Article Centrales conventionnelles , Énergies renouvelables

Flexibilisation des redevances hydrauliques: une chance pour tous

La réglementation actuelle relative à la perception des redevances hydrauliques n’est plus conforme au système depuis longtemps.

31.01.2017

La réglementation actuelle relative à la perception des redevances hydrauliques n’est plus conforme au système depuis longtemps. En raison de l’ouverture du marché et de la faiblesse persistante des prix de gros, le poids de cette taxe, associé au montant élevé des coûts du capital, met en péril l’existence même des aménagements hydroélectriques. Le «modèle assoupli» exposé dans le présent article constitue une solution porteuse d’avenir qui profite à la fois à la Suisse, aux cantons et communes concernés, aux producteurs d’hydroélectricité et aux consommateurs finaux helvétiques. Il offre l’opportunité de réformer efficacement les redevances hydrauliques dans l’optique de la nouvelle réglementation prévue par la loi à compter de 2020.

La redevance hydraulique a été intégrée à la loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques il y a un siècle. De manière générale, cette redevance désigne «une taxe publique grevant le droit d’usage particulier d’un cours d’eau public inscrit dans la concession, c’est-à-dire le droit de mettre en valeur un potentiel hydroélectrique en vue de produire de l’électricité» [1]. Alors que la méthode de calcul de la redevance hydraulique n’a pas changé depuis 1918, son taux maximal fixé par la loi a été revu à la hausse à plusieurs reprises.

Depuis la dernière augmentation à 110 francs par kilowatt théorique (CHF/kWB) début 2015, les producteurs d’hydroélectricité doivent payer chaque année quelque 550 millions de francs de redevances hydrauliques aux collectivités publiques qui leur octroient une concession. En se basant sur une production annuelle escomptée d’environ 36 térawattheures (TWh) et compte tenu du fait que les centrales hydroélectriques d’une puissance inférieure à 2 MWB bénéficient d’une réduction du taux de la redevance hydraulique, la charge qui pèse sur les centrales plus importantes s’élève aujourd’hui en moyenne à 1,6 ct./kWh.

Tandis que les redevances hydrauliques représentent un facteur de coût substantiel pour les exploitants d’aménagements hydroélectriques, elles constituent une source de revenus importante pour les cantons concernés et, selon la législation cantonale en vigueur, pour les communes concernées. Plus de 80% des recettes issues de ces redevances reviennent à seulement six cantons ou à leurs communes, les cantons du Valais et des Grisons pouvant se targuer d’en recevoir à eux seuls environ la moitié.

Évolution du taux maximal de la redevance hydraulique

Lors de l’introduction de la redevance hydraulique au niveau fédéral le 1er janvier 1918, son taux maximal s’élevait à 6 francs par cheval-vapeur (CHF/CV), soit 8.16 CHF/kWB. La compétence législative en matière de forces hydrauliques a été conférée à la Confédération «afin qu’elle favorise la production et la mise en valeur de ces forces» [2]. Il a ainsi été précisé qu’il fallait tenir compte aussi bien des intérêts généraux du pays concernant l’utilisation de la force hydraulique suisse que des besoins des régions d’où proviennent les eaux.

Les deux premières augmentations datant du 1er janvier 1953 et du 1er juillet 1968 ont été réalisées au motif qu’il fallait adapter le taux de la redevance hydraulique au renchérissement général. Ce n’est que dans le message de 1975 relatif à la troisième hausse du 1er janvier 1977 que le Conseil fédéral a procédé à une pesée plus large des intérêts en présence et affirmé pour la première fois que la force hydraulique altérait la beauté naturelle des régions montagneuses. Parallèlement, ce message et celui de 1984 concernant la quatrième augmentation du 1er janvier 1986 ont abordé la question du principe de solidarité entre les cantons industriels ou les agglomérations urbaines, d’une part, et les cantons économiquement défavorisés ou les zones de montagne, d’autre part?: étant donné qu’«en fin de compte, la redevance est payée par le consommateur, comme part intégrante du prix de l’énergie» et que ce sont les agglomérations qui consomment le plus d’électricité, l’augmentation de cette redevance peut être considérée comme un «acte de solidarité» [3].

Dans le message de 1995 relatif à la cinquième augmentation du 1er mai 1997, la pesée des intérêts en présence a été jugée de plus en plus difficile en raison de la hausse du nombre de facteurs à prendre en compte. Enfin, une initiative parlementaire déposée en 2008 a permis de procéder à la sixième augmentation le 1er janvier 2011, ainsi qu’au septième et dernier relèvement le 1er janvier 2015, au motif que «le prix de l’électricité et la valeur des ressources hydrauliques en général augment[ai]ent» [4]. Une présentation plus détaillée de l’évolution historique du taux maximal de la redevance hydraulique et de l’argumentation y afférente peut être consultée dans un précédent article spécialisé des auteurs du présent document [5].

Dans sa forme initiale, la redevance hydraulique constitue donc une taxe sur l’utilisation des ressources hydrauliques qui est payée par le consommateur et a été adaptée au renchérissement à intervalles irréguliers. À compter du milieu des années 70, un nombre croissant d’autres facteurs ont été avancés pour justifier une augmentation jusqu’à ce que la valeur des ressources finisse par occuper la place centrale dans l’argumentation (figure ci-dessous «Monopole» et «Situation actuelle»). Avec ce transfert de l’utilisation à la valeur des ressources, une vaste réflexion politique sur une éventuelle flexibilisation aurait déjà dû être menée plus tôt, d’autant plus que dès la fin des années 90, le débat en matière de politique énergétique s’est focalisé sur la libéralisation du marché de l’électricité. Le Conseil fédéral, en particulier, a laissé entendre à plusieurs reprises qu’il était disposé à changer le système [6], mais les discussions y afférentes ont été reportées à une date postérieure à la libéralisation.

Besoin de réforme

Entre-temps, la libéralisation est, du moins en partie, devenue réalité. Depuis l’entrée en vigueur de la loi sur l’approvisionnement en électricité le 1er janvier 2009, les clients dont la consommation finale excède 100 MWh par an sont libres de choisir leur fournisseur d’électricité. Selon l’ElCom, 63% des ayants droit auront recours à cette possibilité en 2017, ce qui correspondra à un volume annuel de courant de quelque 20 TWh. Mais les gestionnaires de réseau bénéficient eux aussi d’une certaine liberté dans l’achat de l’électricité dont ils ont besoin pour assurer la fourniture de leurs consommateurs finaux avec approvisionnement de base. Ainsi, les producteurs d’hydro­électricité ne peuvent répercuter leurs taxes que s’ils ont eux-mêmes des consommateurs finaux avec approvisionnement de base (figure ci-dessus «Situation actuelle»). Ce changement radical de paradigme n’est pas pris en compte dans la législation existante.

Il a été impossible d’anticiper ces évolutions lors de l’octroi des concessions pour les aménagements hydroélectriques, la majorité d’entre elles ayant été accordées avant la troisième augmentation du taux maximal de la redevance hydraulique de 1977, justifiée par de nouveaux arguments. Les producteurs n’ont notamment pas pu ni dû partir du principe que la redevance hydraulique serait un jour complètement dissociée de l’utilisation des ressources – corrigée de l’inflation – et que le monopole et, partant, la possibilité de répercuter ces coûts, disparaîtraient par la suite. On ne peut par conséquent arguer qu’en signant la concession, les sociétés hydroélectriques auraient accepté automatiquement toutes les futures hausses et modifications du système. Les exploitants de centrales s’étaient uniquement déclarés prêts à payer aux concédants une taxe pour l’utilisation des ressources hydrauliques qu’ils pouvaient à leur tour répercuter sur les consommateurs finaux dans le cadre du monopole.

Nouvelle approche

Pour les raisons avancées ci-dessus, il convient de tirer profit  de la nouvelle réglementation prévue par la loi début 2020 afin de réformer totalement le modèle de la redevance hydraulique. Cette réforme doit tenir compte autant du droit des cantons et communes concernés à une rémunération pour la mise à disposition des ressources que du droit des exploitants à une utilisation économique de la force hydraulique suisse. Alors que les collectivités publiques apprécient de pouvoir compter sur des recettes constantes et planifiables, les exploitants de centrales hydroélectriques ne sont en mesure de payer des taxes que si la vente d’électricité leur rapporte des revenus suffisants.

Afin de satisfaire à ces deux exigences, une flexibilisation de la réglementation en matière de redevance hydraulique, avec une part fixe et une part variable, est indiquée selon la logique suivante:

  • une taxe fixe pour l’utilisation des ressources hydrauliques et
  • une taxe variable en fonction de la valeur de ces ressources.

L'utilisation des ressources hydrauliques destinées à la production d’électricité relève d’un intérêt national car elle fournit une contribution substantielle à la sécurité d’approvisionnement de la Suisse en toute autonomie vis-à-vis de l’étranger, à partir de sources d’énergie renouvelables et à un prix comparativement abordable. Il s’agit donc d’un avantage macroéconomique voulu par les acteurs de la politique énergétique qui doit être indemnisée par les consommateurs finaux suisses sous forme de taxe fixe (figure ci-dessus «Nouvelle réglementation»).

La valeur des ressources hydrauliques destinées à la production d’électricité correspond à la différence entre les revenus que l’on peut obtenir et le prix de revient; elle est par conséquent variable. Si cette différence est positive, l’exploitant de centrale réalise des bénéfices; si elle est négative, il subit des pertes. La valeur des ressources représente donc un avantage microéconomique. En cas de bonne marche des affaires, les concédants doivent pouvoir y participer sous forme de taxe variable, en fonction de la valeur des ressources.

La flexibilisation de la réglementation en matière de redevance hydraulique, avec une part fixe et une part variable, permet par conséquent de remplir ces deux exigences de manière suffisante si:

  • les consommateurs finaux suisses indemnisent la taxe fixe pour l’utilisation des ressources qui correspond à un avantage du point de vue de la politique énergétique et, partant, sur le plan macroéconomique;
  • les exploitants de centrales s’acquittent d’une taxe variable supplémentaire en fonction de la valeur des ressources qui correspond à un avantage microéconomique.

Rentabilité actuelle et attendue de la force hydraulique

Ces dernières années, les prix du marché se sont effondrés et les prévisions relatives aux cours boursiers pour les années à venir ne laissent pas entrevoir d’amélioration. Ainsi, les prix à terme de l’énergie en ruban en Suisse pour les années 2018 et 2019 sont actuellement compris entre 34 et 36 EUR/MWh, ce qui correspond en moyenne à 38 CHF/MWh ou 3,8 ct./kWh. À titre de comparaison, les prix étaient près de deux fois supérieurs sur la période 2009-2011 et plus de trois fois supérieurs en 2008, année record.

Dans le cadre d’une vaste enquête sectorielle, les coûts et les revenus sur le marché des centrales au fil de l’eau et à accumulation ont été répertoriés sur la période 2011-2015 [7]. L’échantillon analysé couvre environ les trois quarts de la production des centrales à accumulation et à peu près un quart de celle des centrales au fil de l’eau. Malgré de bonnes conditions hydrologiques entre 2012 et 2015, les centrales au fil de l’eau et les centrales à accumulation ont enregistré en moyenne une perte de respectivement 0,9 et 0,5 ct./kWh, la perte pour 2015 atteignant même respectivement 1,7 et 1,6 ct./kWh. Tandis que les coûts ont pu être légèrement réduits au cours de ces années grâce à des mesures d’économie au niveau de l’exploitation et de la maintenance, ainsi qu’à des reports d’investissements destinés au maintien de la qualité et à la modernisation des infrastructures, et ce, en dépit de l’augmentation des redevances hydrauliques, les revenus ont reculé massivement.

Étant donné que les autres possibilités d’économie sont limitées et que la situation sur le marché ne va guère s’améliorer pour l’instant, la rentabilité des centrales hydroélectriques existantes demeure fragile. La force hydraulique suisse reste donc doublement pénalisée?: d’un côté par rapport aux autres technologies helvétiques qui sont exemptes de taxes comparables, de l’autre par rapport aux centrales étrangères qui doivent s’acquitter de redevances hydrauliques largement inférieures, voire inexistantes.

Exemple illustrant les effets de la flexibilisation

Afin d’illustrer les répercussions d’une flexibilisation, on se base ci-après sur l’exemple d’une centrale hydroélectrique d’une puissance installée de 11 MW et d’une production moyenne escomptée de 44 GWh. Sachant que la hauteur de chute est de 330 m et le débit inscrit dans la concession de 2 m3/s, on obtient pour cette centrale une puissance théorique moyenne de 6475 kWB. La redevance hydraulique que la société hydroélectrique doit payer chaque année est égale au produit de la puissance théorique moyenne par le taux correspondant – actuellement fixé à 110 CHF/kWB –, ce qui nous donne 0,7 million de francs, soit 1,6 ct./kWh.

En se fondant sur l’enquête susmentionnée menée sur le parc de centrales, on suppose que le prix de revient au niveau de la société hydroélectrique s’élève à 7,2 ct./kWh, redevance hydraulique incluse, ou à 5,6 ct./kWh hors redevance hydraulique. La taxe pour l’utilisation effective des ressources – correspondant à la part fixe –, qui se montait à 8.16 CHF/kWB en 1918, s’élève aujourd’hui à 41 CHF/kWB (chiffre corrigé de l’inflation) (figure ci-dessus).
On compare les deux modèles suivants (tableau ci-dessous):

  • «Modèle actuel»: taux fixe de la redevance hydraulique de 110 CHF/kWB, soit 1,6 ct./kWh;
  • «Modèle assoupli»: a) part fixe financée par les consommateurs finaux suisses de 41 CHF/kWB en tant que taxe pour l’utilisation des ressources et b) part variable financée par la société hydroélectrique, qui est fonction de la valeur des ressources et débute à 5,6 ct./kWh. La pente (coefficient directeur) à définir indique de combien de CHF/kWB le taux de la redevance hydraulique augmente lorsque le prix du marché croît de 1 ct./kWh.

Si la part fixe ne pouvait pas être répercutée dans le «modèle assoupli», la société hydroélectrique devrait également payer la taxe pour l’utilisation des ressources à hauteur de 41 CHF/kWB, soit 0,6 ct./kWh. En conséquence, la taxe variable pour la valeur des ressources ne débuterait qu’à 6,2 ct./kWh. Cela montre qu’en cas de pente constante, le concédant touche une rémunération plus élevée dans le «modèle assoupli» que dans le modèle sans répercussion (figure ci-dessous, lignes noires). Cette illustration permet aussi d’évaluer la sensibilité de la taxe variable lorsque la pente se modifie: une variation de la pente de 1 alors que le prix plancher demeure constant à 5,6 ct./kWh entraîne une modification de la taxe variable de 1.6 CHF/kWB ou de 0,02 ct./kWh.

Dans cet exemple de centrale, le taux de la redevance hydraulique en 2008 se serait établi à 103 CHF/kWB ou à 1,5 ct./kWh suivant le «modèle assoupli». Ce modèle aurait ainsi parfaitement reflété la volonté du législateur lors de la dernière adaptation selon laquelle la somme de l’utilisation et de la valeur des ressources dépasse 100 CHF/kWB lorsque les prix du marché sont élevés.

Conclusion

Le «modèle assoupli» proposé dans le présent article remplit tous les objectifs d’un modèle équitable: i) les cantons et communes concernés peuvent continuer à compter sur une source fixe de revenus pour la mise à disposition de l’utilisation des ressources voulue par les acteurs de la politique énergétique, et reçoivent une indemnité supplémentaire dépendant du marché; ii) la charge qui pèse sur les consommateurs finaux suisses à travers la répercussion de la taxe fixe n’est pas plus élevée qu’au temps des monopoles, c’est-à-dire à l’époque où les redevances hydrauliques ont été ancrées dans la loi et relevaient d’un accord mutuel lors de l’octroi de concessions; iii) les exploitants de centrales bénéficient d’un allègement important, dans la mesure où ils ne financent en toute logique que la part variable pour la valeur microéconomique des ressources destinées à la production d’électricité; et iv) la Suisse donne plus de poids au principe légal, déjà en vigueur aujourd’hui, selon lequel les taxes ne doivent pas mettre en péril l’exploitation économique des forces hydrauliques, et contribue ainsi à préserver et à moderniser la principale technologie helvétique de production d’électricité. Le «modèle assoupli» proposé ici représente donc de fait une opportunité pour tous qu’il convient de saisir lors de la refonte du système.
Références

Références

[1]   OFEG (2002): La redevance hydraulique – principale taxe frappant l’utilisation de la force hydraulique en Suisse.
[2]   Conseil fédéral (1912): Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant le projet de loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques. Feuille fédérale 1912 II.
[3]   Conseil fédéral (1984): Message relatif à la modification de la loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques (LFH). Feuille fédérale 1984 III.
[4]   CEATE-E (2009): Initiative parlementaire Pour une redevance hydraulique équitable – Rapport de la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des États.
[5]   Pfammatter R., Piot M. (2016): Der Wasserzins – Reform­bedarf im neuen Marktumfeld. «Eau énergie air» 3/2016.
[6]   Conseil fédéral (1995): Message relatif à la révision partielle de la loi fédérale sur l’utilisation des forces hydrauliques. Feuille fédérale 1995 IV.
[7]   Piot M. (2017): Wirtschaftlichkeit der Wasserkraft in der Schweiz. «WasserWirtschaft» 1/2017.

Lien

Auteur
Dr. Michel Piot

est expert en énergie à l'Association suisse pour l'aménagement des eaux ASAE.

Auteur
Roger Pfammatter

est directeur de l'Association suisse pour l'aménagement des eaux (ASAE).

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