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Plus de puissance pour les camions électriques

Le MCS repousse les limites de la recharge ultrarapide

16.04.2024

Le développement de la technologie Megawatt Charging System progresse rapidement et les premières applications approchent à grands pas. Les véhicules lourds pourront ainsi prochainement bénéficier de systèmes permettant une recharge rapide et efficace afin de démocratiser encore plus la propulsion électrique dans le monde du transport.

L’avenir de la mobilité motorisée est électrique. Or, si cet état de fait semble s’établir pour les voitures de tourisme et les transports publics, les véhicules lourds pour la logistique et l’industrie accusent encore un certain retard dans leur électrification. Si l’autonomie de ces véhicules est aujourd’hui déjà suffisante pour la plupart des cas d’usage, le temps nécessaire pour la recharge de leur batterie représente encore un défi. Certains camions utilisés pour la logistique, par exemple, ne disposent que de courts temps d’arrêt et sont sur les routes jour et nuit. De plus, la capacité énergétique de leur batterie est dix fois supérieure à celle des voitures de tourisme (30 à 100 kWh pour les véhicules de tourisme, 300 kWh à 1 MWh pour les véhicules lourds). Avec les technologies de recharge actuelles, AC type 2 et CCS2, un camion a donc besoin de dix fois plus de temps qu’une voiture pour recharger sa batterie.

La technologie de recharge en courant continu CCS2 est limitée à un courant DC maximal de 500 A et une tension de 1 kV, ce qui correspond à une puissance de recharge théorique de 500 kW. En réalité, cette puissance est toutefois limitée par la tension de la batterie, et sa valeur maximale atteint ainsi 200 kW pour les systèmes 400 V, et 400 kW pour les systèmes 800 V. Afin de remédier à cette situation, le développement d’un nouveau système de recharge standardisé est en cours. Celui-ci doit permettre d’augmenter signi­fica­tive­ment la puissance maximale de recharge jusqu’à atteindre le domaine du mégawatt. Dénommée Megawatt Charging System (MCS), cette nouvelle technologie se trouve actuellement dans les derniers stades de développement et sa commercialisation devrait débuter dans le courant de l’année 2025.

Technologies, normes et standards

Le développement d’un nouveau système de recharge est complexe, non seulement au niveau technologique, mais également du point de vue de la standardisation. En effet, toute une série d’éléments, et donc un grand nombre de participants, sont à considérer: la borne de recharge, le câble, le connecteur, les composants internes au véhicule, etc., et ce, tant du point de vue physique que de celui de la communication ou de la sécurité. La figure 1 montre les différentes normes pertinentes pour la finalisation du MCS ainsi que les prévisions concernant leur disponibilité. La normalisation du système devrait ainsi être achevée au cours de l’année 2025 pour permettre son industrialisation et sa commercialisation à grande échelle.

Contrairement au système CCS2, le MCS ne sera pas limité à un courant de sortie maximal de 500 A DC. Le système prévoit un courant de sortie maximal de 3 kA DC et une tension maximale de 1,5 kV, pour une puissance de recharge théorique maximale de 4,5 MW. Le MCS couvre ainsi un champ de puissances de recharge nettement plus vaste que le système CCS utilisé aujourd’hui (figure 2). La conséquence physique principale se situe au niveau des systèmes de refroidissement ainsi que de l’apparence du couple connecteur-prise. En effet, le câble de recharge ainsi que le connecteur devront être activement refroidis (ce qui est déjà le cas pour certains systèmes CCS2), et il est probable que, pour les plus hauts niveaux de puissance de recharge, la prise du véhicule doive l’être également.

Un nouveau connecteur

L’apparence du futur connecteur est déjà définie et diffère significativement du connecteur CCS2 (figure 3) désormais bien établi. Au-delà des dimensions et du facteur de forme, la différence principale consiste en l’apparition d’un nouveau pin de communication en complément des pins CP (control pilot) et PP (proximity pilot) déjà présents dans le système CCS2. La mise en œuvre asymétrique du système PLC (Power Line Communication) utilisé jusqu’à présent n’a pas été jugée suffisamment robuste pour faire face à l’augmentation attendue des émissions d’interférences électromagnétiques par rapport au système CCS2. La couche physique différentielle supplémentaire du MCS permet de remédier à ce problème [2].

L’implémentation de la recharge dans le domaine du mégawatt promet des temps de recharge pour les véhicules lourds comparables à ceux des voitures de tourisme, rendant ainsi la technologie compatible avec les cas d’usages industriels et logistiques.

Premiers tests réussis

Le MCS n’est-il alors que musique d’avenir? Au contraire, de nombreux essais sont déjà en cours avec des prototypes de chargeurs et des véhicules adaptés. Ces tests sont capitaux pour récolter l’expérience nécessaire au perfectionnement du système avant sa finalisation. En juin 2023, ABB et Scania ont ainsi annoncé avoir installé et testé ensemble avec succès leur premier prototype de chargeur MCS commun, pavant la route au perfectionnement du système dans des conditions réelles en vue de son industrialisation [3].

Si ce test n’a pas atteint les courants maximaux prévus dans le nouveau standard, il démontre toutefois la faisabilité technologique du concept et représente une première étape capitale dans la mise en place du système MCS chez les construc­teurs. D’autres essais suivront avec des puissances plus élevées afin de récolter toute l’expérience nécessaire avant la commercialisation des systèmes sur le marché.

En parallèle de ce premier test réussi, un contrat de coopération pour le dévelop­pement de la technologie entre ABB et le constructeur MAN a également été annoncé lors du CES de Las Vegas en janvier 2024, montrant la volonté de l’ensemble de la branche de se préparer au lancement imminent du MCS [4].

Cas d’usage

La mise à disposition de puissances dans le domaine du mégawatt n’est pas chose aisée et il est pertinent de se poser la question de la nécessité opéra­tion­nelle d’un tel système. Les cas d’usage pour le MCS sont toutefois multiples, et la demande pour sa création trouve son origine dans un besoin du marché et non dans une soif injustifiée de progrès technologique. Deux cas d’usage principaux sont identifiables et ceux-ci sont applicables à de nombreux pays, dont la Suisse.

Le premier cas d’usage correspond à la recharge au dépôt, directement sur le site des entreprises opérant les véhicules. Celle-ci ne s’effectuant pas uniquement lors de longs arrêts nocturnes, une recharge ultrarapide peut s’avérer nécessaire, par exemple lors d’un déchargement de marchandises ou de la pause de midi. L’infrastructure de recharge MCS est alors propriété de l’entreprise et majo­ri­tai­re­ment destinée à son propre usage. Il est toutefois envisageable que des entreprises tierces présentes sur le site puissent aussi en profiter. Les sites industriels sont également à considérer, bien que ceux-ci représentent un cas d’usage sensiblement similaire. La puissance peut alors varier de manière significative entre 500 kW et 4,5 MW, en fonction des besoins exacts du site et des véhicules concernés.

Second cas d’usage: les sites de recharge MCS publics, situés sur les aires de repos autoroutières ou dans leurs proches environs. Dans ce cas, les bornes de recharge sont opérées par des entreprises tierces mettant à disposition l’infrastructure de recharge aux clients du secteur de la logistique. Le besoin pour de tels sites de recharge peut être aisément expliqué à l’aide de quelques chiffres concrets résumés dans le tableau 1. La législation européenne en matière de temps de conduite et de repos pour les chauffeurs poids lourds spécifie un temps maximal de conduite de 4,5 h avant une pause obligatoire de 45 min [5]. En prenant en compte une vitesse moyenne de 80 km/h, la distance parcourue en 4,5 h est de 360 km. En considérant plusieurs consommations énergétiques pour modéliser différents types de véhicules et de chargements, il est alors possible de calculer la puissance de recharge nécessaire pour «faire le plein» en 45 min: celle-ci varie entre 500 kW et 1 MW, et justifie ainsi le développement du nouveau standard en mettant en lumière l’insuffisance de la puissance fournie par la technologie CCS2. Cet exercice montre toutefois également que des puissances de plusieurs mégawatts par véhicule ne seront nécessaires que dans des cas exceptionnels.

Besoins et projets d’implémentation

La situation énergétique complexe dans laquelle se trouve actuellement la Suisse soulève la question du besoin total d’énergie nécessaire à la mise en place de tels sites de recharge. Une étude réalisée par le bureau EBP s’est attelée à définir le nombre de points de recharge MCS qui seront nécessaires en Suisse afin de permettre l’électrification du transport de marchandises [6]. Cette étude conclut à la nécessité de la construction de 125 points de recharge MCS jusqu’à 2030, et souligne qu’une électrification de 100% des véhicules lourds en Suisse mènerait à une augmentation de la consommation électrique nationale de 7%.

Si cette valeur est conséquente, elle n’est pas insurmontable. Il est dès lors probable qu’une grande partie des véhicules lourds se tournent vers la propulsion électrique dans un avenir proche. Technologiquement, les progrès réalisés ces dernières années dans le développement de ces véhicules et ceux encore à venir permettront de couvrir la grande majorité des besoins des industries concernées. Une transition progressive et continue de tous les types de véhicules lourds vers l’électrique peut donc être attendue en Suisse dans les années à venir, les cas d’usage les moins favorables laissant dans un premier temps la priorité à ceux pour lesquels la transition est aujourd’hui déjà aisée.

En dehors de nos frontières, un exemple concret d’implémentation de sites de recharge MCS est en cours de développement. Le projet HoLa (Hoch­leistungs­laden im Lkw-Fernverkehr) [7] prévoit en effet l’installation de chargeurs ultrarapides le long de l’autoroute A2 reliant Berlin à la région de la Ruhr (figure 4). Chaque arrêt devrait au minimum disposer de deux prises CCS2 de 350 kW et de deux prises MCS de 750 kW.

ABB est partenaire de ce projet, et celui-ci constitue l’environnement idéal pour mettre la technologie à l’épreuve dans des conditions réelles. Plusieurs construc­teurs automobiles sont également partenaires, ainsi que des entreprises et organisations actives dans le domaine de l’énergie et de la recherche. Ce large panel de participants démontre la nécessité d’intégrer l’ensemble de la branche dans le développement technico-commercial des premiers projets, et ce, afin d’assurer le succès d’une technologie qui permettra au transport de mar­chan­dises d’entrer dans une nouvelle ère, électrique, silencieuse et sans émissions directes.

Autor
Valentin Gay

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