovelock, C. L., Walker, R. H., & Patterson, P. G. (2001). Services marketing: an Asia-Pacific perspective.
[4] McDougall, G. H., & Levesque, T. (2000). Customer satisfaction with services: putting perceived value into the equation. Journal of services marketing, 14(5), 392-410.
[5] McKenzie-Mohr, D. (2013). Fostering sustainable behavior: An introduction to community-based social marketing. New society publishers.
[6] Minergie (2016a). Qu’est-ce que Minergie ? available online : www.minergie.ch/quest-ce-que-minergie/articles/lessentiel.html
[7] Minergie (2016b). Construire durable avec Minergie-Eco. available online : www.minergie.ch/tl_files/download_fr/Broschuere_Nachhaltig%20bauen%20mit%20ME-ECO_fr.pdf
[8] OFEN, (2015), Analyse des schweizerischen Energieverbrauchs 2000-2014 nach Verwendungszwecken.
[9] Tam, J. L. (2004). Customer satisfaction, service quality and perceived value: an integrative model. Journal of marketing management, 20(7-8), 897-917.
[10] Vargo, S. L., & Lusch, R. F. (2004). Evolving to a new dominant logic for marketing. Journal of marketing, 68(1), 1-17.
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