Article Technique des installations

La compatibilité électro­magnétique

La clé d’un produit à succès!

03.01.2017

La mise sur le marché d’une installation électrique ou d’un appareil électronique aura plus de chances de succès si la compatibilité électromagnétique a été comprise, intégrée et vérifiée dès la conception du produit. Or, à l’heure de la multiplication et de l’introduction massive des systèmes électroniques et radioélectriques dans les environnements domestiques, médicaux, industriels, de transport et de production d’énergie, la compatibilité électromagnétique prend une résonance particulière.

Une voiture qui ne peut plus être ouverte par sa télécommande à distance, des jouets qui s’enclenchent tout seuls, une sonorisation de stade de foot perturbée par un grésillement désagréable, un banc de mesure industriel rendu inutilisable par des capteurs bruités, des machines-outils qui tombent en panne de manière aléatoire en production, etc. Autant de phénomènes très divers, désagréables, coûteux, voire dangereux qui ont pour point commun une mauvaise gestion de la compatibilité électromagnétique. Comment les éviter ?

Une réalité méconnue

La définition de la directive européenne relative à la compatibilité électromagnétique (CEM) [1] est claire : il s’agit de «l’aptitude d’équipements à fonctionner dans leur environnement électromagnétique de façon satisfaisante sans produire eux-mêmes de perturbations électromagnétiques intolérables pour d’autres équipements dans cet environnement».

Tout système ou installation électrique est potentiellement sensible à d’autres stimulations électriques, conduites ou rayonnées, si la CEM n’est pas considérée : cela va de la simple carte électronique à la centrale nucléaire, en passant par les systèmes de radiocommunication. Or, les appareils domestiques (machines à laver, alarmes) et industriels intègrent toujours plus de capteurs et d’écrans tactiles, tandis qu’une voiture moderne contient jusqu’à 4 km de câbles électriques. Il est ainsi prévu une augmentation spectaculaire du nombre d’objets connectés (IoT ou Internet of Things) dans le monde : 50 milliards en 2020 [2]. De plus, la décentralisation des sources d’énergie s’accompagne aussi de l’installation de nombreux capteurs de flux [3]. Les installations solaires nécessitent, en outre, des onduleurs potentiellement perturbateurs dans le domaine des basses fréquences. Finalement, tout ceci utilise ou est à proximité de processeurs numériques très rapides (jusqu’au GHz pour des applications simples).

Cette cohabitation de systèmes électriques dans des environnements géographiques de plus en plus restreints (figure 1) n’est en réalité possible que grâce à la conception de produits robustes, émettant peu de perturbations et dont les caractéristiques ont été validées selon des standards reconnus.

La jungle des normes

Les problèmes légaux et techniques liés aux perturbations électromagnétiques ont engagé la mise en place d’une réglementation qui permet de réduire la présence de produits sensibles et/ou perturbateurs

Mais il est parfois difficile de s’y retrouver entre les normes, directives et autres réglementations. En Europe, les directives (une trentaine environ) [4] définissent le cadre légal des exigences à respecter pour permettre l’apposition du marquage CE. La CEM est couverte par la directive 2014/30/EU depuis avril 2016 et les appareils radioélectriques par la 2014/53/EU depuis juin 2016 (en remplacement respectivement des directives 2004/108/EC et 1999/5/EC). Les changements introduits par ces nouvelles directives sont importants, mais sont plus d’ordre législatif (renforcement de la traçabilité, par exemple) que technique.

En pratique, ces directives sont traduites en normes harmonisées européennes par le Cenelec, le CEN et l’ETSI [5]. Ces normes sont génériques ou spécifiques à un type d’appareil (EN 61326-1 pour les appareils de laboratoires, par exemple). Elles définissent les limites d’émission à respecter et les niveaux d’immunité à appliquer pour assurer la conformité des appareils.

Un peu de physique

Les sources de perturbations électromagnétiques sont :

  • naturelles (foudre, décharges électrostatiques) ou artificielles (moteurs) ;
  • continues (ligne d’alimentation à 50 Hz) ou transitoires (ouverture de circuits inductifs ou «burst») ;
  • étalées en fréquence (convertisseurs de puissance) ou ponctuelles (natel, signal d’horloge).

La fréquence de ces perturbations, leur énergie (quelques millijoules pour une décharge électrostatique ou plusieurs joules pour une décharge de foudre), la proximité de l’élément sensible avec l’élément perturbateur et leur interconnexion éventuelle déterminent le mode de couplage de la perturbation électromagnétique. On distingue généralement les couplages suivants :

  • galvanique : tension créée par un courant traversant un conducteur (câble ou plan de masse). Exemples : perturbation mutuelle entre deux circuits électriques partageant le même conducteur de retour du courant ou encore chute de tension indésirable aux bornes d’un circuit intégré dont les capacités de découplage ont une impédance de connexion trop élevée.
  • inductif : tension induite par un courant variable dans une boucle de courant (il s’agit de la loi de Faraday utilisée dans les transformateurs). Ce couplage se produit à faible distance et est parfois difficile à éliminer.
  • capacitif : courant créé par une différence de potentiel entre deux câbles. Ce couplage se produit aussi à faible distance, mais il est facile à atténuer.
  • par rayonnement : tension ou courant induit(e) par une onde électromagnétique. Toute boucle ou longueur de câble non blindée peut être concernée. En effet, un câble se comporte comme une antenne d’émission et de réception électromagnétique à partir d’une longueur égale au dixième de la longueur d’onde (figure 2). Un câble de 30 cm peut par exemple capter et émettre des ondes jusqu’à 100 MHz environ.

 

Tous ces couplages augmentent avec la fréquence. Ce qui signifie qu’un signal d’horloge à 2,4 GHz peut causer davantage de pertubations qu’un convertisseur de fréquence de 50 kW commutant à 10 kHz. Par ailleurs, il est considéré que les perturbations se transmettent galvaniquement en dessous de 30 MHz et par rayonnement (proche ou lointain) au-delà. Elles se propagent en mode commun au-dessus de 500 kHz environ.

Les sources de perturbation sont nombreuses et utilisent souvent plusieurs types de couplage simultanément pour perturber un système sensible. Il vaut donc la peine de les connaître.

Mesures de protection et de réduction en CEM

Les mesures de protection et de réduction sont heureusement simples et valables autant en émission qu’en immunité. Voici une liste de quelques mesures complétées d’exemples :

  • Éloignement du système perturbateur et de la victime : câbles de puissance éloignés des câbles de signaux. Dans un circuit imprimé (CI) : séparation des zones d’électronique analogique et des zones d’alimentation.
  • Blindage : boîtier métallique, câble blindé, plaquage des câbles contre les parois métalliques.
  • Filtrage : alimentations équipées de filtres de réseau, ferrites sur câbles, parafoudres.
  • Séparation galvanique : séparation des chemins de retour de courant.
  • Réduction des sources de perturbation : diminution des longueurs de câble, ralentissement des signaux d’horloge, réduction des flancs de commutation de transistors de puissance (IGBT), utilisation de circuits logiques moins rapides.
  • Réduction des surfaces de boucle : torsadage des câbles, pas de coupure des plans de masse dans un CI.
  • Réduction des impédances : tôle métallique servant de plan de masse dans une armoire, connexions HF (haute fréquence) par des tresses métalliques. Plan de masse homogène et unique dans un CI.

Ces actions ont l’avantage d’être souvent efficaces contre plusieurs couplages simultanément. Par exemple, un câble blindé connecté aux deux extrémités atténue tous les types de couplage. Par contre, ces mesures doivent être correctement appliquées. Un parafoudre ou un filtre doit être installé à l’introduction même du câble d’alimentation dans une armoire et non un mètre après. De même, un blindage métallique est inefficace s’il possède des fentes de ventilation trop grandes.

La plupart de ces mesures sont simples, mais doivent être introduites dès le début de la conception du produit, surtout dans le cas des circuits imprimés qui doivent respecter de nombreuses règles liées à la CEM.

Les tests en laboratoire, un passage valorisant

En Europe, l’autocertification est autorisée. Mais, étant donné la complexité des exigences de conformité, il est conseillé de s’adresser à des experts pour être accompagné dans sa démarche de certification. La réalisation de tests dans un laboratoire accrédité est d’ailleurs obligatoire dans certains cas (appareils médicaux). Ce type de laboratoire présente plusieurs avantages :

  • Les ingénieurs de tests peuvent vous conseiller au niveau de la réglementation.
  • La reconnaissance internationale (Certificat IECEE CB) assure une meilleure diffusion de votre produit.
  • Finalement, l’utilisation d’équipements étalonnés garantit la qualité des mesures réalisées.


Les tests d’émission et d’immunité rayonnées sont réalisés soit sur un site en champ libre en extérieur (OATS), soit en chambre semi- (SAC, figure 3) ou complètement (FAR) anéchoïque. Celles-ci sont des cages de Faraday aux parois recouvertes de mousses absorbantes combinées avec des ferrites qui absorbent les ondes électromagnétiques. Ces cages permettent d’être isolé des perturbations extérieures et donc de se concentrer sur les seules émissions rayonnées par l’appareil en test (EUT, equipment under test). On y réalise habituellement des mesures à 3 ou 10  m de distance entre l’antenne et l’EUT.

Il est aussi possible de réaliser une campagne de tests CEM sur site pour les systèmes difficilement déplaçables en laboratoire, tels que le matériel ferroviaire (figure 4) ou les machines-outils.

Mesures d’émission et tests d’immunité

En émission, on mesure des champs électromagnétiques, des tensions ou des courants perturbateurs. Les valeurs obtenues sont comparées aux limites définies par la norme applicable (figure 5). Par commodité, elles sont exprimées en valeur logarithmique car elles peuvent couvrir plusieurs décades (du microvolt au volt).

Les niveaux de test d’immunité sont bien au-dessus des limites d’émission (jusqu’à un rapport de 30 000, figure 6), l’objectif final étant d’obtenir une marge d’immunité importante par rapport aux émissions maximales d’un système perturbateur. La réaction éventuelle de l’EUT aux tests d’immunité est analysée et comparée aux critères de conformité déterminés par le fabricant (dans les limites permises par la norme utilisée).

Tous ces tests suivent un protocole précis, définissant par exemple la longueur et la position des câbles, ce qui permet une exposition raisonnable aux perturbations de test et une certaine reproductibilité entre les laboratoires. Néanmoins, la méthodologie et les niveaux de test sont représentatifs de situations réelles.

La durée totale des tests, il y en a généralement une dizaine, peut s’étaler entre une journée et une semaine selon la complexité du système et si aucun problème n’apparaît. La liste suivante présente quelques tests habituels, pour les mesures d’émission :

  • émission conduite (150 kHz – 30 MHz) ;
  • émission rayonnée (30 MHz – 6 GHz) ;
  • harmoniques, flicker (50 Hz – quelques kHz) ;
    et pour les tests d’immunité :
  • décharges électrostatiques (ESD) ;
  • immunité rayonnée (80 MHz - 6 GHz) ;
  • burst (5 kHz ou 100 kHz) ;
  • surge (ondes de choc) ;
  • immunité conduite (150 kHz - 230 MHz);
  • champ magnétique (de 16⅔ Hz à 50 Hz - 60 Hz) ;
  • creux et coupures de tension.


En cas d’échec, il est fréquent de trouver des solutions légères et rapides, telles que l’ajout de ferrites ou de filtres (figure 7) ou l’amélioration du blindage, mais il arrive que l’on doive réaliser des améliorations plus conséquentes, ce qui retardera la mise sur le marché. Finalement, lorsque les tests CEM sont réussis, le produit est présumé conforme. C’est-à-dire qu’il y a une forte probabilité qu’il puisse fonctionner normalement dans son environnement défini sans le perturber.

Conseil et dépannage

En cas de problèmes CEM suspectés dans des bâtiments, sur des installations complètes ou non déplaçables (par exemple, étable, aéroport ou ligne de production), les ingénieurs de test CEM se transforment sur le terrain en «détectives» pour investiguer, trouver la source du problème et préconiser des solutions d’assainissement. Il est ainsi courant de constater que certaines règles de câblage ne sont pas respectées, ce qui peut conduire à terme à des pertes de production désastreuses.

Intégration dans la gestion de projet

Chaque étape importante dans le planning du développement d’un produit devrait contenir un jalon «certification». Dès le kick-off, la définition de l’environnement du système, les marchés visés et les spécifications techniques de base déterminent les exigences légales à respecter en matière de CEM et donc les protections électriques à installer. Ensuite, les prototypes et préséries du produit devraient faire l’objet de prémesures en laboratoire. Ceci permet, si nécessaire, d’avoir assez de temps et de flexibilité pour corriger le design et de ne pas avoir à retarder le début de la commercialisation (figure 8).

Des tests de certification en laboratoire accrédité doivent aussi être anticipés car les délais peuvent être relativement longs. Une bonne prise en compte de la CEM dans la gestion de projet permettra donc des économies importantes sur le long terme.

La CEM … à suivre

La technologie progressant, les types de perturbation évoluent comme leurs contre-mesures. Par exemple, la connexion du blindage d’un câble aux deux extrémités (au lieu d’une seule) est devenue standard et les circuits imprimés voient la généralisation des plans de masse uniques. Côté réglementation, quelques normes imposent désormais des tests d’immunité rayonnée jusqu’à 6  GHz et des processus d’analyse de risques liés à la CEM sont exigés dans certaines nouvelles directives européennes.

Pour suivre ces évolutions et consolider leurs connaissances, les ingénieurs ou les chefs de projet peuvent se tourner vers la formation continue [6], même si la compréhension de la CEM s’acquiert en grande partie par la pratique.

Conclusion

Les sources de perturbations électromagnétiques sont présentes dans tous les types d’environnement. Il est donc d’une nécessité légale, technique et commerciale de bien prendre en compte la CEM pour faire cohabiter sans heurts les systèmes électriques. La compréhension théorique et pratique des phénomènes CEM et des tests de certification adéquats ainsi que leur bonne intégration dans la conception permettent d’amener sur le marché des produits fiables, sûrs, respectueux de leur environnement électromagnétique et donc … à succès.

Auteur
Olivier Cardou

est ingénieur EPFL de test en CEM.

  • Electrosuisse Montena EMC
    1728 Rossens
Auteur
Christophe Perrenoud

est responsable des laboratoires de Rossens et de Berne.

  • Electrosuisse Montena EMC
    1728 Rossens

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