Association AES , Marchés et régulation

«Il y a assez d’argent dans l’ensemble du système»

Conception du marché

14.12.2017

Lors de la deuxième édition de la manifestation «Thèmes-clés de la politique énergétique» le 23 novembre à Lausanne, Michael Frank, directeur de l’AES, et Benoît Revaz, directeur de l’OFEN, ont discuté de la future organisation du marché et des travaux de l’OFEN.

L’OFEN a publié une étude fin octobre sur l’adéquation du système électrique. L’échange entre Michael Frank et Benoît Revaz avait pour but d’éclaircir quelques points de l’étude pour la branche. Il est reporté ci-après.

Michael Frank: Selon votre étude, il n’y a donc pas de problème: l’approvisionnement est garanti encore longtemps. Vous partez de l’analyse et en tirez des conclusions. Avez-vous changé d’approche depuis la première phase de la Stratégie énergétique 2050?

Benoît Revaz: Il s’agit de poser les bonnes questions, de structurer la discussion et de ne pas mélanger les sujets techniques et économiques. Nous profitons d’une situation initiale intéressante que nous devons à nos prédécesseurs qui ont construit un parc de production remarquable. Nous avons payé et amorti une grande partie de nos parcs électriques en valorisant l’électricité sur les marchés voisins en France et en Italie. Depuis, nous avons assisté à une chute générale des prix sur le marché européen, à l’élimination des pics, et au renforcement du franc qui ont eu un impact sur les résultats des entreprises. Le bilan global reste positif.

Cela nous amène à nos quatre questions-clés pour le futur. L’une d’entre elles concerne la propension au risque. Quel risque l’économie est-elle prête à porter ? Pourrons-nous maintenir longtemps une sécurité d’approvisionnement de 99.9 %?

La période délicate en termes d’approvisionnement est février-mars. Le système est robuste, mais pour limiter les risques, il faut exploiter le potentiel de flexibilité existant dans le système. L’enjeu de la décentralisation est l’intégration de la production décentralisée, mais aussi la flexibilisation. Cette évolution permettra d’apporter des solutions intelligentes à l’avenir pour les quelques dizaines d’heures par an pendant lesquelles l’approvisionnement n’est pas garanti.

Parlons des conclusions de l’étude. Vous parlez de Missing Money. Du point de vue de la branche, il faut faire une analyse du futur et non du passé.

J’ai travaillé pendant près de 20 ans dans la branche et ne suis pas capable de dire quel est ce Missing Money. Les 10 milliards de francs payés par le consommateur final couvrent la production hydraulique, les échanges transfrontaliers, le réseau, les réseaux de distribution et les services. Il y a assez d’argent dans l’ensemble du système.

Je constate un manque de disponibilité des données: pour avoir accès aux données de l’hydraulique suisse, j’ai dû signer et faire signer à mes collaborateurs des déclarations de confidentialité comme je n’avais plus signé depuis les procédures de fusions et acquisitions dans le privé. Nous avons une vision du passé mais n’avons pas encore de vision de l’avenir. Je lance un appel à la transparence sur le besoin d’investissement et de réinvestissement de la branche. À l’avenir, nous devons comme office avoir une meilleure compréhension de la structure des coûts, de manière à proposer des outils adaptés.

En résumé, d’une part vous constatez que les moyens sont distribués de manière plutôt asymétrique dans la branche et d’autre part, vous adressez une critique à la branche qu’elle n’est pas assez transparente.

Il s’agit d’un constat et d’un appel à la transparence.

Si les moyens sont distribués asymétriquement, il faut réagir.

Ce n’est pas le rôle de la Confédération. Nous n’avons pas de compétence pour nous occuper de cela. Les structures sont en main des communes. Aux propriétaires de décider. Je ne dis pas qu’il faut restructurer la branche.

La production indigène est-elle correctement rétribuée?

La puissance hydroélectrique installée en Suisse, cette capacité de stockage et cette flexibilité est une valeur qui n’est pas assez rétribuée par le marché.

La flexibilité n’a pas de valeur.

La flexibilité a de la valeur. La question est comment est-ce qu’on lui donne une vraie valeur. Est-ce que la transparence est amenée à donner de la valeur?

Nous avons compris cet appel pour la transparence. Si on peut toujours importer de l’électricité quand on en a besoin, nous n’aurons pas de problème d’ici 2035 avec un accord avec l’UE. Mais si nous n’avons pas d’accord avec l’UE et si la France et l’Allemagne ont aussi des changements de la capacité de leur parc de production?

Ce sont des hypothèses plutôt qualitatives que quantitatives. La réponse à y apporter est de disposer de capacités suffisantes pour ces quelques dizaines d’heures pendant lesquelles l’approvisionnement n’est pas garanti. En cas de scénario extrême, l’Europe entre dans une période de crise majeure pendant plusieurs semaines. Je ne vois pas les pays voisins rester les bras croisés. En Suisse, nous devons décider si nous souhaitons une casco complète, partielle ou une couverture de base. Une casco complète signifierait de disposer de plusieurs centaines d’heures de réserve, d’un peu moins pour la partielle et avec une couverture de base, nous renoncerions à une réserve stratégique.

On doit poser cette question à l’économie, pas à la branche. C’est l’économie qui renonce toujours à contribuer. Depuis 6 ans, on parle de l’accord avec l’UE. Avez-vous des nouvelles de la rencontre d’aujourd’hui entre Monsieur Jean-Claude Junker, président de la Commission européenne, et la présidente de la Confédération?

D’autres dossiers sont plus d’actualité que l’électricité. On nous demande souvent quel est le plan B. S’il n’y a pas d’accord, les conséquences économiques (facture en l’absence d’accord), techniques (flux non maîtrisés entre l’Allemagne et la France qui passeraient à travers le réseau de Swissgrid) sont prises très au sérieux par l’ensemble des acteurs car cela représente une mise en danger de la stabilité du réseau. C’est une chance pour la Suisse d’être située au milieu de l’Europe et d’être ainsi un acteur incontournable. Mais ce n’est pas suffisant.

Cela pourrait accélérer la date de signature d’un accord avec l’UE?

Cela dépend d’autres dossiers qui ne sont pas de mon ressort. En tant que pays non membre, nous sommes invités pour discuter d’approvisionnement avec l’Autriche, la France, l’Allemagne et le Benelux. Même si nous sommes qu’invités, nous dirigeons l’un des trois groupes de travail sur la sécurité d’approvisionnement. Pour nous c’est important, mais ce n’est pas encore suffisant.

Comment expliquez-vous la situation actuelle du Clean Energy Package? Certains demandent des mesures strictes contre les États tiers. Cette initiative est surtout ciblée contre la Russie, mais la Suisse pourrait-elle subir un dommage collatéral?

J’ai adressé cette problématique à différents ministres de l’énergie dans le cadre de la réunion ministérielle de l’Agence internationale de l’énergie à Paris début novembre. Cela a été pris très au sérieux. Nous poursuivons les contacts avec les initiants de cette clause d’exclusion qui n’avaient pas imaginé l’impact sur la Suisse et nous faisons le nécessaire pour que cette clause n’ait pas d’impact. Il y a une mobilisation de la France et de l’Allemagne au niveau de la Commission.

Les réseaux deviennent-ils de plus en plus importants?

Oui, les réseaux deviennent de plus en plus importants. Ils ont un rôle qui évolue. Le rôle historique d’amener la production vers les sites de consommation évolue avec les dynamiques et des volumes qui augmentent. Nous devons réfléchir au réseau du futur une fois que les centrales nucléaires seront à l’arrêt. Est-ce que le réseau existant suffira pour amener les capacités disponibles des Alpes vers le plateau?

Selon Swissgrid, nous sommes le pays le plus interconnecté du monde. Les 41 lignes d’interconnexion que nous avons avec nos pays voisins sont importantes pour l’Italie pour le market coupling. Est-ce un gage par rapport à l’UE dans les discussions?

C’est difficile à dire car lors de la période très tendue de l’hiver passé, l’Italie s’est mise en îlot. La région au Nord de Milan compte plusieurs milliers de MW de puissance thermique installée qui ne fonctionne que quelques centaines d’heures par an.

L’ouverture complète du marché a été jusqu’à présent liée par Doris Leuthard à l’accord avec l'UE. Vous faites un découplage maintenant. Pourriez-vous préciser?

Nous ne sommes plus dans le concept du début des années 2000 où nous souhaitions ouvrir le marché pour que le consommateur ait le choix entre plusieurs fournisseurs. Aujourd’hui, il s’agit d’ouvrir le marché pour que le consommateur puisse participer à une communauté d’auto-consommation, avoir accès aux sources d’énergie renouvelable, mettre sa flexibilité à disposition, pour qu’un groupe de locataire puisse participer à une coopérative, combiner la production locale et profiter de produits qui correspondent mieux à ses besoins, fournis par les acteurs historiques ou de nouveaux acteurs. L’enjeu de cette ouverture du marché, ce n’est pas d’aller gratter 0.8 ct/kWh pour le client final. L’enjeu est bien plus la transparence.

Y aurait-il une possibilité d’accord avec l’UE sans ouverture du marché?

Non, c’est une condition claire sur l’accord. Je pense que notre pays a plus d’intérêt à partir dans ce marché plutôt que d’attendre une ouverture du marché silencieuse formée par des communautés d’auto-consommateurs et une augmentation des batteries dans les caves. Une telle ouverture est à mon sens plus dangereuse pour les distributeurs que des règles claires.

Auteure
Céline Reymond

était porte parole et rédactrice AES entre le 1er janvier 2013 et le 31 janvier 2020.

  • AES, 5000 Aarau

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