À quand la démocratisation de la maison intelligente?
Défis et solutions
Le marché de la maison intelligente a récemment connu une croissance spectaculaire, en grande partie grâce aux nouvelles technologies liées à la communication sans fil et à l’intégration du cloud. Mais à quoi faire attention lors du choix et de l’installation d’un tel système? Quelles sont les solutions proposées? Andreas Burg, professeur à l’EPFL, fait le point sur la situation actuelle.
Bulletin: Qu’entend-on exactement par «maison intelligente»?
Andreas Burg: Au niveau le plus élémentaire, les maisons intelligentes ou smart homes permettent de contrôler à distance des dispositifs tels que les thermostats, les lumières, les stores et d’autres appareils via une connexion Internet, et ce, à l’aide d’un smartphone, d’une tablette ou d’assistants vocaux tels que Siri, Google ou Alexa. On parle alors de «maison connectée». Une maison ne devient vraiment intelligente que lorsque les fonctions de contrôle et la routine quotidienne sont automatisées de sorte à augmenter le confort et la sécurité, tout en réduisant les coûts ainsi que la consommation d’énergie. Une telle automation peut être simple, basée sur des règles, mais à l’avenir, elle pourra être encore plus intelligente grâce à l’exploitation de l’intelligence artificielle.
Quelles sont les technologies clés mises en œuvre?
La maison intelligente repose sur des appareils pouvant être contrôlés à distance à partir d’une «intelligence» centrale. Cette dernière gère non seulement l’ensemble des appareils connectés, mais prend également des décisions en fonction des informations collectées par différents types de capteurs, par exemple de présence, de mouvement, de température ou de luminosité.
Pour ce faire, les différents dispositifs doivent pouvoir communiquer. Jusqu’à récemment, la communication était essentiellement câblée, ce qui limitait la mise en œuvre de systèmes tels que les systèmes KNX aux professionnels, aux bureaux et au segment des logements de luxe. De plus, du fait de leur câblage, ces systèmes devaient être installés dès le début de la construction du bâtiment ou ajoutés plus tard à un coût très élevé lors d’une rénovation.
Que faut-il pour démocratiser la maison intelligente?
Un moyen simple et peu onéreux permettant, d’une part, la communication entre les capteurs, l’intelligence centrale et les appareils connectés et, d’autre part, d’ajouter d’autres éléments au fur et à mesure de l’évolution de la maison intelligente.
Les dispositifs connectés sans fil permettent justement non seulement d’intégrer des capacités de contrôle dans l’infrastructure fondamentale d’un nouveau bâtiment, mais ils peuvent également être ajoutés aisément et presque sans effort à tout moment. Par exemple, les ampoules intelligentes ne nécessitent aucune modification du câblage, et leur coût, par rapport à celui des ampoules traditionnelles, n’est que légèrement plus élevé. De plus, avec la communication sans fil, la connectivité n’est plus liée à l’infrastructure ni limitée à des fonctions simples (indépendantes de l’appareil) telles que la commande on/off. Les dispositifs peuvent être connectés directement et fournir un contrôle fin et précis de nombreuses fonctions (par exemple, dans le cas des téléviseurs permettant de contrôler le volume, la lecture en différé, la sélection des chaînes ou le streaming de contenu).
Quelles conditions doit remplir la communication sans fil?
La connectivité sans fil est une technologie clé pour l’Internet des objets (IoT) ainsi que pour la mise en place d’appareils domestiques intelligents (la maison intelligente est l’une des applications de l’IoT). Les connexions doivent, tout d’abord, être fiables et ne consommer que peu d’énergie pour éviter un changement trop fréquent des piles de dizaines d’appareils. De plus, dans un monde où tous les appareils sont connectés sans fil, les systèmes doivent être conçus de sorte à éviter les congestions et à pouvoir constamment évoluer. Au cours de la dernière décennie, la recherche sur les systèmes sans fil a fait de grands progrès à cet égard, et un certain nombre de normes et de technologies ont été élaborées ou ont évolué vers ces objectifs. Par exemple, les normes telles que la 5G incluent des modes spéciaux optimisés pour l’IoT, et les normes existantes telles que Bluetooth ont été fortement modifiées et mises à jour pour mieux prendre en charge l’IoT en tant qu’application de base.
La communication sans fil est-elle donc la solution miracle?
Les fournisseurs d’appareils intelligents associent leurs dispositifs à des applications et à des intégrations dans le cloud qui permettent de les contrôler à partir d’un smartphone, depuis son domicile ou à l’étranger. Cependant, la transition vers ces nouveaux systèmes sans fil et connectés au cloud ne présente pas que des avantages. Les différentes normes et les solutions propriétaires de nombreux fournisseurs qui tentent de capter ce marché en pleine croissance ont fragmenté le marché et ont mené à une pléthore de solutions parallèles incompatibles. Imaginez que pour pouvoir utiliser des ampoules de différents fournisseurs, vous ayez besoin de plusieurs applications différentes pour contrôler les lumières de votre maison... Chaque fournisseur a en outre besoin d’équipements de contrôle spécifiques pour connecter la maison au cloud, ce qui représente autant de boîtiers supplémentaires (des «hubs» ou «passerelles») à acheter et à installer.
Des installations sérieuses dans de telles conditions sont presque impossibles, et la frustration lors de l’utilisation de tels systèmes est presque inévitable. De plus, le passage à une maison intelligente dans laquelle une intelligence centrale prend le contrôle de la maison pour des raisons de commodité, d’économies ou de sécurité devient difficile sans hub central.
Comment résoudre ce problème lié à l’interopérabilité?
L’un des goulots d’étranglement de l’interopérabilité est justement la communication sans fil. De nombreuses normes sont aujourd’hui en concurrence sur le marché de la maison intelligente. On y trouve des systèmes Wi-Fi, Bluetooth, Zigbee, Z-Wave, etc., mais aussi des systèmes entièrement propriétaires. Ce problème a été récemment reconnu et les principaux acteurs du domaine se sont réunis pour définir une norme commune, le standard de connectivité Matter, qui facilite spécifiquement l’interopérabilité pour la maison intelligente, et dont l’arrivée récente devrait répondre à de grands espoirs.
Et quelle solution apporter à l’absence de hub central?
Un deuxième problème, outre la connectivité sans fil, est en effet la nécessité de disposer d’une plateforme ou d’un service central pour fournir l’intelligence nécessaire et contrôler la maison intelligente. De grandes entreprises telles que Google, Amazon et Apple ont identifié ce problème et fournissent ces hubs avec leurs assistants vocaux permettant d’accéder aux appareils et de les contrôler par la voix, à partir d’un smartphone ou de leurs autres dispositifs.
Si l’arrivée de Matter permet de connecter plus facilement plus d’appareils à ces hubs centraux, cela ne résout pas la question relative au type de plateforme à utiliser. En effet, à l’instar des différentes formes de connectivité sans fil, les diverses plateformes sont caractérisées par des services, forces et faiblesses qui diffèrent d’un type de plateforme à l’autre. Et en avoir plusieurs en même temps entraînerait immanquablement un accroissement des inconvénients et de la complexité, et donc de la frustration.
De plus, pour établir une maison vraiment intelligente, il faut plus d’intelligence et de liberté pour installer des services et adapter les automations à ses besoins. Cela signifie aussi presque toujours le partage de ses données avec un service basé sur le cloud, ce qui les rend potentiellement accessibles par d’autres personnes et peut poser des problèmes de sécurité, ou être à l’origine de préoccupations en matière de confidentialité des données en général. Et ce, sans compter la crainte de voir sa maison devenir dysfonctionnelle si Internet tombe en panne et qu’il n’est plus possible d’y allumer la lumière.
N’y a-t-il aucune solution offrant plus de sécurité?
Depuis quelques années, les plateformes locales pour la maison intelligente ont le vent en poupe. Des systèmes tels que Home Assistant, OpenHab ou Hubitat fonctionnent sans connexion Internet et donc sans que les données ne quittent le domicile. Le prix à payer aujourd’hui pour ces systèmes est toutefois une énorme augmentation de la complexité: leur adoption est de ce fait encore majoritairement réservée aux passionnés qui sont prêts à leur consacrer beaucoup de temps et à vivre avec des maux de tête quotidiens dans leur course constante aux réparations. Cette situation s’améliorera cependant au fur et à mesure que la convivialité et l’interopérabilité progresseront, et que les entreprises locales pourront potentiellement intervenir pour soutenir l’installation de tels systèmes.
Forum FRED
Andreas Burg reviendra sur ces points et les approfondira au cours de son exposé keynote, en introduction du Forum FRED qui se déroulera le 28 mai 2024, à Lausanne. Ce rendez-vous incontournable des experts de l’éclairage et de l’automation du bâtiment mettra en outre en lumière une multitude de projets passionnants, d’innovations et d’expériences réalisés en Suisse romande, et permettra aux participants d’élargir leur réseau professionnel en visitant l’exposition concomitante.
En quelques mots
Andreas Burg est professeur au sein du Laboratoire de circuits pour télécommunications de l’EPFL. Ses domaines de prédilections englobent, entre autres, les circuits et systèmes pour les télécommunications (sans fil et câblées), le prototypage et l’implémentation de nouvelles technologies de communication, le développement d’algorithmes de communication, ou encore le traitement de signaux avec des circuits intégrés à faible consommation.
- EPFL
1015 Lausanne
Commentaire
Günter Burg,
Le futur a commencé et l'avenir est en marche.
Est-ce que c'est seulement pour Bill-Gates'ies ou est-ce que les gens qui gagnent normalement leur vie peuvent aussi se le permettre ?